L'air comme il faut


Les voitures souffrent de la chaleur, et pour améliorer le refroidissement de leurs organes mécaniques, elles utilisent leurs entrées d'air qui jouent parfois un rôle plus esthétique que pratique. Le radiateur en contact avec le courant d'air lorsque la voiture roule sert à activer le refroidissement de l'eau qui circule autour du moteur. Le radiateur n'est plus en prise directe avec l'air comme sur les premières automobiles, mais il est masqué par une prise d'air, elle-même habillée par une calandre. Si l'entrée d'air est essentielle à la vie du moteur, elle joue un rôle actif dans le design de la voiture et sur l'image qu'elle génère.


Bouffée de chaleur


C'est l'aérodynamique qui est l'origine des prises d'air. Dès que les premières voitures de course ont été habillées de carrosseries profilées et évidemment enveloppantes, une foule de problèmes sont apparus. Sous le carénage, les organes mécaniques mal ventilés avaient des bouffées de chaleur. Les prises et extracteurs d'air se sont multipliés, d'abord pour le radiateur, puis pour les freins sous forme d'écopes, sur le capot pour alimenter l'admission en air, latéralement à l'avant pour évacuer l'air chaud du radiateur, sur les ailes à l'arrière pour ventiler les freins, et même sur la malle comme sur les fameuses Jaguar E Lightweight en alu, pour rafraîchir le pont surchauffé.

Jaguar E Lightweight, source : http://www.jaguarlandrover-cotedazur.com

La vision des GT et sports proto des années 50/60 hérissés de prises d'air qui détruisaient l'aérodynamique a conditionné certainement toute une génération de passionnés pour qui une voiture sportive devait obligatoirement être bardée de prises ou de sorties d'air. Les Ferrari de Grand Tourisme 250 GT ont certainement été parmi les premières à considérer la prise d'air comme un élément statutaire, en lançant cette mode sous des prétextes techniques. C'était encore plus vrai sur la mythique GTO.

Ferrari 250 Granturismo Berlinetta

Il n'y a pas que les voitures de Maranello a s'être dotées de prise d'air. Les Maserati, Aston Martin, AC Cobra, Alfa 2000 et 2600, Austin Healey, Ford Thunderbird, CD Panhard, Lancia Aurelia Spider et beaucoup d'autres ne manquaient pas d'air. D'autres automobiles plus modernes, comme la Renault 12 Gordini et la kyrielle de muscle cars US n'étaient pas avares de ce type d'accessoires. Si certaines jouaient un rôle actif, d'autres surtout sur les américaines n'étaient certainement là que pour impressionner puisqu'elles n'étaient même pas percées ! C'était le cas pour la Ford Cortina 1200 ou pour la Vauxhall Viva GT, où l'en en comptait même deux.

Dodge Coronet 1970

A cet égard, des accessoiristes proposaient de fausses prises d'air de capot. La Peugeot 404 en fut par exemple souvent équipée, ce qui avait essentiellement pour conséquence d'accroître le vacarme à l'intérieur de l'habitacle à haute vitesse, c'est à dire 140 km/h. En effet, il faut qu'une prise d'air soit bien placée pour être efficace. Elle doit être située dans une zone de forte dépression, alors qu'au contraire les sorties doivent être situées dans les zones de dépression d'air.


Rentrer ou sortir


C'est bien gentil de faire renter un maximum d'air, mais il faut qu'il sorte vite pour ne pas " bourrer " dans le compartiment moteur. C'est ce qui explique la présence des sorties d'air latérales d'ailes avant ou même de capot. Ces sorties d'air sont devenues durant les années 60 un élément de décoration. Si la René Bonnet Djet a lancé la mode de l'extracteur d'air de capot, on peut affirmer que la sculpturale Lamborghini Miura lui a donné un beau rôle décoratif en l'habillant de noir mat.

