Les voitures au nom de pilote

Jack Brabham


Il y a de quelques années, il était fréquent d'associer un nom de pilote ou d'écurie à celui d'une voiture de série, afin que celle ci bénéficie de l'image emblématique du premier. Nous allons vous raconter ...


Ensorceler la R8


Gordini. Un nom magique dans les années 60/70. Pendant vingt ans, de 1957 à 1977, il a qualifié les Renault sportives. Ancien pilote, plusieurs fois vainqueur du célèbre Bol d'Or et de victoires de catégorie au Mans, son nom a longtemps été lié à celui de Simca dont il dirigeait l'écurie officielle. Mais aucune Simca ne série ne s'est jamais appelée Gordini. Fin 1956, ça ne va pas fort boulevard Victor, siège de Gordini, qui n'a plus les moyens d'entretenir son écurie de Formule 1. C'est alors que Renault lui propose une collaboration providentielle qui lui évite de mettre la clé sous la porte : élaborer une Dauphine de sport qui ne devra pas coûter 100 000 francs de plus que le modèle normal. Pour ce prix serré, Gordini glisse un quatrième pignon dans la boîte de vitesses, et en retravaillant la culasse et l'admission, grignote 7 chevaux. Crédité de 37 ch au début (40 plus tard) et filant à un bon 125 km/h contre 116 pour la version initiale, ce modèle produit jusqu'en 1967 rencontrera un beau succès qui sauvera Gordini de la faillite.

Remis en selle, le sorcier, surnom que lui a donné il y a déjà longtemps le journaliste Charles Faroux, va étudier surtout des moteurs de compétition pour Renault. On lui doit en particulier le bloc de la célèbre R8 Gordini dévoilée fin 1964. Grâce à une transformation plus poussée portant notamment sur une belle culasse hémisphérique, ce moteur développe une puissance nettement plus élevée qui permettra à la voiture bleue à bandes blanches de s'octroyer un formidable palmarès sportif qui apportera à son créateur une nouvelle notoriété. Renault se servira beaucoup de son nom, qui deviendra synonyme de vitesse.

Amédée Gordini

" 170 km/h chrono ... et 33 secondes au kilomètre départ arrêté " titre la Régie, dans une publicité où l'on voit le sorcier souriant, le pied négligemment posé sur le pare-chocs de la voiture bleue. Renault lui construira une grande usine à Viry-Châtillon, près de l'A6, où son nom s'inscrira sur plusieurs mètres de haut, usine rebaptisée plus tard Renault Sport.

Renault 8 Gordini à Spa

La R12 qui succèdera à la R8 connaîtra moins de succès. Pour mieux faire passer la pilule, Renault organisera au Castellet en juillet 1970 une grande fête baptisée " Jour G ". C'est Gordini lui-même qui aura pour mission de présenter la R12 Gordini alors très contestée des sportifs en raison de sa traction avant. Si la R5 qui remplacera la R12 en 1976 abandonnera le nom de Gordini pour Alpine, le nom du sorcier restera lié jusqu'en 1977 à celui d'une version sportive de la R17, et sera toujours gravé sur le couvre arbre à cames du premier V6 turbo dessiné à Viry-Châtillon.

Ambassadeur de la Régie sur tous les circuits, Amédée Gordini jouera jusqu'au bout son rôle de bon sorcier, avant de nous quitter à la veille de son 80ème anniversaire en juin 1979.  

Voir aussi Gordini sur ce site.


Des Fiat très piquantes


Carlo Abarth, né à Vienne en 1907 de père italien, a été pilote moto avant de se mettre à son compte en Italie. Après avoir travaillé sur des Cisitalia, il ouvre la firme Abarth, dont l'emblème est un scorpion, son signe astrologique. A partir des productions de Fiat, Carlo Abarth va développer des modèles plus sportifs.

En 20 ans, la cylindrée des Abarth ne cessera de grimper passant de 700 cm3 à 3 litres. Non seulement Abarth réalisera des coupés sportifs très rapides et, il est vrai, souvent fragiles, mais il proposera des versions envenimées des berlines Fiat 500, 600 et même 850. De 1962 à 1964, il s'associera également avec Simca pour produire une évolution sportive de la Simca 1000 qui aura peu de succès à cause de son prix trop élevé. Notons que c'est une Simca Abarth 1300 cm3 qui sera sacrée championne du monde des GT en 1962.

Carlo Abarth

D'un caractère difficile, très autoritaire, Abarth verra sa firme absorbée par Fiat en 1971, mais ses voitures continueront à courir sous le nom d'Osella. De son côté, la firme turinoise utilisera toujours son nom pour continuer à qualifier des versions sportives du groupe Fiat. On se souvient des Fiat Abarth 124 Rallye, des 131 Abarth de course ou de la Ritmo 131 Abarth. L'Autobianchi A 112 Abarth a également rencontré un très beau succès commercial. Fiat après une période d'oubli, s'est de nouveau rappelé de ce nom qui ne manque pas de piquant.

Voir aussi Abarth sur ce site.


