Tirer le bon numéro


Un numéro, c'est une suite de chiffres qui sert à qualifier ou à classer. Pour désigner plus particulièrement un modèle, les constructeurs utilisent un nom ou un numéro. Nous allons évoquer les modèles baptisés à l'aide d'un numéro.

Honda S 800

Pendant longtemps, le plus simple consistait à accoler au nom de la marque ou du modèle le numéro qui représentait généralement la cylindrée. Celui-ci donnait une hiérarchie facile à comprendre : Vespa 400, Honda S 800, Simca 1000, BMW 1600, CX 2400, Austin Healey 3000, Bizzarini 5300, etc ...

BMW 1600 Cabriolet

Ce nombre rond et explicite présentait le défaut d'être souvent le même d'une marque à l'autre, et ne ne pas pouvoir symboliser l'évolution technique d'un modèle restylé ou même changé. Pour ce faire, on additionnait parfois un chiffre supplémentaire qui donnait le sens de l'évolution. C'est le cas de la Simca 1301 par rapport à la 1300, ou de la Chrysler Simca 1309 qui a succédé à la 1308. Simca a même utilisé le numéro 1006 pour qualifier ses ultimes 1000 restylées

Chrysler Simca 1309

BMW a repris la même recette lorsqu'il a rajeunit sa gamme 1600/1800 rebaptisée 1602/1802, mieux en harmonie avec la gamme 2002, tout comme Volkswagen avec sa Coccinelle 1303.


Trois, deux avec un point


D'autres ont utilisé seulement les trois premiers chiffres de la cylindrée, parfois deux, et quelquefois deux séparés par un point comme la berline Jaguar qu'il fallait prononcer avec plusieurs syllabes : 2.4 ou 3.8 Litre (sans le S).

Jaguar Two-point-four Litre

Parmi les adeptes des trois chiffres, on peut mentionner la Daimler 250 à moteur V8 2548 cm3, les Lamborghini 350 GT et 400 GT, les Datsun 240 Z à 340 ZX, etc ... Mercedes a été fidèle à cette qualification depuis la nuit des temps : 170, 220, 280, 450, 560, 600. BMW adoptait une logique légèrement différente sur les deux derniers chiffres, le premier qualifiant la série : 316, 525, 728 ... Néanmoins, le constructeur munichois a encore du mal à hiérarchiser certains modèles au sein de la même cylindrée, tout comme Mercedes d'ailleurs, qui fut contraint de baptiser 219 une 220 moins équipée en 1958. BMW a fait de même avec la 325 qui avouait paradoxalement une cylindrée de 2,8 litres, mais dont le moteur était moins puissant que celui de la 328. Enfin, Rover reprenait la même recette que BMW avec ses 111, 214, 825 ...

Mercedes 218

Citroën a longtemps joué sur les deux premiers chiffres de la cylindrée : DS 19 et 21, et même BX 19, et parfois sur le premier avec son Ami 6 qui était une 602 cm3. Mais ce procédé atteignait rapidement ses limites en cas de rajeunissement des gammes, d'où le choix du nom de l'Ami 8 pour désigner l'Ami 6 restylée en 1969, pourtant toujours dotée de la même mécanique.

Citroën avait préféré parier sur le cheval fiscal en 1948 pour baptiser sa 2 CV. Il avait déjà procédé ainsi avec ses Traction 11 CV et 15 CV. Renault avait utilisé le même principe sur sa 4 CV, avant de le dupliquer sur 4L, qui sera qualifiée de Super lorsqu'elle passera en 850 cm3 et 5 CV fiscaux.

Renault 4 Super

Opel avait fait de même avec sa 4 CV dans les années 30. Mais cette méthode n'était pas valable dans tous les pays, car le calcul de la fiscalité ne reposait pas toujours sur les mêmes bases. C'est ce qui explique qu'elle n'ait pas rencontré une grande audience de la part des constructeurs automobiles.

Depuis la naissance de la Dino en 1966, Ferrari avait instauré sa propre méthodologie. La désignation d'un modèle était composée d'abord des deux chiffres qui désignent la cylindrée, suivis du nombre de cylindres. Cette façon de faire fut utilisée sur les Dino 208, 308 et 246, Ferrari 308, 348 et 512. Et la 355 ? C'est l'une des exceptions qui confirme la règle. Ce numéro indiquait qu'elle était une évolution de la 348 et signifiait 3,5 litres de cylindrée et ... 5 soupapes par cylindre !

Il semble y avoir une règle absolue : il faut toujours qu'une voiture qui succède à une autre bénéficie d'un numéro supérieur. Fiat qui avait tenté une autre méthode avait perturbé ses clients ! Mais restons à Marenello où Enzo Ferrari avait décidé dès 1948 de baptiser ses voitures de leur cylindrée unitaire. Ainsi, les 166 cm3 de chaque cylindre de la Ferrari 166, multiplié par 12 cylindres, donne le résultat de deux litres. Mais cette pratique présentait aussi rapidement ses limites. Plus original, la marque au cheval cabré a utilisé sa date d'anniversaire pour baptiser ses inoubliables F40 et F50.