Lamborghini Miura

Toutes les grandes sportives à moteur central à partir des années 70 ont adopté la grille de sortie d'air de capot, que cela soit les Ferrari à moteur arrière, de la Dino à la 308 GTB en passant par la BB 512, ou les Maserati, tant avec l'Indy que la Bora. Chez nous, Ligier y a succombé sur sa JS 2, et même Simca dès 1967 quand le constructeur de Poissy a rendu plus masculin son coupé 1000, en le transformant en version 1200 S. Pour ce faire, Simca a ressorti le coup de la grille qui avait alors une image forte, avec adoption du radiateur avant, prise d'air autour des phares pour les freins et extracteur d'air en plastique noir style Lamborghini sur le capot. La totale ! Plus il y avait de prises d'air, mieux c'était.

Simca 1200 S


Des p'tis trous, des p'tits trous ...


Pour évacuer ce damné air chaud, d'autres faisaient confiance aux aérateurs latéraux qui sont devenus rapidement un élément de style. Les fameux " ventiport ", des découpes rondes cerclées de chrome aperçues à l'origine sur les Buick, ont longtemps été le signe de reconnaissance de ces voitures. En France, des accessoiristes proposaient alors ces " ventiport " sur les voitures des années 50, qui prenaient ainsi un faux air de Buick. On en vit beaucoup sur l'Aronde, la Frégate, et surtout sur la Vedette.

Buick, 1951

Sur les ailes, ces aérateurs pouvaient être habillés d'un enjoliveur chromé comme sur les DB Panhard, Aston Martin DB4 ou BMW 507. Sur la Mercedes 300 SL ou sur la Jensen 541 S britannique, l'habillage était encore plus conséquent, et il jouait un véritable rôle esthétique.

Mercedes 300 SL

Il ne faut pas oublier de refroidir les freins. Porsche a été le premier à doter sa 356 de prises d'air situées sous les phares pour améliorer leur ventilation. Peu à peu, cette grille a joué un rôle d'enjoliveur de la face avant qui manquait d'agressivité.

Porsche 356 Speedster


Enlever les pare-chocs


Lorsque Porsche a lancé sa 911 dès 1963, il a donné aux grilles d'aération un important rôle esthétique qui perdura jusqu'au restylage de 1974. En 1966, Alpine virilisa la face avant de sa célèbre Berlinette alors un peu trop lisse et pas assez musclée, en adoptant également les fameuses prises d'air barrées de deux baguettes chromées.

Alpine Berlinette

Sur certaines versions, les prises d'air situées à l'arrière recevaient des écopes destinées à mieux canaliser l'air, procurant à l'ensemble un aspect très " compète ".

Alpine Berlinette

Pour améliorer le refroidissement des freins de la R8 Gordini, Renault perça la jupe avant de petites aérations verticales. Las, situées derrière les embouts de pare-chocs, celles-ci ne se voyaient pas beaucoup et par là même, devaient se révéler d'une efficacité aléatoire. Beaucoup de possesseurs de R8 Gordini d'alors, notamment ceux qui participaient à la fameuse coupe, enlevaient les embouts de pare-chocs, laissant seulement l'entourage de la trappe de roue de secours. Cette découpe avait pour but de démontrer d'une façon plus ou moins implicite que son conducteur marchait comme un avion sur la route, et usant et en abusant du freinage dont il venait à bout !


Faire passer le radiateur à l'avant


A cette époque, de nombreuses voitures possédaient encore un moteur placé à l'arrière refroidi par un radiateur situé à côté comme sur la Dauphine, R8, Simca 1000, Fiat 600 ou 850. En compétition, le règlement de l'époque du groupe 2 autorisa le passage du radiateur à l'avant sensé améliorer le refroidissement. Les Fiat 850 Abarth adoptèrent un imposant radiateur frontal habillé d'un colossal carénage qui renforça l'aspect terriblement agressif de ces voitures, et lança la mode du radiateur avant.

Fiat 850 Abarth

Alpine commença par y venir en 1966. Tous les possesseurs de R8 Gordini Groupe 2 plus ou moins préparées ne rêvaient que d'adopter le radiateur d'eau à l'avant. Celui-ci trouvait sa place dans le compartiment de la roue de secours. Enfin, Simca s'y colla comme nous l'avons déjà évoqué avec son coupé 1200 S, suivi par Abarth, encore lui, qui dévoila des versions envenimées de la Fiat 850 Coupé.

