Les européennes à moteur V8


Nous allons vous conter l'histoire des voitures européennes à moteur V8 américain. Autrefois, quand un constructeur automobile désirait des chevaux vapeurs à bon compte, il allait taper à la porte de chez Ford, Chrysler ou General Motors.


C'est l'Amérique


L'Amérique et sa démesure nous ont toujours fait rêver, nous, petits européens. Un pouvoir d'achat plus élevé, l'essence pas chère, de longues distances à parcourir, une mentalité différente, ont donné naissance à des voitures beaucoup plus grosses que les nôtres. Pendant longtemps, la majorité des voitures US étaient animées par des moteurs à 8 cylindres en V cubant 4 à 5 litres de cylindrée, contre 1100 ou 1300 cm3 et 4 cylindres chez nous.

Lorsqu'un petit constructeur désirait lancer une voiture de prestige ou de sport, il était alors beaucoup plus pratique pour lui d'acheter directement chez le producteur un gros V8 plutôt que de se lancer dans une coûteuse et hasardeuse réalisation de moteur. En plus, comme le marché d'outre Atlantique était très demandeur de voitures sportives européennes, la doter d'une mécanique locale augmentait ses chances de vente, grâce au réseau du constructeur pour l'après vente. Bref, c'était tout gagnant, sauf au niveau du coût de fonctionnement.


Et glou, et glou, et glou ...


En effet, un moteur américain n'apportait pas que des avantages. D'abord, nombre d'entre eux se sont montré peu fiables à cause de notre utilisation différente de celle des USA, où la vitesse était limitée depuis longtemps. Victimes de carters d'huile de série à la capacité réduite, de compartiments moteur un peu étriqués où les huit vastes cylindres ne trouvaient pas toujours leurs aises, les Ford 289 notamment étaient célèbres pour " leur coups de chaleur " dès qu'on les sollicitait à l'européenne. Ajoutez à la fiscalité préoccupante s'étageant de 27 à 37 ch fiscaux qui les condamnait à la grosse vignette une gourmandise pantagruélique pouvant grimper jusqu'à 30 litres d'essence aux 100 sur un " big bloc " de 7 litres. Obtenir des chevaux en jouant seulement sur la cylindrée plutôt que sur la sophistication mécanique qui n'était pas le point fort des groupes américains avait ses limites.


Belle comme un camion


En France, à cause de la fiscalité aberrante, peu de constructeurs bleus ont tenté l'aventure du moteur américain. Rosengart a bien essayé de monter un gros V8 3,9 l Ford sur sa Supertrahuit peu après la guerre. Mais comme ce n'était pas vraiment l'époque idéale pour dévoiler une voiture qui buvait 20 litres au cent alors qu'il y avait encore des bons d'essence, sa production fut des plus limitée. Une vingtaine de voitures furent commandées, puis remboursées, car leur nombre était insuffisant pour amortir une chaîne de production.

Rosengart Supertrahuit

En 1954, Ford SAF fit une tentative osée en montant le moteur de son camion 5 tonnes, un vieux 3,9 litres V8 latéral qui avait déjà équipé en version 3,6 litres les Matford d'avant guerre, sur la berline Vedette rebaptisée Vendôme, dont les 95 ch dispensaient de meilleures accélérations que les 66 ch du " petit " 2,2 litres V8 traditionnel.

Il fut également proposé, gonflé à 105 ch, et accouplé à une boîte à 4 rapports sur le beau coupé Comète Monte Carlo qui tutoyait quand même les 150 km/h. Mais ces bonnes performances pour 1954 étaient obtenues au prix d'une fiscalité élevée (22 CV), d'une gourmandise excessive (15 à 20 litres), et d'un agrément de conduite moyen. Rappelons que cette mécanique d'origine US avouait dans les bielles une conception mécanique datant de 1932. Tout ceci pour dire que la Vendôme et la Monte Carlo ne provoquèrent pas un engouement extraordinaire, produites qu'elles furent une petite année seulement avant que Simca ne rachète Ford.

Ford Vendôme (source : https://www.classicdriver.com)

En revanche, l'antique V8 latéral de 3,9 l continuera à vivre sa vie pendant plus de dix ans, équipant après les Ford, les camions Simca, puis Unic, qui motoriseront longtemps notre armée.

Ford 5 Tonnes à essence, illustration de R. Geri


L' " Hemi " américain


Facel Vega sera la seule marque tricolore à tirer partie d'un V8 américain. Jean Daninos, son PDG, désirait produite des voitures d'élite. Après avoir fait vainement le tour des constructeurs français, il passa un accord avec Chrysler USA qui disposait d'un excellent moteur V8 sur sa De Soto, certainement le meilleur du marché. Il offrait une sophistication et un rendement supérieurs à ceux des autres V8 notamment grâce à ses culasses hémisphériques.

