Génération Turbo

Le turbocompresseur est une invention aussi vieille que l'automobile. Par rapport à un compresseur entraîné par le vilebrequin qui augmente artificiellement le mélange gazeux du moteur en accroissant la pression à l'admission, le turbo utilise une source de fonctionnement différente. Celle-ci est gratuite puisque ce sont les gaz d'échappement qui servent à entraîner la turbine qui gave le moteur. Utilisé sur certaines machines fixes ou dans l'aviation, en théorie, le turbocompresseur est génial. En pratique, ce n'est pas tout à fait aussi évident, car il génère aussi quelques nuisances. Charger un moteur fait travailler le bloc en rigidité tandis que les gaz d'échappement qui entraînent le turbo dégagent beaucoup de calories. Elles réchauffent l'air aspiré qui perd du volume, donc du rendement. C'est le serpent qui se mort la queue, en fait. Penchons nous sur cette mode qui a duré une petite quinzaine d'années.


Compressons la Corvair


Les Américains ont été les pionniers du turbo en compétition puisqu'ils équipaient déjà les monoplaces Indy à l'antique moteur Offenhauser dans les années 50. C'était un artifice facile pour trouver des chevaux à petit prix. Il suffisait de greffer cet organe à l'extérieur du moteur en le branchant d'un côté sur l'échappement et de l'autre sur l'admission. Et le tour était joué. C'est ce qu'on a dû se dire au sein de la General Motors, en 1962, lorsqu'on a désiré accroître la puissance de la Corvair handicapée par un trop petit moteur. Cet accouplement séduisant sur le papier puisqu'il portait sa puissance à 150 ch se révéla très décevant en usage quotidien avec en prime une robustesse aléatoire. Fin de l'expérience turbo.

Chevrolet Corvair

C'est la compétition qui remis le turbo en selle. Dès 1967, Alfa adapta deux compresseurs sur ses GTA SA (SovrAlimentata) de compétition tandis que BMW faisait de même sur la 2002 qui devint imbattable. Fort de cette expérience, le constructeur munichois fut le premier européen à proposer dès fin 1973 un modèle turbocompressé de série. Grâce au turbo, la 2002 ti passait de 130 à 170 ch, soit la puissance d'une bonne 3 litres d'alors avec des accélérations foudroyantes. Revers de la médaille : un énorme temps de réponse, une consommation élevée et pas une très grande robustesse mécanique à l'usage. Mais nous vivions encore les balbutiements de la génération turbo.

BMW 2002 Turbo


1200 ch grâce au turbo


A cette époque, c'est vrai, il n'y avait pas encore de détecteur de cliquetis, pas de refroidissement par eau des turbos généralement trop gros entraînant de ce fait un interminable temps de réponse, pas l'ombre d'un échangeur air/air (intercooler) chargé de refroidir l'air échauffé à plus de 60 degrés, une admission par carburateur soit soufflée, soit aspirée, selon la place qu'on avait pu trouver pour loger tant bien que mal le turbo en amont ou aval ...

On peut dire que Porsche a été le grand apôtre du turbo qu'il a pu mettre soigneusement au point en compétition sur les 917 Canam dont les dernières versions délivraient plus de 1200 ch en 1973. Après avoir dévoilé un prototype 911 en 1973 et terminé 2ème au Mans l'année suivante avec une monstrueuse 911 de 500 ch, le constructeur allemand en dériva une version de série qui vit le jour en octobre 1974.

Grâce à cet accessoire magique, la puissance du flat-six de 3 litres grimpait de 200 à 260 ch, et même 300 ch sur la version 3,3 litres bien améliorée qui lui succéda. Porsche imposera la turbo en endurance suivi par Renault qui s'y intéressait depuis 1972, le greffant sur certaines berlinette de compétition. En s'imposant aux 24 H du Mans 1978 et surtout en s'impliquant à fond en Formule 1 avec cette technologie, Renault, après Porsche, allait ouvrir la voie à la génération turbo, face à pas mal de scepticisme.

Porsche 911 Turbo


Souffler n'est pas jouer


Ces années là, on commença à investir beaucoup sur le turbo qui semblait être la technologie de l'avenir. D'abord pour les moteurs diesels, puisque Mercedes suivi par Peugeot pour sa 604 GTD a été le premier à tenter ce pari réussi. En essence, c'est vraiment Audi qui va démocratiser la mode turbo sur ce type de moteur, car la BMW 2002 Turbo, la 911 Turbo et l'Alfetta GTV Turbodelta produite à 400 exemplaires en 1979/80 restaient néanmoins des voitures marginales.

