Chefs de bande


Les bandes de couleurs ont décoré nos habits, nos survêtements de sport et également nos voitures. Vers les années 60/70, toutes les voitures à vocation sportive se devaient d'être parées de bandes colorées adhésives. Nous allons vous raconter cette histoire.

En fait, cette mode est venue de la compétition automobile. Vers les années 50, les voitures de course étaient peintes aux couleurs de leur nationalité : rouge pour les Ferrari, bleue pour les françaises, verte pour les britanniques. Pour mieux distinguer les voitures entre elles, car la publicité était interdite jusqu'en 1968, on les agrémentait de parements personnalisés discrets, cocardes, ou bandes qui connotaient la nationalité du pilote ou celle de l'écurie.

Monza en 1959, Dino Ferrari en rouge à gauche, Cooper en vert à droite

Ainsi les Cooper F1, pour se distinguer des Lotus également de couleur verte, arboraient deux épaisses bandes blanches longitudinales, alors que les Lotus étaient soulignées de discrètes bandes latérales jaunes. Les gros prototypes américains de Briggs Cunningham des 24 H du Mans avaient popularisé le blanc souligné de bandes bleues longitudinales, de même que les Corvette puis les Jaguar de cette écurie, qui symbolisaient la voiture de sport américaine.

Les Corvette blanches de Briggs Cunningham, 1960

Petit à petit, la bande de couleur a revêtu une signification sportive sur les voitures comme elle l'avait déjà été sur les survêtements. Voici le pourquoi du comment.


Renault, le chef de bande


Renault a été l'un des premiers à proposer une voiture à bandes. C'était fin 1961 sur la Dauphine 1093 qui était une version affûtée de la Gordini, au moteur poussé à 55 ch SAE. Il faut préciser que l'apparition de bandes auto-adhésives en plastique PVC a largement simplifié et facilité leur utilisation et abaissé les coûts. Il n'était plus nécessaire de les peindre. La 1093, produite à environ 2140 exemplaires, était uniquement proposée en couleur blanc crème soulignée par deux petites bandes bleues centrales. C'est elle qui lança véritablement la mode en France, appuyée par l'apparition récente de magasins d'accessoires auto qui en proposaient aux clients.

Feuillet publicitaire Renault Dauphine 1093

Tous les jeunes des années 60 possesseurs de vieille Dauphine, Aronde, 4 CV et même 203 se ruèrent sur ces bandes et autres drapeaux à damiers adhésifs pour tenter de donner une illusoire jeunesse sportive à leur grand mère, présentation qui allait de pair souvent avec un échappement ... libéré. 

Le phénomène ne fit que s'amplifier avec l'apparition de la R 8 Gordini. Cette fois, les bandes de teinte blanche s'étaient élargies et décalées d'un seul côté pour mieux ressortir sur la carrosserie bleue de France. De nombreux possesseurs de fausses R8 " goordinisèrent " les leurs à l'aide de ces bandes tandis qu'il était de bon ton, au contraire, de les enlever sur les vraies.

Renault 8 Gordini

Les années 1965/1975 peuvent être considérées comme l'apogée de la bande adhésive en matière de style. Renault repassa le même plat en 1970 sur sa R 12 Gordini décorée de bandes adhésives latérales cette fois, qui faisaient le tour de la carrosserie. Mais cela sentait le réchauffé et de nombreux possesseurs de R 12 Gordini préfèraient s'en passer, choisissant une présentation plus bourgeoise et plus discrète.

Renault 12 Gordini


Tout feu, tout flamme


Précisons que déjà des constructeurs s'étaient servis de l'artifice de la peinture latérale pour distinguer les modèles entre eux. Si dans les années 50, le rôle de la peinture bicolore très usitée sur les voitures américaines consistait à distinguer un haut de gamme, dans les années 60 c'était pour mieux affirmer la vocation sportive.

