Les moteurs greffés

Le moteur, c'est comme un coeur pour une voiture puisqu'il assure son mouvement. Nous allons ici vous parler des moteurs greffés. Bien entendu, on change le groupe propulseur d'une voiture lorsque celui-ci a fait son temps, ne satisfait plus aux normes anti-pollution ou pour d'autres raisons industrielles. Nous évoquons dans cette page les automobiles sur lesquelles on a transplanté des moteurs d'autres voitures, acte chirurgical qui n'était pas prévu au lancement de celles-ci.

Pourquoi greffer le moteur d'une autre ? Parce que étudier et industrialiser un groupe était une opération beaucoup plus onéreuse dans les années 60 que construire des carrosseries. Voici d'ailleurs pourquoi, à cette époque, les lignes changeaient plus fréquemment qu'aujourd'hui et les moteurs, en revanche, beaucoup moins ... Quand celui ci n'allait plus, il était plus facile de transplanter cet organe pris sur une autre.


La rédemption Volvo


La belle Facel Vega Facellia 1600 suscita un énorme intérêt lorsqu'elle fut présentée fin 1959. Une voiture de sport 100 % française était attendue depuis longtemps. Hélas, son moteur 1600 cm3 fabriqué par Pont à Mousson, qui se révéla peu fiable, ruina en frais de garantie la firme de Jean Daninos. Pour rassurer les futurs clients effrayés par la mauvaise réputation du bloc, Daninos alla taper à la porte du suédois Volvo, qui accepta de lui céder l'ensemble moteur boîte de la 122 S pour remplacer son groupe original. Animée par un 1800 cm3 délivrant 108 ch SAE et baptisée Facel III, cette version produite près de 18 mois à environ 600 exemplaires ne parvint malheureusement pas à sauver la firme d'Amboise qui fut contrainte de cesser ses activités fin 1964.

Facel Vega Facel III

Auparavant, Facel avait eu le temps de dévoiler un autre modèle nommée Facel VI, qui accueillait sous son capot au bossage plus volumineux le 6 cylindres en ligne de la " Big Healey ". Ce bloc théoriquement réduit à 2852 cm3 contre 2912 cm3 pour la version originale afin de redescendre la fiscalité à 16 CV au lieu de 17, délivrait 150 ch SAE, puissance qui donnait de belles performances à ce modèle particulièrement intéressant. La mort prématurée de Facel marqua également la disparition de cette version dont une cinquantaine d'exemplaires seulement ont été construits en six mois.

Facel Vega Facel 6

Restons avec cette bonne vieille mécanique anglaise puissance, assez mélodieuse et pas très coûteuse, qui a fait longtemps les beaux jours de l'Austin Healey 3000. Lorsque BMC décida d'arrêter ce modèle qui avait fait largement son temps en 1967, il récupéra ce moteur pour l'installer sur la MGB de conception plus moderne, dont les 85 ch délivrés par le 1800 cm3 4 cylindres étaient jugés un peu légers pour les américains friands de la vieille Austin Healey. BMC parvint à glisser ce bloc imposant à la place du petit 4 cylindres, en repoussant d'un côté la direction et de l'autre la suspension désormais confiée à des barres de torsion à l'avant placées sous le moteur. Sur le papier, cette MG rebaptisée MG C, reconnaissable à son large bossage de capot, riche de 150 ch, proposée de surcroît à un prix d'ami, ne manquait pas d'atouts. Las, à l'usage, très décevante, elle suscita vite des phénomènes de rejet de la part de la clientèle : avant lourdingue, moteur respirant mal, arrière trop léger, direction imprécise ... Cet ensemble de défaut générait un comportement vicelard, outre des performances décevantes. Tout cela incitera BMLC à jeter l'éponge seulement après deux ans de production, et 8999 voitures fabriquées. Exit la MG C.

MG C


Il ne rentre pas !


En 1964, pour élargir sa gamme Rekord et proposer une version plus rapide, Opel songea à remplacer le vieux 1700 cm3 à bout de souffle, puisqu'il datait de l'Olympia d'avant guerre, par le gros 2,6 litres en ligne de la Kapitan, né également en 1938. A l'époque, Opel faisait beaucoup de neuf avec du vieux. Cette Rekord 6 préfigurait en fait la Commodore qui naîtra trois ans plus tard. Seulement voilà, le long six cylindres de 2,6 litres développant 115 ch SAE ne rentrait pas tout à fait sous le capot. Qu'importe ! Les ingénieurs de Rüsselsheim ne se laissèrent pas démonter. Ils glissèrent l'imposant bloc en léger travers. Mais comme il n'y avait plus de place pour loger le radiateur d'eau, ils repoussèrent carrément celui-ci sur le côté et bricolèrent un petit ventilateur électrique pour le refroidir, ce qui n'était pas banal à l'époque. La Rekord 6 pointait à 175 km/h, consommait beaucoup, ne tenait pas bien la route, mais avait le mérite d'offrir un rapport prix / performances assez exceptionnel, ce qui explique que plus de 16 000 exemplaires aient été tout de même recensés entre 1964 et 1966.

