Allumer le feu
Nos voitures modernes sont généreusement signalées à l'arrière par le feu rouge qui joue également un rôle décoratif. Ce n'était pas toujours le cas dans le passé. Le code de la route a imposé aux véhicules un éclairage à l'avant et un dispositif de signalisation à l'arrière de couleur rouge. Au fils des années, la réglementation a été renforcée à l'aide d'un dispositif réfléchissant la lumière, dénommé catadioptre, puis d'un éclairage de plaque de police, comme on le nommait alors, pour pouvoir verbaliser de nuit les contrevenants. Jusqu'au milieu des années 50, l'éclairage arrière se composait fréquemment d'un unique feu rouge placé vers la plaque de police sur l'aile, comme c'était le cas sur la Traction, ou en position centrale comme sur les premières 4 CV ou 203. Les Américains qui ont été les premiers à populariser la ligne ponton à ailes intégrées ont habillé celle-ci à l'aide de deux feux rouges, poussés qu'il furent par la réglementation. La démocratisation du clignotant qui a remplacé la flèche ces années-là a donné une nouvelle raison d'être à cet accessoire qui commence à cumuler les fonctions ; feu rouge, stop, clignotant, catadioptre. Ces fonctions lui ont donné une surface plus importante et autorisé davantage d'originalité dans sa forme, qui est devenue un élément stylistique de personnalisation d'un modèle, ce qui n'autorisaient pas les feux rouges bêtement ronds et anonymement standards.
Ford 1954, le feux est devenu un élément stylistique de personnalisation d'un modèle Justement dans notre douce France, le code de la route a imposé les deux feux rouges seulement au milieu des années 50 pour mieux visualiser le gabarit de la voiture la nuit. De nombreux constructeurs furent contraints de modifier leur éclairage à l'arrière comme Citroën dès l'automne 1952 sur la Traction. Ce constructeur attendra 1954 pour doubler les feux rouges de la 2 CV encore équipée d'un unique stop alors obligatoire. Peugeot viendra en 1955 sur sa 203 aux célèbres feux de marque Labinal qui remplaceront l'éclairage central de la poignée chromée. Sur son aérodynamique Z, Panhard fera de même en plusieurs temps : petits feux rouges dès 1956, puis gros feux rouges en 1957, qui feront également office de phare de recul.
La Dyna adopte de gros feux rouges saillants à partir de 1957 Au fil des années, le feu de recul se généralisera, avec le feu de brouillard autorisé dès octobre 1973. Réglementairement, un feu rouge doit signaler la voiture à 150 mètres. Vertical ou Horizontal Dans les années 50 et 60 qui ont vu la mode des ailerons, le feu rouge était généralement vertical afin de mieux habiller le panneau arrière et surtout élargir l'ouverture du coffre. Parfois, il cachait l'entrée du réservoir d'essence comme sur les premières Aronde ou 403. Il était vertical sur l'Aronde P60 ou sur les Versailles, en forme d'enseigne de bureau de tabac, un dessin très innovant à l'époque.
Les feux de l'Aronde façon enseigne de bureau de tabac Bien d'autres constructeurs suivirent cette mode, et pléthore de modèles furent équipés de la sorte : Peugeot 403, Fiat 1100, Volvo série 120, Alfa Romeo Giulietta, BMW 700, Triumph TR4, Sunbeam Alpine, Opel Rekord ... et évidemment toutes les américaines particulièrement bien pourvues grâce à leurs ailerons gigantesques.
La famille suédoise roule en Volvo série 120 Plus tard, la forme cubique instaurée par Pinin Farina a donné un rôle plus étendu au feu rouge, car il avait pour mission d'habiller l'angle à 90° de deux panneaux de tôlerie. Sur les Peugeot 404, Fiat 2300, Austin A55, le feu rouge n'était plus un accessoire rajouté, mais un élément stylistique fort de la partie arrière, qui améliorait la " carrure " de la voiture.
Pinin Farina a dessiné les Peugeot 404, Fiat 2300 et Austin A55 En revanche, sur les voitures aux formes molles ou aérodynamiques comme les sportives, ce feu rouge avait le plus souvent du mal à s'intégrer. Il faisait saillie sur la rondeur de la carrosserie, comme sur les Austin Healey 3000, MG Sprite, Triumph TR3, Jaguar XK 140 et Mk 2 ... ce qui ne manquait pas de charme ni de sensualité !
