Décliner la gamme
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La gamme Ariane de 1960 avec les versions Ariane 4 et Ariane 8 Ajoutez que la Vedette V8 dont elle était issue était du genre glouton, et qu'elle venait d'être terrassée par la nouvelle vignette imposée par Ramadier qui cognait fort sur les 13 CV fiscaux. Cela explique que si l'Ariane a si bien marché, c'est non seulement pour ses qualités intrinsèques, mais surtout parce qu'elle a bénéficié d'une conjoncture qui lui était favorable : restriction d'essence suivie d'un carburant dont le prix à la pompe a explosé et grosse vignette sur la version V8. En septembre, soit à peine six mois après le lancement de l'Ariane, la Trianon avec moteur V8, premier modèle de la gamme, devenait Ariane 8, par opposition à l'Ariane 4, qui elle était équipée par le petit 4 cylindres de l'Aronde. Restons dans la spirale du succès avec la 403-7 qui a poussé son premier cri début 1960. Il s'agissait d'une 403 dépouillée, animée par le moteur de la vieille 203 qui allait bientôt être mise à la retraite. Grâce à un tarif abaissé de 8300 francs pour la 8 CV à 7450 francs pour la 7 CV, la 403-7 a été un réel succès, faisant rapidement le gras des ventes de la famille 403, car la clientèle de la 8 CV s'était déplacée vers la 404 sortie en mars 1960. Mais surtout, c'est parce qu'elle ne manquait pas de qualités, d'autant qu'elle n'était pas sous motorisée comme l'Ariane, puisque son 1290 cm3 poussé à 54 ch SAE contre 45 pour la 203 l'autorisait à filer à 132 km/h. Sa carrosserie allégée à un peu plus de 1000 kg jouait aussi en sa faveur, et l'ensemble conjugué permettait des performances proches de la soeur aînée.
Peugeot 403-7. Copyright La leçon à tirer est fort simple. Il faut sortir un bas de gamme au bon moment, c'est à dire dans une conjoncture difficile, afin qu'il réponde à une besoin. Point essentiel, il ne faut pas dépouiller cette version d'une façon trop discriminante ... Pas de signes discriminants Simca a commis plusieurs fois ce type d'erreur. En 1952, la marque avait proposé une Aronde, baptisée Quotidienne, au prix de 585 000 francs (tarif 1954), contre 639 000 pour la Berline Luxe. Outre une présentation interne simplifiée, la Quotidienne avait des pare-chocs peints et non chromés. Vraiment, elle faisait grise mine. Malgré son tarif comprimé, elle a rencontré un accueil plutôt froid. En 1956, lorsque Simca a redessiné l'Aronde, la Quotidienne fut remplacée par la DeLuxe qui extérieurement était identique à l'Elysée, c'est à dire parée de ses chromes. Et elle s'est bien vendue.
Simca Aronde DeLuxe Autre règle à respecter : ne pas faire apparaître le modèle vendu comme étant démodé d'entrée de jeu. Fin 1958, le constructeur à l'hirondelle dévoile sa nouvelle Aronde P60 à carrosserie rajeunie. Pour élargir la gamme, une version à la cylindrée réduite à 1100 cm3 de 40 ch voit le jour, mais il s'agit d'une mécanique déjà vue sur la Simca 8 de 1938 ... De plus, on monte ce petit groupe dans l'ancienne carrosserie Océane rebaptisée DeLuxe 6, et qui fait déjà bien démodée avec ses petites surfaces vitrées, aux côtés de la lumineuse P60. Les clients potentiels d'une DeLuxe 6, certes moins coûteuse, ont l'impression d'acheter une Aronde 56 d'occasion.
Feuillet publicitaire Simca DeLuxe Six D'ailleurs, l'accueil tiède qu'elle recevra incitera Simca à monter en 1960 ce 1100 cm3 dans la carrosserie honnêtement dépouillée de la P60. L'Etoile 6, c'est son joli nom, qui naîtra fin 1959, rencontrera un réel succès commercial, d'autant qu'elle sera vendue à un tarif à peine supérieur à celui de la Dauphine qu'elle concurrençait sérieusement, grâce notamment à son esthétique plus flatteuse de grosse voiture. C'est même l'Etoile 6 disponible également en version " super " mieux équipée qui permettra à Simca de continuer à produire jusqu'au début 1964 une Aronde qui avait beaucoup vieilli . Autre leçon à tirer : un bas de gamme à prix cassé est souvent efficace pour tenir les ventes d'un modèle en fin de vie ...