Ce n'était pas le cas de l'Audi 200 qui pointa ses quatre anneaux fin 1979. Réalisée à partir de l'Audi 100, l'Audi 200 voyait la puissance de son 5 cylindres 2,2 litres grimper de 136 à 170 ch, puissance qui lui donnait en fait les capacités d'une Mercedes 350 ou d'une BMW 735, c'est à dire environ 200 km/h, 29 secondes au 1000 mètres et surtout des reprises très généreuses propres à l'effet turbo, avec à la clé les avantages d'une petite fiscalité (12 CV contre 18 CV) et une consommation inférieure, du moins hors effet turbo. Cette 200 Turbo démontra tous les bienfaits qu'on pouvait attendre d'un moteur turbocompressé, ce qui poussa certainement la concurrence à s'y intéresser. Et si début 1980 les voitures à essence boostées par un turbo se comptaient sur les doigts d'une main, quatre ans plus tard, on en dénombrait plus d'une cinquantaine.

Audi 200 Turbo

Renault qui misait à fond sur cette technique avait développé une gamme complète à moteur turbocompressé : R5, R9 et 11, R18, Fuego, R25 et Alpine ... sans oublier évidemment sa fameuse R5 Turbo à moteur central dévoilée dès 1978.

Renault 5 Alpine Turbo

Citroën s'en tiendra à sa grosse CX, comme Peugeot à la 505, nous allons y revenir. En Allemagne, si Opel se montra timide, ce n'est pas le cas de Ford qui l'adoptera pour  l'Escort RS, la Sierra Cosworth et même la Fiesta. En Italie, Lancia choisira la technique du Volumex très proche du compresseur qui se révélera infiniment fragile, et préférera le turbo pour ses Lancia Delta et Thema, et sur l'intéressante Uno Turbo. Maserati ira plus loin avec sa musicale biturbo tandis qu'Innocenti n'aura pas peur d'en équiper sa petite trois cylindres à bloc Daihatsu. Porsche adoptera également le turbo sur ses 924 et dérivés. BMW rebaptisera 745 sa 735 3,5 litres turbocompressée qui verra sa puissance grimper de 218 ch à 252 ch, Mercedes de son côté préférant l'ignorer sur son haut de gamme.

Maserati Biturbo

Saab, qui avait été également un des premiers à développer cette technique dès 1978 sur sa 900, sera imité par l'autre suédois Volvo qui en équipera ses 240 puis 740, 760 et 480. En Angleterre, citons la Lotus Esprit turbo, la calamiteuse MG Turbo, la Montego Turbo et une éphémère Capri Turbo proposée officiellement par Ford. Au Japon, Mitsubishi sera aussi un défricheur puisqu'il offrira dès 1980 une Lancer Turbo 170 ch, suivie d'une Colt Turbo poussée à 105 ch. Nissan et Toyota suivront. Seul Honda, qui y viendra plus tard avec des versions City non exportées vers l'Europe, restera globalement fidèle au moteur atmosphérique à culasse multisoupapges ...

Saab 900 Turbo


La turbo voit rouge


En effet, à cette époque, deux écoles commencent à s'opposer. Le turbo est un accessoire qui permet à des moteurs roturiers de trouver des chevaux à bon compte. Un exemple : la R5 Alpine à l'antique bloc culbuté issu de la R8 développe quand même 105 ch, puissance qui ne peut être obtenue ces années là qu'au prix d'une belle sophistication mécanique (arbre à cames en tête, culasse 12 ou 16 soupapes) sur un moteur atmosphérique, une technique plus emblématique préférée par Honda ou Mercedes pour sa 190 2.3 Cosworth par exemple.

Mais l'introduction de le technique de l'injection et du refroidissement des paliers du turbo va accroître la fiabilité de celui-ci et supprimer quelques unes de ses grosses tares, en augmentant par là même son prix et son volume sous le capot, ce qui pose par ailleurs on s'en doute quelques problèmes et entraîne la naissance d'une prise d'air de refroidissement.

Par ailleurs, l'apparition d'une nouvelle fiscalité qui a vu le jour en 1978 a favorisé certainement l'éclosion du turbo en France. Celle-ci prenait en compte la longueur des rapports pour contraindre les constructeurs à proposer des véhicule qui " tiraient long ", synonyme d'économie d'énergie. Grâce à la puissance accrue et surtout au gain de couple, le moteur turbo supportait mieux des rapports très longs.