Un nom champion du monde


Revenons à Renault qui après avoir usé du nom Gordini puis d'Alpine se retrouva petit à petit sans valeur de référence. Lorsque Renault Sport signa avec l'écurie Williams en Formule 1, fin 1988, aucun des deux partenaires n'imagina un seul instant que cette collaboration durerait encore dix ans après et qu'elle serait sanctionnée par six titres mondiaux !

Franck Williams

Avant d'avoir été patron de son écurie, Franck Williams a débuté sa carrière en tant que pilote de monoplace. Puis, par manque de résultats, il s'orienta vers la location de voitures de course. Il créa sa propre écurie de Formule 2 puis de Formule 1 avec De Tomaso, March et même Iso. En fait, Williams va galérer jusqu'en 1979, année où il décroche le pactole sous la forme d'un gros sponsor saoudien qui lui permit de remporter son premier titre mondial avec Alan Jones dès 1980.

Associer son nom à celui de Williams était très porteur. C'est ce qui poussa Renault à offrir en 1993 une version sportive de sa Clio baptisée " Williams ". Elle se reconnaissait à sa livrée bleue très inspirée de celle des monoplaces, ses belles jantes Speedline couleur or, évidemment ses sigles Williams, et son original moteur 2 litres poussé à 150 ch qui lui donnait des performances redoutables. Produite durant trois ans seulement, la Clio Williams est aujourd'hui unanimement regrettée.

Renault Clio Williams


De Tomaso, de la Formule 1 à la Mini


Drôle de parcours que celui de l'argentin Allesandro De Tomaso qui commença à se faire un nom dans la compétition dans les années 50 au volant de Maserati ou Osca. Il créa sa firme automobile à Modène où il commença à construire quelques voitures de course et même une Formule 1 sur laquelle le pilote Piers Courage, managé alors par son ami Franck Williams, trouva la mort.

Allessandro De Tomaso

Il s'orienta vers la fabrication de coupés grand tourisme à moteur Ford. D'abord, une 1500, puis la magnifique Mangusta suivi de la célèbre Pantera produite pendant plus de quinze ans.

De Tomaso Pantera

Petit à petit, l'argentin racheta des affaires qui périclitaient autant en deux roues, avec Bellini Guzzi, qu'en quatre, en particulier avec Innocenti et Maserati moribondes. Pour donner un deuxième souffle à Innocenti qui construisait en Italie des Mini sous licence, il fit dessiner pour celle-ci une carrosserie plus moderne par Bertone, tout en continuant à proposer la Mini, notamment une fausse Cooper moteur 1275 cm3 71 ch, qui avait été arrêtée en Angleterre.

Pour qualifier la version sportive de sa nouvelle gamme née en 1976, l'argentin usa simplement de son nom jugé plus emblématique et ... moins coûteux. Innocenti perdra au fil du temps sa filiation avec la maison mère et les dernières De Tomaso ne seront plus animées par l'antique 1275 cm3 britannique mais par un original trois cylindres turbo d'origine japonaise.

Innocenti De Tomaso


Des Mustang venimeuses


Carroll Shelby a débuté en compétition automobile au début des années 50 après avoir élevé des poulets. Sa carrière sportive assez courte fut sanctionnée par une victoire aux 24 Heures du Mans 1959 au volant d'une Aston Martin. Cardiaque, il abandonna la compétition automobile pour se consacrer à la construction de la célèbre AC Cobra avec le succès que l'on sait.

David Brown (patron d'Aston Martin) et Carroll Shelby au Mans en 1959

Afin d'élargir ses activités, Shelby décida de proposer une version plus poussée de la nouvelle Ford Mustang. Rebaptisée Shelby 350 GT, ce modèle se distinguait de la version originale par un moteur 4,7 litres plus poussé, une tenue de route améliorée et quelques modifications esthétiques au demeurant assez heureuses, du moins sur les millésimes 1965 et 1966. Suite à l'évolution des Mustang, le texan fut contraint de faire évoluer ses Shelby dans le même sens, en les rendant plus puissantes grâce au bloc 7 litres, et plus lourdes et encore plus impressionnantes d'allure.

Trop pris par ses activités sportives puisqu'il fut également l'artisan des formidables victoires de la Ford 7 litres en compétition, Shelby dont la santé déclinait, trouva que ça ne l'amusait plus. Il vendit ses actions à Ford qui continua à fabriquer à son compte les Shelby jusqu'en 1970, date où cette voiture fut arrêtée après 15 000 exemplaires tout de même, produits en plus de cinq ans.

Shelby quitta l'automobile pendant une dizaine d'années pour aller vivre en Afrique. Il revint seulement aux Etats Unis au début des années 80, où il replongea dans l'auto. Cette fois, il accola son nom à de populaires modèles Dodge : Omni, Lancer, Shadow ... qui devenaient des Shelby GLHS, Shelby Lancer, ou Shelby CSX-T !