Opel Rekord 6 (notez le logo Opel 6 sur la calandre)

Fiat fit exactement le contraire avec la 1500 L puisqu'il transplanta sous le capot de sa 1800 le 4 cylindres la la petite 1500. Dévoilées fin 1959, les Fiat 1800/2100 puis 2300 étaient animées par un joli six cylindres en ligne qui donna la vie à une extrapolation 4 cylindres montée dès 1961 sur les petites 1300/1500. Pour les taxis italiens qui souhaitaient le volume intérieur de la grosse 1800 mais pas l'appétit du 6 cylindres, Fiat concocta un cocktail pas inintéressant baptisé 1500 L (Lunga), en fait, une Ariane à l'italienne, mais en plus vif, puisque le petit 1481 cm3 développait 80 ch SAE, honorable puissance qui permettait à la 1500 L de pointer encore à 145 km/h. Cette version, plus agréable que la 1800 en ville grâce à son train avant plus léger, incita le constructeur turinois à l'inclure dans sa gamme où elle rencontra un honnête succès jusqu'en 1968, date à partir de laquelle elle céda sa place à la 125. Elle trouva un prolongement commercial chez Seat en Espagne.

Fiat 1500 L


Citroën à moteur Simca


Restons en Espagne où, suite au rachat de Simca par Peugeot, le lion de PSA se retrouva comme en France avec deux marques sur le dos. Pour des problèmes de fabrication, la 205 espagnole hérita, à la place du bloc PSA tout en alliage et à arbre à cames en tête, du vieux groupe en fonte à arbre à cames latéral d'origine Simca 1000/1100. Agrémenté de son célèbre bruit de machine à coudre dû à une distribution pas très réussie, ce bloc proposé en différentes cylindrées rendit de bon services. Il était pratiquement aussi agréable à l'usage que ses homologues français, jusqu'à ce que le nouveau TU lui succède. Mais ce bloc plus volumineux que celui d'origine obligea les 205 ibériques à recevoir un capot à bossage alors qu'il était au contraire creusé sur les tricolores.

Peugeot adoptera d'ailleurs pour la France cette bonne vieille mécanique née Simca sur ses premières 309 de 1100 et 1300 cm3. Néanmoins, Peugeot fit enfin redessiner la distribution pour supprimer ce trop fameux bruit de castagnettes sur cette brave mécanique qui rendra d'honorables services sur la 309 jusqu'en 1990, où elle prit une retraite largement méritée, puisque son dessin datait quand même des débuts de la Simca 1000. Mais ce n'est pas fini. Elle anima également la Citroën C15 essence, pas longtemps il est vrai, le temps d'une rupture de moteur lors de l'arrêt par Peugeot du bloc de la 104 qui équipait aussi les premières Visa. Des Citroën à moteur Simca, c'est étonnant ! Fait amusant, certaines Dodge Omni et Plymouth Horizon américaines étaient animées, elles, par un moteur de Volkswagen Golf.

Dodge Omni


Pas un triomphe


Passer de 4 à 6 cylindres a rarement été un succès. Il y a les lois de physique ... Triumph en a payé le prix sur sa jolie GT6 qui était une version coupé de la Spitfire, animée par le six cylindres en ligne de 2 litres de la berline 2000, à la place du vaillant 4 cylindres. Cette très sympathique Jaguar E en réduction s'avéra globalement assez décevante pour la même raison que la MG B : train avant lourd, arrière léger, moteur pas très vivant. Sur la version Mk 2 proposée deux ans plus tard en 1968, Triumph rectifia en partie le tir, ce qui permit à ce minuscule coupé à la présentation plutôt réussie de perdurer jusqu'en 1973, en étant fabriqué tout de même à 42 000 exemplaires.

Triumph GT6

Cette mécanique d'origine Standard (du nom du constructeur) fut également transplantée sur la version berline de la Spitfire qu'était l'Herald, rebaptisée dans ce cas Vitesse 6. Il faut savoir qu'au départ, en 1962, elle fut même proposée en version 1600 cm3, cylindrée qui en faisait à l'époque le plus petit six cylindres du monde, titre que n'aura pas peur de s'arroger Mazda qui lança en 1991 sont petit coupé MX3 6 cylindres de 1800 cm3. Il n'y a de nouveau que ce qui est oublié ...