Mais les turbos avaient des vices. D'abord, à cause du principe de fonctionnement qui les portait au rouge, d'autant qu'ils étaient souvent placés dans un compartiment étriqué et peu refroidi pas prévu pour l'accueillir. Il était alors générateur d'incendie, une tare qui a longtemps caractérisé la R5 Turbo qui prenait feu facilement.

Renault 5 Turbo

On relevait aussi sur les voitures turbo compressées des autonomies ridicules, du moins pour celles qui avaient conservé le réservoir d'origine. La Mitsubishi Lancer Turbo vidait son réservoir en 200 km ! Comme il l'avait déjà fait sur sa R8 Gordini, Renault sera contrait d'ajouter un deuxième réservoir de 15 litres à sa R5 Turbo, car les 38 litres du principal n'étaient pas en osmose avec les 15 litres aux 100 exigés à vive allure.

A cela ajoutez la floraison des préparateurs qui proposaient des kits turbo adaptables sur toutes les voitures. C'était par exemple le cas d'Iresa qui vendait un kit 135 ch pour la Golf GTI, cela évidemment sans ouvrir le moteur aux compressions d'origine. Par charité, nous ne ferons qu'évoquer les peintures de capot qui brûlaient, les turbos éclatés, les blocs fendus par l'effort, les cliquetis à bas régimes ...


Souvenirs, souvenirs


Il y avait pas mal de mauvaises voitures à turbo dans les années 80, car étudiées certainement trop rapidement sur des bases de petites voitures dont l'harmonie était détruite par l'excès de puissance. On peut par exemple citer l'incroyable Nissan Sunny Turbo riche de 105 ch bien nourris, trop certainement pour le train roulant de 13 pouces qui était grosso modo celui de la version 60 ch. En 3ème, elle patinait, encore avec pour conséquence désagréable la disparition du pouvoir directionnel, de terribles effets de couple dans les bras et un freinage qui rendait vite les armes.

Et la MG Turbo ? Mon Dieu ! Rien à redire sur le vieux moteur surcompressé du style tout ou rien comme on l'aimait à cette époque, provoquant une enivrante poussée liée à un violent effet de couple dans la direction. Non, c'était plutôt à l'égard de la suspension hydrolastic déjà à la peine avec 50 ch. Vous imaginez avec près du double, un vrai trampoline ...

MG Metro Turbo

Forte de ses 170 ch, la Mitsubishi Lancer était un dragster sur sol sec. Sur le mouillé en revanche, avec ses pneus japonais de marque Persavon et un bon essieu bien rigide, il fallait conduire comme au Trophée Andros. Ajoutez qu'il y avait tout de mêmes quelques problèmes de fiabilité inhérents au turbo. Sur autoroute, à fond, refroidi par l'air dynamique, le turbo faisait généralement bien son métier. Mais au péage, sans cet afflux d'air, porté au rouge, il se fendait parfois.

Mitsubishi Lancer Turbo


Booster, booster


C'était si simple d'augmenter la pression en bricolant le wastegate que de nombreux propriétaires de R5 Turbo, Alfa 155 et autres Sierra Cosworth ne s'en privaient pas, gagnant de 10 à 20 ch assez facilement au prix d'une fiabilité encore moins évidente. Les constructeurs faisaient de même à l'égard des journalistes qui empruntaient des voitures au parc presse. Une Uno Turbo atteignait ainsi 230 km/h, ce qui était très rapide avec 105 ch théoriques seulement ... Les premières 505 Turbo Injection 150 ch essayées par les journalistes spécialisés en 1983 marchaient comme des avions ...

Peugeot 505 Turbo Injection

Aujourd'hui, ces vieilles histoires sont bien oubliées. Si le turbo s'accorde à merveille avec le diesel avec lequel il forme un couple idéal, il a perdu beaucoup de terrain en essence où il n'intéresse que quelques marques pour des modèles spécifiques. La fin de la mode GTI, l'apparition des culasses 16 soupapes, l'antipollution ont eu raison du turbo. Il en est bien fini le temps où l'on apposait un adhésif " turbo " à l'arrière de son véhicule pour impressionner le quidam ... 


Texte : Patrice Vergès, 1998 - Adaptation 2014 / Carcatalog
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