Simca Etoile 6. Copyright Carrosserie flatteuse pour petit moteur Simca ne tira pas les fruits de cette expérience, le nom que chacun donne à ses erreurs, puisqu'elle retomba dans le même piège de l'Aronde Quotidienne quelques années plus tard. Pour le moment, restons dans la spirale du succès, il est vrai facile à expliquer après coup. Comme l'Ariane, la Citroën LN fit une honorable carrière. C'était pourtant un cocktail osé : fruit des amours d'un moteur d'Ami 8 et d'une carrosserie de coupé Peugeot 104. Mais la conjoncture était bonne en 1976 pour lancer ce type de voiture alors quelle ne l'aurait pas été cinq ans plus tôt ou plus tard. Nous vivions en pleine crise pétrolière, le prix de l'essence flambait, tandis que la voiture urbaine se démocratisait. Tous les ingrédients étaient réunis pour que la LN réussisse.
Citroën LN/LNA. Copyright Dans le même genre, la Fiat 1500 L qui pointa son capot aux lignes gothiques en 1963 rencontra un bel accueil. D'abord destinée aux chauffeurs de taxi, cette Fiat économique fut ensuite proposée au public à une époque où l'Italie connaissait une grave récession économique qui faisait tousser Fiat dont les ventes s'écroulaient. Il s'agissait du montage du 1500 cm3 de la berline du même nom dans la carrosserie de la 1800 B 6 cylindres. Grâce à ses 80 ch SAE, la 1500 L (longue) n'était absolument pas un véhicule sous motorisé puisqu'elle frôlait 145 km/h, soit sensiblement les performances de notre brave 404 nationale dont elle offrait le même gabarit (4,44 mètres) et un physique très ressemblant. Cette Fiat avait été dessinée par le talentueux Mario Boano et non par Pininfarina comme on le mentionne trop souvent, qui a supervisé tout de même le dessin final. La 1500 L a sauvé la gamme 1800/2300 très touchée par la conjoncture difficile du moment. Intelligemment, Fiat lui avait conservé une présentation assez cossue qui caractérisait d'ailleurs ses productions à l'époque. Par rapport à une 6 cylindres 1800, rien ne distinguait une 1500 L à la finition intérieure presque aussi riche.
Fiat 1500 L Le nom doit être flatteur Avant d'évoquer les insuccès, on peut classer la 504 L dans les demi-échecs. Cette 504 bas de gamme née début 1973 reprenait le procédé qui avait si bien réussi à Peugeot pour sa 403-7 quelques années plus tôt. Sous le capot d'une 504 à la présentation extérieure légèrement simplifiée par la suppression des butoirs de pare-chocs, Peugeot avait remplacé le 2 litre de 98 ch SAE par une version 1800 cm3 de 87,5 ch. Pour abaisser son coût, la présentation intérieure avait été simplifiée tandis que la belle suspension arrière à roues indépendantes laissait la place à un bon essieu rigide volé au break. La 504 L (pour Luxe) connut un succès relatif car avec 10 CV contre 11, elle restait dans la même catégorie fiscale. Et si ses qualités dynamiques n'étaient pas trop à la baisse, sa présentation intérieure vraiment trop succincte, dérivée des utilitaires, repoussa la clientèle, malgré l'écart de prix de 15 % avec la GL, plus richement présentée, et dotée d'un 2 litres carburateur.
Peugeot 504 L. Copyright Passons aux échecs, avec un retour chez Simca. En 1963, pour augmenter les ventes de la Simca 1000 qui patinent, le constructeur élargit sa gamme avec un modèle d'accès. Première erreur, celui-ci est baptisée 900, une désignation minorante. Deuxième erreur, il se reconnaît extérieurement à son absence de butoirs et surtout à ses cerclages de phares peints. Pour corser le tout, sa puissance est réduite de 5 ch SAE afin de diminuer ... la consommation, car la 1000 a mauvaise presse à cet égard. C'est une nouvelle erreur car la 900 consomme autant que la 1000 tout en allant moins vite à cause de ses 45 ch SAE. Les rares acheteurs de 900 se pressent dans les casses automobiles pour récupérer les portières de phares chromées de Simca 1000 accidentées assez nombreuses, ou même une calandre carrément supprimée fin 1964. La 900 sera un échec patent.
Simca 900 Simca tentera de nouveau le coup du bas de gamme en 1969 sans tomber dans le même travers puisque ce modèle, excepté l'absence de nos fameux butoirs, conservera un aspect identique au modèle Luxe. La nouveauté se cache sous le capot. Le 948 cm3 est redescendue à 777 cm3 et 31 ch, ce qui le fait chuter d'un cheval fiscal et donne à ce modèle le joli nom bien ficelé de Simc'4. Malgré un prix intéressant, la Simc'4 ne sera pas hélas un succès à cause de son moteur assez pointu, de surcroît vraiment pas économique, et surtout en raison du manque de fonctionnalité de la Simca face à une R4 ou une Ami 8 de l'époque.