En France, dans ses vieux jours, c'est à dire en 1972, soit onze ans après ses débuts, la Simca 1000 en devenant Rallye 2 faisait passer son radiateur à l'avant, le nec plus ultra de la connotation sportive ces années-là. N'oublions pas la NSU TTS qui adopta le radiateur d'huile frontal. Plus la prise d'air était voyante, plus elle procurait un aspect agressif à la voiture. Souvenons nous de la 924 Turbo dont la face avant était trouée de quatre imposants orifices, ou les deux élégantes écopes rectangulaires de la sculpturale Opel GT, ou les quatre grilles de bas de calandre qui caractérisaient les célèbres Lancia HF.

Simca 100 Rallye 2


Le coupe oeufs Ferrari


La prise d'air peut prendre sa source dans la porte qui se creuse pour mieux guider celle-ci vers le moteur. C'est la Ford GT 40 qui a lancé ce style, déjà ébauché il convient de le préciser sur la populaire Dauphine, sur laquelle la partie inférieure de la porte arrière canalisait l'air vers les entrées latérales.

Renault Dauphine

La Ferrari Dino 206 de 1966 a transformé ce style en sculpture grâce à Pininfarina qui a carrément creusé un tunnel dans la porte arrière pour alimenter en air frais les carburateurs. Un coup de génie ! Les prises d'air latérales de porte vont devenir une valeur identitaire forte. Lamborghini prendra le train en marche surtout pour sa Countach. Ferrari en fera son signe de reconnaissance puisqu'il en équipera toutes ses voitures à moteur central à partir des années 70, qu'il s'agisse des 246 GT, 308 GTB, F40, BB 512 et surtout la grosse Testarossa sur laquelle ces énormes prises d'air latérales striées qui prenaient leur envol sur les portes ressemblaient à des coupe-oeufs !

Lamborghini Countach


Avoir un faux air


Les prises d'air jouèrent un rôle si fort dès la fin des années 50 que quelques constructeurs se laissèrent aller à la facilité. Pourquoi ne pas monter de faux éléments de carrosserie ? La General Motors fut l'un des premiers à oser commettre ce sacrilège sur sa Corvette de 1958, avec de fausses prises d'air de freins béantes situées sous les doubles phares derrière le pare-chocs, et de longues fentes d'aération latérales creusées dans l'aile avant concave. Du bidon !

Chevrolet Corvette 1958

Chevrolet refit le même coup sur ses premières Sting Ray de 1963 avant de revenir à de meilleures intentions sur ses modèles postérieurs. Ford attendit le millésime 67 de sa Mustang pour refaire le même coup de pipeau devant le passage de roues arrière sous forme d'une fausse prise d'air pour refroidir les freins.

Ford Mustang 1967

Ford Europe usa de la même astuce pour sa première génération de Capri en 1969. Certaines finitions étaient affublées de doubles prises d'air d'aile arrière qui gonflaient de bonheur ceux qui achetaient ce coupé. Un peu honteux de ce grossier artifice trop clinquant, Ford rogna sérieusement leur surface en 1973 pour les supprimer carrément sur la version Capri II.

Ford Capri 1969

On verra bien pire quinze ans plus tard, pendant les années GTi. La Renault 5 Turbo à moteur central arrière offrait un corps callipyge (qui a de belles fesses) avec de colossales prises d'air latérales qui faisaient fantasmer tous les possesseurs de 5 TL ou Alpine, tous comme la 205 Turbo 16 à moteur central qui excitait les propriétaires de braves 205 XT ou GTi.

Peugeot 205 Turbo 16

Les accessoiristes proposèrent des ensembles ailes en polyester qui donnaient aux modèles normaux à traction avant sensiblement l'aspect de la R5 Turbo ou de la 205 Turbo 16. Il suffisait d'adapter une monte de pneumatiques plus généreuse pour rendre un peu plus crédible l'opération !


Texte : Patrice Vergès, 1999 - Adaptation 2015 / Carcatalog
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