Le feu rouge saillant de la Jaguar XK 140 Les feux font la ronde Lorsque la mode des ailerons et des angles vifs fut balayée par celle des formes douces où le feu rouge vertical ne trouvait plus du tout ses aises, celui-ci se coucha et s'étira horizontalement avant de s'endormir au plan esthétique. Pratiquement toutes les voitures des années 60 adoptèrent le feu rouge horizontal de forme plus ou moins rectangulaire : Chevrolet Impala, Fiat 1500, Taunus 12 M où il était en forme de goutte d'eau, Mercedes 220 SE, Peugeot 204, Renault 16, NSU Prinz, TR 6 et beaucoup d'autres ...
L'horizontalité des feux prima durant les années 60, comme sur cette Mercedes 220 SE Coupé La difficulté, c'est que toutes les voitures commencèrent à avoir la même physionomie puisque le feu adopta une forme plus simpliste, disons plutôt moins torturée que celle de la seconde moitié des années 50, quand sa verticalité autorisait bien des outrances et des audaces stylistiques, surtout sur les voitures US.
Les outrances de la De Soto 1957 Pour se démarquer, quelques marques adoptèrent le gros feu rouge rond qui intégra toutes les fonctions. Ce choix fut celui de Ford avec la Galaxie, la Falcon, la Thunderbird, la 17 M de 1961, la Cortina. Sur cette dernière, une étoile chromée scindait le feux en trois fonctions. Fiat fut aussi un adepte des feux ronds, sur ses berlines moyennes 1100, 1300 et 1500, ou sur la plus compactes 850. Ferrari s'y colla sur sa 250 GT Lusso et resta fidèle aux feux ronds dédoublés qui deviendront le signe de reconnaissance de la poupe d'une voiture de la firme de Maranello. N'oublions pas la Matra Djet, la TVR, ou la Chrysler à turbine.
Les feux scindés en trois parties de la Ford Cortina Voir et être vu A la fin des années 60, on commence à s'intéresser beaucoup à la sécurité. " Voir et être vu ", annonce le slogan de la sécurité routière . C'est l'époque ou l'on rajoute volontiers des phares à iode à l'avant et des feux de recul ou de brouillard à l'arrière. Le feu rouge accroît sa surface ce qui signifie implicitement que la voiture est plus sûre puisqu'on la visualise mieux. En 1968, Opel double carrément la surface des feux de sa Kadett. Fiat fait la même chose sur sa 124 puis sur son Autobianchi A111 BS en 1970. Citons aussi la Fiat 125, la 128, la Capri II, le coupé 304, la Saab 900 et évidemment beaucoup d'autres. Même la 2 CV et la Cox succombent à cette mode du très gros feu rouge.
En fin de carrière, la Coccinelle adopte d'imposants feux arrière En matière d'automobile comme ailleurs, il y a des marques prescriptrices qui peuvent imposer des modes parce qu'elles ont une image emblématique. Si Skoda n'a jamais imposé une mode, Porsche l'a fait. Prenez le cas de la 911 relookée en 1973. Pour rajeunir l'arrière, le constructeur allemand glisse une plaque rouge réflectorisée entre les feux sur le capot moteur, qui donne l'illusion optique d'un unique feu qui ceinture la poupe. De nombreux possesseurs d'anciennes 911 l'achètent en accessoire adapté pour moderniser leur voiture.
La 911 réfléchit mieux à partir de 1973 Devant le succès, les accessoiristes proposent des plaques réflectorisées qui relient les feux rouges pour tout ce qui roule ici bas. Ce genre de plaque séduit notamment les possesseurs de Golf GTI, Fiat Ritmo, Simca Horizon, Renault 12, voire Ford Escort. Quelques conducteurs vont même l'adopter en série. C'est le cas des Innocenti, Audi 90 et 200, Honda Civic et CRX, Alfa 90, Bagheera II et premières Safrane ...