Pendant la durée de leur vie, environ dix ans, les Facel Vega V8, de la FV jusqu'à la dernière Facel 2, furent animées par ce groupe qui, parti de 4,5 litres et 180 ch grimpa à 6,2 litres et 390 ch SAE sur les dernières versions ! Il autorisait des performances hors du commun à l'époque puisqu'une Facel HK 500 de 1958 déboulait à 230 km/h et avalait le 1000 mètres départ arrêté en 29 secondes ! Cette mécanique aux fascinantes possibilités permettait aux Facel de concurrencer les Jaguar et autres Aston Martin, notamment pour l'exportation qui était le marché visé par le petit constructeur.

Néanmoins, il était de bon ton de reprocher à Facel Vega de ne pas avoir de moteur français, car le V8 américain aussi puissant fût-il, manquait de noblesse architecturale par rapport à un V12 Ferrari ou à un 6 cylindres Jaguar XK. Ce reproche mènera le constructeur français à sa perte. La marque se ruina à cause du manque de mise au point du petit 1600 cm3 maison qui fut étudié pour la Facellia née en 1959.

Facel Vega HK 500

Quelques années après la triste fin de Facel, Jean Tastevin, un industriel spécialisé dans les wagons citernes, décida de se lancer à son tour dans la construction d'une voiture de prestige. Pour ne pas essuyer les mêmes critiques que Jean Daninos, il fit réaliser son propre moteur par l'ingénieur britannique Martin. Ce n'était pas un bon plan. Les premiers essais montrèrent que le moteur V8 de 3,5 l était complètement loupé. Alors, comme Daninos, Tastevin se tourna vers ce bon vieil " Hemi " Chrysler de 5,9 l pour sa Monica présentée en 1972. Mais le manque de mise au point, le prix excessif de la voiture par rapport à une Jaguar et la crise énergétique de 1974 sonneront la fin de l'aventure Monica.

Monica


Le Rover à tout faire


Au début des années 60, pour animer ses nouvelles petites " compactes " Buick, Pontiac, et Oldsmobile, le groupe General Motors étudia un petit V8 de 3,5 l qui avait la particularité d'être très léger, car il était construit en aluminium. En 1965, GM abandonna ce moteur jugé trop coûteux au profit d'un petit V6 en fonte.

A 7000 kilomètres de là, Rover se trouvait alors en vilaine posture avec son antique 6 cylindres en ligne de 3 litres complètement gâteux. La vieille firme britannique racheta la licence de fabrication de ce groupe à la GM pour l'installer dès 1967 sur sa grosse 3 litres Saloon rebaptisée pour l'occasion 3 1/2 Litre, puis sur sa berline 2 litres qui deviendra 3500.

Rover 3 1/2 litre

Ce V8 n'avait pas une cylindrée trop aberrante par rapport à nos us et coutumes, tout en offrant la magie du V8 : puissance, sonorité, et l'image " American way of life ". En fait, il a sauvé non seulement la firme mais également l'industrie britannique puisque, depuis le milieu des années 60, avec une cylindrée passée successivement à 3,9 l, puis 4,5 et même 6 litres, il a équipé à peu près tout ce qui roule " vite " ici bas. Il a d'abord propulsé le Ranger Rover dès 1970, puis les Morgan Plus 8, les pas du tout regrettées 2 497 Triumph TR8 et les 2 595 MGB GT V8 étudiées surtout pour les Etats Unis.

Range Rover, 1970

En 1977, en versions 4 et 4,6 litres, il motorise toujours le Range, avant de redonner vie à une série de MG B 3,9 L en 1993, et se retrouve sous le capot des Marcos, Morgan, TVR où il dépasse les 340 ch. 

TVR 350 i, 1984


Opel veut concurrence Mercedes


C'est pour les mêmes raisons que Opel a tenté en Allemagne l'aventure du V8 américain. En 1964, le constructeur rêvait d'aller chasser sur les terres de Mercedes avec sa grosse Kapitän. Mais son vieux 2,6 litre né avant guerre et développant 100 poussifs percherons ne pouvait aller taquiner les nobles mécaniques des 220 et 300 SE. Opel demanda à la maison mère de lui fournir un petit V8, en l'occurrence un 4,6 l de Chevrolet développant 180 ch DIN qu'il monta sous le capot d'une Kapitän enjolivée rebaptisée Diplomat. Avec près de 200 km/h et l'agrément d'un V8, la Diplomat n'était pas ridicule face à la Mercedes, même si c'était au prix d'une consommation importante et d'une fiscalité dissuasive. Opel proposa même une version 5,3 l (celui de la Corvette) sur le coûteux coupé Diplomat, qui rencontra peu de succès.