Simc'4 Le bas de gamme doit être fiscalement intéressant Repartons de nouveau (et en marche arrière) chez Peugeot qui en 1968 tente de nous refaire le coup de la 403-7, avec cette fois la 404-8 qui connaîtra un bel échec alors que le cocktail est pratiquement le même. A la place du 1618 cm3 de 80 ch et 9 CV de la 404 GL, Peugeot glisse le 1465 cm3 de 65 ch taxé en 8 CV fiscaux, emprunté à la vieille 403. Il convient d'ajouter une présentation extérieure légèrement simplifiée consistant à enlever les butoirs, ce qui semble obsessionnel à cette époque pour distinguer deux versions entre elles, la planche de bord de l'ancienne génération de conception ancienne et un intéressant freinage à disques alors curieusement refusé à la version 1600. Les deux modèles sont séparés par un écart de prix de 10 %. La 404-8 ne décolle pas sauf auprès des administrations. La raison est en partie conjoncturelle. Fiscalement entre une 9 CV et une 8 CV, il n'y a pas assez d'écart, d'autant que le gouvernement a eu la " riche " idée en 1969 de doubler " provisoirement " le prix de la vignette à partir de 7 CV.
Peugeot 404/8. Copyright Même bévue chez Opel en 1959. Le constructeur se rend compte que sa gamme Rekord, qui ne débute qu'à 1500 cm3, lui enlève un gros potentiel d'acheteurs aspirés par Volkswagen. C'est à cette époque qu'on décide de mettre en chantier une petite 1000 cm3 baptisée Kadett, qui ne pointera l'éclair de sa calandre qu'en septembre 1962. En attendant, pour tenir, il faut faire avec les moyens du bord et on va redescendre l'antique 1500 cm3 à 1205 cm3, ce qui correspond presque à la cylindrée initiale en 1935 lorsqu'il avait vu le jour sur l'Olympia, puis monter cette mécanique sous la vaste carrosserie d'inspiration américaine de la Rekord P1 apparu en 1957, tout en enlevant évidemment les chromes et accessoires de confort. Résultat : avec ses poussifs 40 ch pour 4,40 mètres de long, l'Olympia 1200 apparaît totalement sous motorisée puisqu'elle frôle péniblement les 115 km/h.
Opel 1200 Surtout, Opel commet la même erreur que Simca avec la DeLuxe 6. En 1960, quand la marque dévoile sa nouvelle Rekord K2 à carrosserie d'inspiration italienne, elle conserve pour l'Olympia 1200 l'ancienne caisse dont les montants inversés d'inspiration US font furieusement démodés. Malgré son tarif attrayant, l'Olympia 1200 qui joue la jointure jusqu'à l'apparition de la Kadett connaîtra un succès relatif puisque seulement 66 000 exemplaires seront fabriqués en trois ans contre plus de 600 000 Rekord 1500/1700 pendant le même laps de temps. Une voiture neuve ne doit pas ressembler à une occasion Fin 1954, Renault tente de rajeunir sa Frégate à l'aide d'une calandre ovale puis des pare-chocs plus épais l'année suivante quant le moteur grimpe de 2 à 2,2 litre et 77 ch. Le modèle d'accès à la gamme conserve le 2 litres 65 ch d'abord sous le nom peu flatteur d'Affaire, ce qui est déjà une erreur et qui lui vaudra d'être rebaptisé en 1957 du charmant nom de Caravelle.
Renautl Frégate Affaire, 1955. Copyright Et alors ? Hélas, cette Affaire et cette Caravelle conserveront toute leur vie la vieille calandre à trois barres horizontales des modèles 1951 à 1954, calandre qui la démodait esthétiquement et qui faisait certainement dire aux voisins " t'as vu les Dupont, ils ont acheté une vieille Frégate d'occasion ! ". Direction Munich maintenant. Début 1975, pour faire bouger les ventes de sa 1602, avant que la 316 ne pointe le haricot de sa calandre, BMW décide d'abaisser son tarif. Comme justification, il rebaptise ce modèle 1502 sans en changer la cylindrée mais en abaissant la puissance à 75 ch contre 90. Mais dès que la 316 apparaît, la 1502, qui fait vraiment son âge, n'attire plus qu'une clientèle assez désargentée intéressée surtout par son prix cassé alors que ce n'était pas le but recherché par BMW, qui cherchait surtout à fidéliser des clients.
BMW 1502, 1975 N'omettons pas d'évoquer le cas des Ford SAF. Le constructeur proposait en 1952 une version utilitaire de la Vedette baptisée Abeille, à la présentation si dépouillée qu'on frisait presque la caricature. En 1953, lorsque la version trois volumes portée à 4,64 mètres a vu le jour, l'Abeille qui avait conservé son dos rond a continué sa discrète carrière. Ford l'a alors enjolivée de quelques chromes supplémentaires, se disant qu'elle pouvait après tout jouer le rôle de bas de gamme. Ce fut un zéro pointé. L'abeille souffrait de l'abominable défaut d'être démodée et de ressembler à une version de 1948 plutôt qu'à un modèle de 1954 ...
Texte : Patrice Vergès, 1999 -
Adaptation 2014 / Carcatalog |