Voici des exemples : les flancs de la Sunbeam Rapier étaient d'une teinte différente, la Victor Sport 4/90 de chez Vauxhall se reconnaissait à des bandes noires absentes sur le poussif modèle normal, tandis que les Ford Cortina Lotus se distinguaient par leur flammes vertes latérales, de même que la Triumph Vitesse, ou la Neckar 1500 TS pour la différencier des Fiat 1500 italiennes. 

Sunbeam Rapier

Vauxhall 4/90

Ford Cortina Lotus

Triumph Vitesse

Encore une fois tout est venu des USA. En 1964, Ford dévoile son formidable proto GT 40 qui, côté décoration, reprend la célèbre bande bleue largement popularisée par les Corvette de Briggs Cunningham. Mais en plus, cette voiture est épaulée par une double et fine bande de bas de caisse.

Ford GT 40 Mach I

Dès 1965, sur le pack GT, cette double bande de couleur de bas de porte est offerte en option sur les nouvelles Mustang. Sur la venimeuse Shelby 350 GT qui en est dérivée, c'est fromage et dessert, puisque Carroll Shelby, le père des Cobra l'a décorée non seulement d'une large bande bleue longitudinale mais également de bandes de bas de caisse siglées GT 350.

Ford Mustang Shelby GT 350

Ces voitures symboles des sixties vont faire de la bande l'accessoire numéro un qui servira à identifier une voiture de sport, lié à d'autres artifices comme la calandre noire ou les longues portées, voir la double sortie d'échappement.


La totale pour Opel


Comme d'habitude en matière de décoration et de style (pas de technique), Opel va jouer le pionnier de la bande latérale dans notre vieux monde, en reprenant les recettes qui marchent aux USA. Là bas, on ne fait pas dans la dentelle, avec des bandes très, très suggestives qui partent dans tous les sens comme sur les AMC Javelin et Gremlin, Plymouth Barracuda et autre Ford Mustang Mach One.

AMC Gremlin

General Motors, pour ne pas copier Ford, ni Chrysler, les appose transversalement et plutôt discrètement, à l'avant sur les Camaro les plus sportives. En fait, tous ces turbulents muscle cars de la fin des sixties se caractérisent par leur carrosserie surchargée de voyantes bandes adhésives.

Chevrolet Camaro SS

Mais revenons à Opel qui dévoile sa Kadett Rallye fin 1966, modèle qui cumule le capot et la calandre de teinte noire et la double bande adhésive. La totale quoi ...

Opel Kadett Rallye

Cette tendance sera réutilisée sur la Rekord Sprint dès l'années suivante puis sur les Manta les plus affûtées.

Opel Manta GT/E

Evidemment, la concurrence Ford réplique en bricolant hâtivement des Taunus sportives baptisées RS, pour Renn Sport, Renn se traduisant par course. Elles n'offrent rien de plus que la version normale excepté une présentation " coursifiée " qui se manifeste par des bandes latérales qui ne s'accordent absolument pas avec le style molasson des 15 et 20 M millésimées 69. Mode, que d'excès on commet en ton nom.

Ford 15 M RS

La même année, Renault et Alpine proposent à leur tour en option la bande adhésive centrale. Triumph fait de même avec sa TR5, comme Rootes avec sa Sunbeam Alpine Tiger. Bref, à la fin des années 60, voilà où en est la bande adhésive. Elle fait le bonheur de nombreux accessoiristes auto qui font florès à cette époque, comme le fameux trèfle à quatre feuilles, le drapeau à damier, le sigle GT ou le rétro obus.

Les voitures de tous les jours doivent absolument ressembler à celles de compétition, qui son prescriptrices en matière de style. Voilà pourquoi on les affuble de bandes adhésives à l'image des sport prototypes Canam et autre Formule 1.

On se souvient des Ford GT 40 et des Porsche 917 Gulf à la livrée bleue et orange, des Porsche du Martini Racing, ou même des BRM de Formule 1 dont les bandes s'évasaient en Y à cause du nom du parfumeur sponsor Yardley.

