Autant en apporte le vent
L'aérodynamique est conditionnée par les becquets, spoilers et autres ailerons dont sont affublées nos voitures. Inspiré de l'aviation, dans le passé, les voitures de compétition étaient habillées d'une carrosserie aérodynamique en forme de goutte d'eau ou de fuseau. Mais, plus elles allaient vite, plus elles avaient tendance à décoller du sol. Ces avions sans aile étaient les victimes de la portance positive qui les délestait. De ce fait, durant les années 60, le sport automobile a été émaillé par de nombreux accidents quand les sports prototypes ont commencé à s'approcher des 300 km/h. Pour mieux les plaquer au sol, afin de générer une portance négative, on a fixé empiriquement sur leur carrosserie des bavolets, becques, flaps et autres dérives. Bien sûr, c'était plus du bricolage que de la technique, mais l'on faisait au mieux avec ce procédé. Le pilote américain Richie Ginther, chargé de mettre au point la mythique Ferrari GTO en 1961, avait remarqué qu'elle manquait de stabilité à haute vitesse à l'arrière. Ginther, qui avait été aviateur, s'est alors souvenu que les avions possédaient des becquets. Il a demandé aux mécanos de la Scuderia de découper une plaque d'alu qu'il a fait fixer avec des rivets à l'arrière de la GTO, qui par miracle a retrouvé sa stabilité. Le premier becquet arrière était né. Pour ne pas en faire profiter la concurrence de cette initiative, chez Ferrari on a prétendu que ce morceau de tôle avait pour rôle d'empêcher la fumées des quatre sorties d'échappement de rentrer dans l'habitacle.
Ferrari 250 GTO Qui sème le vent Même chanson chez Abarth. C'est en levant par hasard le capot arrière pour activer le refroidissement de leur voiture, que les pilotes se sont rendu compte que non seulement celle-ci allait plus vite en ligne droite, mais se révélait en prime notoirement plus stable. Evidemment, chez Abarth, on a gardé ce truc pour soi en continuant à prétendre que c'était pour mieux refroidir la mécanique. Bref, à la fin des sixties, toutes les voitures de sport, de la F1 aux sport-proto ont commencé à être armées de volets, becquets, spoilers et ailerons.
Fiat Abarth 1000 TCR Et on peut se douter de ce qui arriva. La voiture de Monsieur tout le monde ne pouvait pas y échapper, du moins à sa manière. La Porsche 911 manquait de stabilité. Pourtant, le constructeur allemand avait déjà tenté de réduire la portance de sa GT en chargeant le train avant à l'aide de deux batteries et de butoirs en ... plomb. Hélas, sans obtenir de résultats très positifs. Fin 1971, il équipe sa 911 S 2.4 l d'un bavolet beaucoup plus imposant, de forme concave, qui diminua la portance de 40 %. Un miracle. Mais, du coup, c'est l'arrière qui commençait à se montrer très léger. C'est pourquoi, sur la Carrera 2,7 l qui vit le jour l'année suivante, Porsche équipa sa voiture d'un curieux becquet arrière en forme de queue de canard. Ce becquet réduisant de 70 % la portance arrière, améliorait également le coefficient de pénétration dans l'air, et augmentait l'adhérence à pleine charge de 20 %, offrant une stabilité à la Carrera inconnue sur la 911 S 2,2 l. Le spoiler joignait l'utile à l'agréable puisqu'il lançait une mode.
Porsche 911 Carrera RS 2,7 Pour imposer une mode, il faut être prescripteur, c'est à dire être connu. Porsche l'était. En quelques mois, évidement, tous les accessoiristes auto proposeront des spoilers et autre becquets adaptables. Bien entendu, tous les possesseurs de Porsche 911 ne vont avoir qu'un obsession : rajeunir leur voiture en lui offrant de surcroît un look plus agressif en adaptant ce parement aérodynamique. Porsche ira beaucoup plus loin en octobre 1974 avec la Turbo, une voiture qui lancera la mode du gigantesque aileron arrière horizontal que de nombreuses personnes alors peu averties prenaient ... pour un porte bagage. Combien de possesseurs de vieilles 911 ou 912 ont donné à leur voiture ce fameux " turbo look " en adoptant un spoiler et un aileron démesurés.