 Triumph Vitesse

En revanche, le passage du 4 cylindres au 6 cylindres sur la Triumph TR4 a plutôt été positif. Excepté un train roulant un peu fragile, le roadster anglais a plutôt bien supporté ce même moteur poussé à 2,5 litres et 152 ch alimenté par une injection assez capricieuse. Cette super TR4 rebaptisée TR5 Pi (Petrol Injection) restait plutôt bien équilibrée et autrement plus méchante que l'ancienne TR4 dont l'antique 4 cylindres de 2138 cm3 était à bout de souffle. Mais sa carrosserie trop vue et déjà vieillissante condamna rapidement la TR5, qui ne vécut qu'une petite année avant de s'effacer devant une version rajeunie esthétiquement, la TR6, qui elle perdura jusqu'en 1976 après avoir, il est vrai, laissé pas mal de canassons assez gourmands à l'écurie. Un beau succès puisque toutes les versions 2,5 litres 6 cylindres ont été construites à plus de 100 000 unités, si l'on tient compte des TR 250 US.

Triumph TR5 PI


De 4 à 3 cylindres


Daimler avait lancé en 1959 un intéressant cabriolet animé par un original petit V8 de 2,5 litre dessiné par la marque de moto BSA, propriétaire de la firme d'automobile, qu'elle céda ensuite à Jaguar. Celui ci décida d'élargir la gamme en greffant sur la Jaguar Mk 2 à la place du long 6 cylindres HK le compact V8 2,5 litres. Présentée au salon de Londres 1962, cette Daimler à moteur V8 qui se distinguait de la génitrice par les cannelures de sa calandre vécut jusqu'en 1968.

Daimler V8 250

Toujours en Angleterre, Lotus dévoila son modèle Europe en 1966, un petit coupé sportif animé par un moteur français, emprunté à la Renault 16. Malgré un léger gonflage, ce 1500 cm3 manquait sérieusement d'agressivité pour une voiture au look et au nom alors aussi emblématiques. C'est la raison qui poussa Lotus à remplacer l'anémique Renault par un Ford double arbre 1600 cm3 qui développait jusqu'à 125 ch sur les ultimes versions produites jusqu'en 1976.

Lotus Europe

La Mini était fabriquée sous licence en Italie par Innocenti qui décida en 1974 de la faire rhabiller par Bertone. Mais cette version plutôt réussie ne sauva pas la petite firme qui fut cédée à l'Argentin Alessandro de Tomaso après la rupture des accords avec Austin. Bref, De Tomaso se retrouva avec une jolie carrosserie mais plus d'éléments mécaniques. Il ne se démonta pas. Il fit redessiner une suspension bien plus réussie que celle de l'originale, et remplaça le canonique bloc de l'âge de fonte par un original 3 cylindres 4 temps du constructeur japonais Daihasu. Cette nouvelle Innocenti connut une curieuse deuxième vie, en version 1000 cm3 atmosphérique turbo (68 ch) qui cassait comme du verre, et même en version diesel qui cassait elle comme du cristal ! L'argentin arrêta les frais au début des années 90, car les acheteurs eux, s'étaient bien rendu compte qu'il s'agissait bien d'une mauvaise plaisanterie.

Innocenti 650 à moteur Daihatsu


Trois moteurs en trois ans


Citons aussi la Saab 96 3 cylindres 2 temps sur laquelle on a transplanté le pauvre Ford V4 des 12 M. La De Lorean hérita du V6 PRV, Daf du moteur Cléon Fonte hérité de la R8, la Maserati Merak du même moteur que la SM et de son hydraulique complexe.  Il en fut de même pour la René Bonnet Le Mans qui troqua son bicylindre Panhard contre le 4 cylindres 1108 cm3 de l'utilitaire Estafette ou de l'Ami 8 Super à moteur GS.

En fait, la plus réussie des greffes, c'est celle de l'Ariane 4 dont le moteur V8 2,3 litres d'origine Ford céda sa place au petit 1290 cm3 de l'Aronde. L'antique V8 à soupapes latérales ne fut pas perdu pour tout le monde, et c'est dommage puisque c'est le pauvre coupé Talbot qui hérita de cette mécanique en 1959.

Simca Ariane 4

L'année précédente, la Talbot était déjà passée sur la table d'opération pour recevoir le coûteux V8 BMW de la 507 en lieu et place de son 4 cylindres 2,5 litres. Avec trois moteurs transplantés en quatre ans, la pauvre Talbot ne s'en remit pas et poussa son dernier soupir en 1960. Son créateur aussi d'ailleurs. Il y avait de quoi.

Rosengart Ariette

Bien que les années cinquante soient déjà lointaines, achevons avec l'infortunée Rosengart Ariette redessinée élégamment par Philippe Charbonneaux qui était animée, enfin c'est une expression, propulsée par un antique 750 cm3 latéral d'origine Austin qui datait des années 30. Pour survivre, Rosengart tenta d'adopter un flat-twin 750 cm3 issu des motos CEMEC, mécanique pompée sur les moteurs BMW, sur une version rebaptisée Sagaie, puis par un 750 cm3 Panhard sur une autre version de base rebaptisée Scarlet. Mais vendus à un tarif irréaliste, ces modèles sonneront la fin de la marque française en 1955. 


Texte : Patrice Vergès, 1998
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