Ford GT 40 sponsorisée par Gulf

BRM sponsorisée par Yardley

Même Porsche qui a pourtant toujours fait dans la discrétion bourgeoise y vient sur la 911, en option évidemment. Pourquoi ? Car la terrible 911 R (version usine allégée) est agrémentée de bandes de bas de caisse siglées Porsche, comme les protos 907/908. Equiper sa 911 T de ces fameuses bandes, c'est lui donner un aspect de 911 R usine et toute la symbolique qui en découle.

Porsche 911 R


Etroite ou large


Ces années là, les japonais en usent beaucoup, hélas souvent plus mal que bien sur des Toyota et autres Mitsubishi sportives mal dégrossies et décorées d'une façon très ostentatoire.

Toyota Celica ST

La Mitsubishi Lancer était vendue aux Etats Unis sous le nom de Plymouth Arrow de 1976 à 1980

Abarth colle des bandes sur plusieurs de ses modèles, Alfa sur l'Alfa GTA Junior, Vauxhall sur sa Viva Brabham, Fiat sur la 128 Rally, etc ...

Alfa Romeo Giulia 1300 GTA

Fiat 128 Rally

Vauxhall Viva Brabham

Mais à partir de ce moment là, doucettement, la bande adhésive va changer de fonction sociale, s'élargir et s'épaissir, pour jouer le rôle de la peinture deux tons, ou au contraire " s'étroitiser " pour prendre la forme d'un discret liseré adhésif sur les flancs, remplaçant en fait la baguette chromée latérale jugée radicalement démodée. Celle-ci était bien utile d'abord pour protéger les flancs de la carrosserie et surtout alléger visuellement le panneau de tôlerie, tâche échue à notre liseré parfois baptisé stripping.

Ainsi, elle se fait fine et discrète sur les Opel Commodore, certaines Ford 20 M, Chrysler 180, Opel Kadett SR, Simca 1501 Special, Triumph Dolomite Sprint, etc ... prenant la forme d'un filet simple ou double.

Opel Kadett SR

Triumph Dolomite Sprint

Elle se fait aussi large et épaisse comme sur les Simca. Toujours à l'affût, le constructeur franco-italo-américain l'a utilisé dès 1970 sur sa petite Simca 1000 Rallye d'abord sous la forme d'une double bande latérale située à l'arrière. Celle-ci remontera jusqu'aux portes arrière en s'évasant sur les modèles Rallye 2 dès 1976. .

Avant 1976, sur les Rallye, Rallye 1 et 2, la décoration se limite à une double bande arrière

La large bande est de rigueur sur la peu discrète Ford Escort Mexico, série spéciale chargée de rappeler la victoire de Ford dans ce long périple. Cet artifice décoratif est de nouveau décliné sur la seconde génération d'Escort comme sur l'Avenger GT de chez Rootes.

Ford Escort Mexico

Mais ce large panneau adhésif peut jouer un rôle purement esthétique sans connotation sportive, comme sur la Volvo 66, la Simca 1100 Elix ou l'Ami 6 Super à moteur GS.

Citroën Ami 8 Super

Il y eu quelques beaux ratés à qui la bande adhésive allait aussi bien qu'un smoking à Doc Gynéco. Citons la très éphémère R4 Plein-Air aux bandes latérales façon GT 40, qui seront reprises également par Austin sur sa 1275 GT à capot allongé ou sur les dernières Chambord brésiliennes défigurées par une large bande adhésive.

Renault 4 Plein-Air

Mini 1275 GT

Même Volkswagen qui se vantait d'ignorer superbement la mode y succombera en collant sur les bas de caisse de sa veille Coccinelle des bandes latérales siglées Jean's. Coincée entre les deux ailes proéminentes de cette mamie, la bande sentait le rajouté.

Volkswagen Coccinelle (Beetle) Jean's

Fait amusant, les premières Golf GTI de 1976 seront encore décorées par des bandes adhésives latérales noires qui disparaîtront rapidement. Dans la série des beaux loupés, n'oublions pas l'éphémère 2 CV Sport.