Ferrari Dino 308 GT4


A 350 pieds d'ici, je te le ferai savoir


Les Américains ont repris le même procédé pour qualifier la cylindrée de leur moteur mais en cubic inches. Rappelez vous de la Mustang 260 4,2 l et 289 4,7 l, ou de la terrible Cobra 427 au bloc de 7 litres. Carroll Shelby avait dénommé son modèle dérivé de la Mustang Shelby 350 GT. Pourtant elle avait conservé le bloc 289 4.7 l et sa puissance ne dépassait pas 306 ch SAE. Alors pourquoi ? Plusieurs légendes s'opposent. L'une prétend qu'il a choisi ce numéro car il sonnait bien aux oreilles, rappelant la magique Ferrari 250 GT. Une autre raconte que Shelby aurait compté la distance qu'il y avait entre son bureau et le local du voisin, soit 350 pieds. Quand la légende est plus belle que la réalité, il faut raconter la légende.

Shelby GT 350/500

Revenons en Italie chez Fiat qui s'est un peu fourvoyé dans la manière de qualifier en chiffres ses productions. Jusqu'en 1966, c'était simple, la cylindrée donnait son identité à la gamme qui débutait à la 500 pour s'achever à la grosse 2300 6 cylindres. Pour baptiser celles qui devaient succéder aux 1300/1500, Fiat eut l'idée de les appeler par leur numéro de projet, c'est à dire 124 et 125. Mais lorsque d'autres Fiat utilisant la même recette ont vu le jour, la gamme ne s'est pas clarifiée loin de là. En effet, pour montrer la modernité du projet, celui-ci devait être obligatoirement supérieur en valeur au précédent. Hélas, ce choix enlevait la notion de hiérarchie cylindrique au sein de la gamme, puisque la 128, quoique plus récente, était inférieure en taille et en puissance à la 124, de même que la 131 était plus petite que la 130, elle même supérieure à la 132 ... Le summum fut atteint avec la Fiat 133, en fait une voiture produite chez Seat en Espagne, héritière techniquement des anciennes 850 avec une carrosserie ressemblant à la plus moderne 127.

Fiat 133

La filiale Autobianchi avait repris la même logique de numérotation avec les mêmes conséquences. Par exemple, la A111, si elle était plus ancienne que la A112, était un modèle supérieur, car il s'agissait d'une 1438 cm3 alors que la A112 était une 903 cm3, comme sa cousine la Fiat 127. Lorsque Fiat est venu aux noms, il les a tout de même accolé à la puissance réelle : Uno 45 et 55, Ritmo 60 et 85 ... Ce fut de nouveau une erreur car Fiat fut contraint de conserver ces désignations quand les puissances évoluèrent, car elles permettaient de hiérarchiser les modèles entre eux.


La vitesse


D'autres constructeurs ont préféré utiliser l'argument de la vitesse. En 1938, Jaguar dévoilait sa fantastique SS 100, 100 signifiant 100 miles à l'heure, soit 160 km/h, une vitesse extraordinaire à cette époque. En 1948, lorsque William Lyons présenta sa XK 120, il utilisa le même qualificatif avec 120 milles à l'heure cette fois, soit environ 180 km/h. Rien que par son nom, cette Jaguar symbolisait la vitesse qu'elle atteignait. Ce procédé fut repris sur les modèles XK 140 et XK 150. Cette dernière filait jusqu'à près de 230 km/h.

Jaguar XK 140

Donald Healey fit de même lorsqu'il baptisa en 1953 son roadster sport Austin Healey 100 qui culminait à 100 miles à l'heure. En 1962, à son tour, Vauxhall se rallia à cette bonne vieille recette pour appeler 4/90 sa Vauxhall Victor 1500 à moteur 4 cylindres poussé à 72 ch à l'aide de deux carburateurs, puissance qui lui permettait de pointer son capot à 90 miles à l'heure, soit environ 145 km/h. Jean Daninos, le père des Facel Vega, resta fidèle au même thème, mais il insista particulièrement sur le rapport poids/puissance de sa sculpturale Facel Vega XK 500 de 1958. HK signifiait Horse/Kilo, ce qui voulait dire qu'avec 1800 kg et 380 ch, la Facel offrait un rapport poids/puissance exceptionnel d'environ 5 kg par cheval.

Vauxhall VX 4/90


Sacré Numéro !


Au début, les Peugeot s'appelaient 172, 174, 177, 181, 184, 190 ... Ces dénominations correspondaient aux numéros d'étude. La 201 était commercialisée en 1929. Elle symbolisait pour Peugeot une nouvelle façon d'envisager l'automobile, en abandonnant une gamme riche, pour se concentrer sur une offre réduite à un ou deux modèles fabriqués en grande série, grâce à une simplification des méthodes de production, à l'image de ce que faisait Citroën depuis 1919 et Renault depuis 1924.