Une plaque réflectorisé est installée de série sur la Honda CRX et sur l'Alfa 90 Anti-salissure Au début des années 80, le feu rouge prend souvent ses aises à l'arrière des voitures puisqu'il déborde sur la malle et le hayon, ce qui lui permet de ne plus être systématiquement vertical sur ce type de voiture ou sur les breaks, ce qui était toujours la cas auparavant afin de dégager au maximum l'ouverture du hayon. Un autre exemple de marque prescriptrice est Mercedes. En 1971, le constructeur allemand frappe un grand coup avec son roadster 350 SL équipé de curieux clignotants striés. Mercedes s'est rendu compte après de long essais en soufflerie que les tourbillons d'air nettoient mieux les clignotants de cette forme, empêchant les salissures de stagner, d'où une sécurité accrue sur les routes boueuses. Dès 1972, l'imposante Classe S reprend ce concept suivie de l'ancienne série 200 rajeunie en 1974. A partir de cette époque, toutes les voitures de la marque à l'étoile vont strier leurs feux qui vont devenir un signe de reconnaissance, même si les nervures se firent au fil du temps plus discrètes.
Les feux anti salissures des Mercedes D'autres vont se lancer dans ce design esthético-sécuritaire. Chrysler dès 1976 sur ses 1307/1308, l'Horizon en 1978, la première Peugeot 305, la première génération d'Escort à traction avant, la Renault 25 et beaucoup d'autre assurément.
La première génération de Peugeot 305 adopta les feux striés Rajeunir la voiture Le feu rouge est devenu aujourd'hui un élément stylistique important d'une carrosserie. C'est même un signe fort de reconnaissance. Guy Ligier ne l'avait pas tout à fait compris lorsqu'il a équipé son coupé JS2 des triples feux rouges inclinés des premiers coupés 504, des feux qui choquèrent la riche clientèle de son coupé sportif estimant qu'ils étaient trop connotés Peugeot, ce qui était dévalorisant car sa JS2 coûtait quatre fois plus. Ligier a été contraint, à regret d'équiper ses dernières JS2 à moteur Maserati de feux de 304 phase 2 moins identifiables.
La Ligier JS2, avec ses feux de Coupé 504 Grâce aux progrès de la technique, les feux rouges aujourd'hui peuvent prendre des formes inédites sur trois dimensions. On peut dire que celui de l'Opel Tigra est une véritable sculpture. Désormais, un feu rouge n'est plus ni vertical, ni horizontal, mais oblong, en pétale, en étoile ... Vous observez le feu rouge d'une Multipla, d'un Kangoo ... Celui d'une 206 fait songer à une griffure, ce qui contribue à la personnalité à l'auto. Nous sommes bien loin du simple feu rouge des années 50.
Les formes complexes des feux du Fiat Multipla Comme c'est lui qui donne son identité physique à une voiture, le feu joue un rôle important. D'ailleurs, c'est toujours par lui qu'on tente de rajeunir un véhicule en lui donnant un aspect différent. Modifier un embouti coûte aujourd'hui une petite fortune, c'est pourquoi les constructeurs ne jouent plus que sur le cabochon, la glace, si qui limite forcément le rajeunissement. Renault avait déjà prévu ce restylage sur con coupé Mégane première série, en enserrant deux feux ronds dans un boîtier noir remplacé lors de l'opération rajeunissement par un feu plus important s'insérant dans ce même boîtier. Pour tenter de rajeunir ce feu, les constructeurs intervertissent les teintes au fil des années. Ils changent l'orange en ton fumé, parfois en bleuté ou en transparent " cristal ", ou carrément tout rouge tour à tour en inversant l'emplacement des fonctions. Peugeot est coutumier du fait. Pour lui, un restylage passe obligatoirement par une redéfinition des fonctions colorisées du cabochon. Ce fut le cas en 1983 sur la 305 phase 2, en 1986 sur la 505, l'année suivante sur la 205, en 1990 sur la 309, sur sa 405 plus tard, etc ... Pourtant, en trente ans de carrière, une voiture n'a jamais changé de feu rouge, ce qui est étonnant. Non, ce n'est pas la Mini, ni la Coccinelle. C'est tout simplement la 4 L !
De 1962 à 1992, les mêmes feux arrière équipèrent la 4 L
Texte : Patrice Vergès, 2000 -
Adaptation 2014 / Carcatalog |