Volkswagen Golf GTI, 1976

Citroën 2 CV Sport


La débandade


Mais déjà c'est le bout du rouleau pour la bande adhésive. Celle-ci symbolise trop la vitesse mise à mal par la crise de l'énergie des années 75/80. Les années qui suivent vont être celles de la sécurité et de l'anti-corrosion. Seul Volvo, c'en est amusant, qui a toujours eu du retard à l'allumage en matière de concept et qui a dévoilé des véhicules de sécurité quand c'était le temps des sportives, et des sportives quand nous vivions dans la mode sécuritaire, présente en 1978 la 242 GT. Cette version sportive de la lourde 240 est ornée de bandes adhésives latérales peu élégantes qui nous ramènent dix ans en arrière.

Volvo 242 GT

La bande jouera désormais un rôle essentiellement décoratif grâce à l'opposition des tons. Par exemple, Renault s'y collera sur sa R5 Le Car.

Renault 5 Le Car

De son côté, Chardonnet l'utilisera sans talent pour améliorer la présentation des tristes Polksi et pâles Zastava.

FSO Polski Fiat 1500

La bande adhésive va petit à petit se voir supplanter par la baguette caoutchoutée adhésive qui va rapidement s'élargir pour mieux protéger des chocs urbains dont on ne se souciait absolument pas deux ans plus tôt. C'est ça la mode, rendre indispensable un accessoire dont on se dispensait facilement auparavant. Il faut évidemment un prescripteur. Comme Renault l'a été avec la Dauphine 1093, il le sera de nouveau avec la bande plastifiée qui ceinturera la carrosserie de la R5 GTL dès 1976, puis de la Renault 4 GTL en 1978.

Renault 4 GTL

La mode était lancée. Toute voiture des années 80 qui se respecte doit avoir le bas de caisse impérativement gris. Fiat peindra même les bas de portes de sa Panda avec une peinture imitant ... le caoutchouc.


La bande est de retour


C'est à celui qui en fera le plus. Certaines voitures seront carrément défigurées par ces profilés en caoutchouc. Citons par exemple certaines Fiat 127 ou 131, ou l'Alfasud Sprint de seconde génération. A pleurer.

Alfa Romeo Alfasud Sprint 

Puis la mode fera son métier, c'est à dire démoder la mode précédente. Le ton sur ton remplacera la bande couleur caoutchouc. Les boucliers et les bandes de protection latérale deviendront plus minces, et seront teintées couleur caisse pour être le plus discret possible.

Mais il n'y a de nouveau que ce qui est oublié et nos constructeurs parent de plus en plus les voitures des années 90 de touches " rétro " pour mieux cultiver leur passé. Les dernières Mini Cooper retrouvaient les doubles bandes blanches de capot des voitures pas toujours très conformes des sixties, elles mêmes inspirées des monoplaces de F1.

Les dernières Mini Cooper

Ce clin d'oeil au passé fut repris sur le concept car Mini ACV 30 de 1997,

Concept car Mini ACV 30, 1997

Même punition pour le coupé Viper GTS aux larges bandes blanches longitudinales. Toute ressemblance avec les glorieuses AC Cobra Daytona serait évidemment pure coïncidence.

Dodge Viper GTS

En parlant de Cobra, Carroll recréait sa marque au milieu des années 90 avec la présentation d'un spider moderne proche de l'esprit de sa célèbre Cobra. Evidemment, elle était décorée d'une belle et large bande longitudinale comme sur les voitures à papa !

Shelby Série 1

Note : les bandes ont la vie dure, et en 2013, vous pouvez toujours rouler " rétro " à bord d'une Twingo RS au couleurs Gordini ou d'une Mini siglée John Cooper.

Renault Twingo Gordini

Mini Paceman John Cooper


Texte : Patrice Vergès, 1998
Ne pas reproduire sans autorisation de l'auteur.

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