Opel Diplomat


Le V8 sauve la reine


En 1960, après Allard le pionnier, Gordon a été le premier en Grande Bretagne à offrir ce cocktail sur son très beau coupé dessiné par Giugiaro et animé par un moteur V8 de 5,3 l de 300 ch SAE emprunté à la Chevrolet Corvette.

Gordon Keeble

La firme aéronautique Bristol fit de même en remplaçant son vieux 6 cylindres d'origine BMW par le même bloc V8 Chrysler atmosphérique.

Bristol 410

De son côté, Jensen qui produisait au compte-gouttes des coupés de haut luxe pour une élite qui trouvait Jaguar et Aston vraiment trop populaires, se rua sur le V8 Chrysler en version 6,2 l, qui remplaça avantageusement le vétuste 6 cylindres 4 litres Austin. La Jensen CV8 restera dans l'histoire de l'automobile surtout parce qu'elle a été en version FF (Ferguson Formula) la première voiture à quatre roues motrices.

Jensen CV8

D'autres préfèrent les groupes Ford 4,2 litres (260 ci) et 4,7 litres (289 ci) qui grâce à la compétition, pouvaient supporter assez facilement des chevaux supplémentaires. C'est Carroll Shelby qui eut l'idée géniale le premier de monter sur les vieillissants roadsters AC britannique ce V8 Ford qui équipait déjà les Thunderbird. Du coup, les AC Cobra transfigurées par les chevaux américains devinrent le symbole de la voiture sportive puissante des années 60.

AC Cobra

TVR, lui aussi, utilisa avec moins de bonheur pour exporter sa Griffith 200 aux USA ce Ford V8 en 4,2 et même 4,7 litres.

TVR Griffith 200

Ce miraculeux moteur Ford fut également retenu par le groupe Rootes pour procurer des chevaux à bon compte à sa Sunbeam Alpine 1600. Avec 4,2 litres de cylindrée et 164 ch SAE puis même 4,7 litres, la Sunbeam Tiger rencontra un honnête succès. Sa production fut arrêtée parce que Rootes cédé à Chrysler en 1967 trouvait un peu fort de café de vendre une voiture à moteur Ford ...

Sunbeam Tiger


V8 contre V 12


Il reste encore à évoquer l'Italie. La terre des Ferrari, Maserati et Lamborghini a favorisé la naissance de sportives à moteurs V8 américains. En fait, ce montage contre nature permettait de proposer des grand tourisme aussi rapides, moins coûteuses, et qui bénéficiaient, surtout pour l'exportation, d'une meilleure image de marque.

Renzo Rivolta se lança en 1963 dans la construction d'une grand tourisme à moteur V8 5,3 litres Chevrolet. De la GT dessinéE par Giugiaro fut même dérivé le sublime coupé Stradale dont Bizzarini reprit la fabrication. L'Iso Grifo qui fut produite pendant près de dix ans à 412 exemplaires changea même de marque de V8 en cours de carrière, troquant son Chevrolet 5,3 litres contre un Ford 5,7 litres.

Iso Rivolta Coupé GT

L'exemple le plus connu est sans aucun doute celui de la célèbre Pantera produite par l'argentin Alejandro De Tomaso pendant près de 25 ans à près de 7200 exemplaires. Il en vendit environ 5500 aux Etats Unis rien qu'entre 1971 et 1975, époque où Ford cessa de la distribuer à cause des nouvelles lois antipollution et sécuritaires. En 1973, une De Tomaso animée par un Ford V8 de 5,7 litres de 310 ch coûtait 78 500 francs, contre 129 500 francs pour une Ferrari Daytona. Même si l'italo américaine n'offrait pas la noblesse de la voiture au cheval cabré, la formule était bien tentante.

La Suisse ne fait pas partie de l'Europe, du moins pas pour tout le monde. Evoquons cependant l'ancien pilote Peter Monteverdi, qui a proposé pendant une dizaine d'années de surpuissants coupés animés par le plus gros moteur américain possible, à savoir un Chrysler V8 en version 6,3 et même 7,2 litres, dépassant les 400 ch, puissance qui permettait aux très coûteuses Monteverdi d'atteindre les 270 km/h.

Monteverdi Hight Speed

Il y eut quand même quelques V8 conçus en Europe, par exemple le petite Daimler 2,5 litres, ou les moteurs Aston Martin, Bentley et Rolls Royce. Mais ils ne sont qu'une goutte d'eau, devant la marée des V8 américains.


Texte : Patrice Vergès, 1997
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