Carroll Shelby, trente ans plus tard, en 1989

Mais la passion était trop forte. Ses ennuis de santé résolus après une greffe cardiaque qui lui apporta une nouvelle jeunesse, il repartit à fond en redonnant la vie à quelques Cobra originales réalisées à partir de châssis d'époque ... puis en inventant un modèle inédit très sophistiqué baptisée " série 1 ", animé par un V8 Oldsmobile.


On ne vit que deux fois


A la fin des années 50, en sport automobile, le nom de Cooper résonnait aussi fort que celui de Williams dans les années 90. Propriétaire d'un garage, Charles Cooper décida après la guerre de construire de minuscules monoplaces à moteur de moto Jap 500 cm3 que pilotait son fils John, né en 1922.

John Cooper et son fils Mike

Au fil des ans, si les Cooper grossirent, elles conservèrent leur concept très original pour l'époque du moteur central arrière. En 1958, Cooper présenta une Formule 1 qui reprenait toujours cette implantation peu usitée alors. Celle ci permit à la petite marque britannique de remporter deux titres mondiaux en 1959 et 1960 grâce à l'excellent pilote australien Jack Brabham. Hélas, les voitures à doubles bandes blanches négocièrent mal le virage des années 60, n'évoluant pas assez vite par rapport aux Lotus ou BRM, qui adoptèrent comme toutes les voitures de course cette implantation. Cooper cessa ses activités sportives en 1969.

Entre temps, en 1960, John Cooper proposa à BMC de greffer sur sa nouvelle Mini 850 cm3 la mécanique plus puissante qui animait les monoplaces F3. Sans trop y croire, BMC accepta, offrant deux livres de royalties à John Cooper par voiture vendue ! La Mini Cooper 1000 cm3 56 ch première version se montra si efficace en compétition que BMC déclina des versions de plus en plus puissantes, jusqu'à la fameuse 1300 S de 75 ch qui frisait les 155 km/h.

Mini Cooper

Grâce à leur compacité et leur incroyable tenue de route, les Mini Cooper remportèrent un nombre fabuleux de victoires en compétition, notamment plusieurs fois le rallye de Monte Carlo. Lorsque le succès se tassa à la fin des années 60, BMC laissa à sa filiale italienne Innocenti le soin de vendre une Cooper 1300 un peu édulcorée. Mais en 1992, toujours avec l'aide de John Cooper consultant de la firme anglaise, Rover décida de faire renaître la Cooper S. Certes le 1300 dépollué est moins vif qu'en 1963 et ses performances n'ont plus rien d'exceptionnelles, mais côté livrée, cette version a sorti le grand jeu : élargisseurs d'ailes, roues Minilite de 13 pouces, phares additionnels et les fameuses bandes blanches de capot ... qui rappellent la glorieuse époque de la Formule 1.


Viva Brabham


Jack Brabahm

Jack Brabham quitta la marque Cooper en 1962 pour créer sa propre monoplace qu'il baptisa évidemment Brabham. En 1966, à 40 ans, le rusé australien réussit à comptabiliser un troisième titre mondial au volant de sa propre voiture à moteur Repco. Son nom, très porteur, incita la filiale anglaise de GM, Vauxhall, à l'associer avec un modèle sportif. A partir de la Viva, agréable berline moyenne aux lignes flatteuses de 1150 cm3, Brabham fit élaborer un petit kit qui accroissait la puissance de 10 ch SAE. Avec 79 ch SAE, la Viva Brabham qui se reconnaissait à ses flammes noires de capot frôlait les 150 km/h.

Produite trois ans seulement à la fin des années 60, cette version sportive rencontra après tout peu de succès. Vauxhall préféra prendre la recette de son cousin allemand Opel, c'est à dire greffer un gros moteur de 2 litres strictement de série dans une petite caisse, comme la Kadett Rallye 1,9 l, plutôt que de gonfler un petit moteur bruyant et creux. En théorie, la Vauxhall Viva Brabham a été vendue en France au prix de 13 216 francs de 1967, soit 2000 francs de plus que le modèle standard de 69 ch qui n'a pas rencontré davantage de succès dans l'hexagone. Il faut dire qu'à l'époque, les Opel étaient bien supérieures aux Vauxhall ...


Ligier, Donohue


D'autres écuries ou pilotes ont tenté ce pari. Marc Donohue, un coureur très rapide qui hélas s'est tué en 1975 au volant d'une Formule 1, avait prêté son nom à Chevrolet suite à ses nombreuses victoires en Trans-Am à la fin des années 60.

Marc Donohue, Indianapolis, 1971

John Fitch était également un pilote américain vu sur Cunningham et Mercedes, notamment en 1955 lors du tragique accident au Mans. Fitch proposa un kit sportif sur la Chevrolet Corvair durant les années 60.

The Corvair Sprint by Fitch

John Fitch

Quant à Guy Ligier qui a été un bon pilote de sport automobile dans les années 60, auteur de deux saisons de Formule 1 en 1966 et 1967, on se souvient qu'il a fabriqué un excellent coupé de grand tourisme entre 1971 et 1975, la JS2.

Ligier JS2

Guy Ligier


Texte original : Patrice Vergès, 1998.
Ne pas reproduire sans autorisation de l'auteur.

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