Le projet de la 201 correspondrait à celui de la 201ème étude depuis les origines de la marque, mais cela n'a jamais été rigoureusement prouvé, du moins à quelques unités près. On peut imaginer que les décideurs pensèrent que le nombre 201 signait un tournant, un nouveau départ pour la marque. La suite, on la connaît. A partir de ce nom de 201, on déclina jusqu'à nos jours cette numérotation. Le premier chiffre situe la voiture en termes de taille et de puissance, le zéro est la pièce maîtresse de toutes les appellations, et le dernier chiffre représente la génération. La deuxième génération a débuté en 1935 avec la 402, la troisième en 1948 avec la 203. Une autre version de cette histoire ignore cette logique de numéro de projet, pour se concentrer sur la raison d'être du 0 au milieu de l'appellation de chaque Peugeot, qui aurait été la nécessité de cacher le trou de la manivelle !

Peugeot 202

Quand Porsche a présenté son modèle 901 en 1963., Peugeot lui a interdit de l'appeler ainsi, contraignant le constructeur allemand à remplacer le 0 du milieu par un 1 . En revanche, la firme française n'a rien dit pour les modèles de compétition de la marque qui ont continué à utiliser un zéro au centre comme les 904, 906 et autres 908 ...

Porsche 901, le dépliant publicitaire d'origine


Haute comme 40 pouces


Enfin, sans être exhaustif en la matière, loin de là, il y a tous les cas particuliers de numérologie. Chez Renault, les modèles sportifs 1063 et 1093, versions sportives des 4 CV et Dauphine, correspondaient non pas à la cylindrée des moteurs, mais au numéro de réception aux mines. Pour sa R8, Renault a préféré utiliser Gordini plus emblématique que 1134 (pour la 1100) et 1135 (pour la 1300), code officiel des berlines ensorcelées par le vieux sorcier. Jean Rédélé a baptisé son Alpine A 106 parce qu'elle était dérivée de la 4 CV, type R1060.

L'Alpine A 106 en couverture du mensuel l'Automobile de juillet 1957

En 1967, Matra a appelé son coupé 530. Ne cherchez surtout pas une signification automobile derrière cet étrange numéro. La firme de Velizy l'avait choisi pour faire de la publicité, ou l'inverse peut-être, à son fameux missile 530 qu'elle produisait à destination des militaires. En juin 1959, Panhard a rebaptisé PL 17 sa Dyna Z. PL correspondait à Panhard et Levassor. Et le 17 ? C'est un peu tiré par les cheveux, car il s'agissait de la somme de 6 litres au cent, 6 places et 5 CV fiscaux. C'est comme si l'on avait additionné des choux fleurs et des carottes ! La PL 17 perdit sa particule PL à partir de 1964 pour se faire simplement appeler Panhard 24.

Panhard 17

Lorsque Renault dévoila sa R8, pour justifier ce chiffre qui ne correspondait plus à sa fiscalité comme pour la R4, les publicitaires ont joué sur la multiplication de deux critères : deux fois plus confortable, multiplié par quatre freins à disque égale ... huit. Mais c'était un raisonnement à posteriori pour justifier ce huit. En revanche, le nombre 24 signifiait quelque chose de bien précis sur la Panhard 24 CT. Il rappelait par sa sonorité les 24 Heures du Mans où la marque du quai d'Ivry s'était adjugée de multiples victoires. La Ford GT 40 a également remporté de nombreux succès sur tous les circuits du monde, notamment dans la Sarthe. Au fait, pourquoi l'a t'on baptisée GT 40 en 1964 lors de sa naissance ? Tout simplement parce qu'elle mesurait 40 pouces de haut, environ 102 cm. Et la GT 70 qui certes n'a pas connu le glorieux palmarès de son aînée, elle ne mesurait pourtant pas 70 pouces ? En effet, mais elle avait été lancée en 1970.

Ford GT 70

Il y a enfin les numéros que vous ne verrez jamais apparaître, victimes de traditions religieuses ou de superstitions comme le 13, qui vient du fait que Jésus et ses apôtres étaient 13 à table le soir de la Cène. Ce soir là, Judas, le treizième convive à s'asseoir, trahit Jésus qui fut arrêté par les romains. Emile Mathis osa pourtant présenter au Salon de Paris en 1948 une berline 666, chiffre du diable. Avec son court porte-à-faux arrière, ses portes arrière sans échancrure pour les passages de roue, son arrière fuyant sans décrochement et sa lunette arrière bombée, elle préfigurait de nombreuses caractéristiques que l'on allait retrouver sur la DS de 1955.

Mathis 666


Texte original : Patrice Vergès, 1999 - Adaptation 2014 / Carcatalog
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