Porsche 911 Turbo Le vent en poupe Opel installa sur sa nouvelle Commodore GS/E un imposant et pas très discret spoiler avant, qui la faisait ressembler à un chasse neige.
Opel Commodore GS/E BMW poussa le bouchon encore plus loin. D'abord sur sa puissante 2002 turbo fin 1973 reconnaissable à son épais spoiler avant appuyé par un becquet de coffre.
BMW 2002 Turbo Mais on n'avait rien vu avant que n'arrive la BMW 3.0 CSL " Batmobile ", qui en matière aérodynamique jouait la totale : spoiler, aileron arrière, dérives latérales et aileron de toit ... Peu efficaces sur la version client de 200 ch (plus 5 km/h), ces artifices aérodynamiques qui avaient été homologués se révélaient surtout utiles sur les puissantes versions groupe 2, qui fraisaient les 300 km/h en pointe, et qui avaient un crucial besoin d'appui à cette allure. Nous n'allons cependant pas évoquer toutes les voitures qui ont reçu l'aide d'un spoiler ou d'un aileron, cela occuperait des pages ...
BMW 3.0 CSL A partir de 1973, un vent de folie a soufflé chez tous les constructeurs d'automobiles en matière de spoiler. Comment avait-on pu vivre sans lui ? En fait, il va équiper certaines voitures, non pas pour en améliorer les qualités aérodynamiques mais surtout pour mieux affirmer l'identité et la personnalité de la version sportive. Si les voitures de course étaient coiffées d'ailerons, il n'y avait pas de raison que les versions sportives de série n'en bénéficient pas. Le phénomène rencontré durant les années 60 avec les bandes de couleurs et les capots noirs se renouvelait. En France, Simca, comme de coutume, s'y colla le premier un ajoutant un petit déflecteur spoiler et un aileron de toit sur sa sportive 1100 Ti.
Simca 1110 Ti Renault fixa en haut du hayon de sa R16 TX une sorte de peigne déjà testé sur les Alpine du Mans qui offrait gratuitement 5 km/h supplémentaires. En vrac, citons ces années là les Alfasud Ti, Dolomite Sprint, Datsun 260 Z, Manta GT/E, Celica 1600 GT, Fiat X 1/9 et beaucoup d'autres, dont quelques américaines pas très discrètes comme la Javelin et autre Camaro SS.
Datsun 260 Z On se doute que ces fameux ailerons et becquets vont être accueillis par des voitures pour lesquelles ils n'avaient pas du tout été prévus. Parfois, les ailerons s'intégraient maladroitement sur des formes carrées, et détruisaient plus le coefficient de pénétration dans l'air et l'appui que si rien n'avait été entrepris, ceci d'autant plus que ces accessoires en polyester n'étaient évidemment pas pour la plupart passés en soufflerie. On se souvient des R8 et R12 Gordini " spoilérisées ", des Simca 1501 "feuverisées ", des Capri et autres NSU défigurées par ces appendices posés là comme ça. On ne parlait pas encore de voiture de Jacky à cette époque ! Contre vents et marées Il fallait à tout prix avoir un un spoiler si on désirait avoir l'air branché. Ainsi, même Bentley collera un spoiler sur son imposante T2, parement qui vous vous en doutez, allait comme un chapon melon à un cow-boy.
Bentley T2 Aston Martin en installera un sur sa colossale Vantage. Citroën succombera à cette folie en accoutrant sa GSX d'un aileron à l'arrière. C'est tout juste si la 2 CV y échappera ! Même la veille Simca 1000 carrée comme une boîte à chaussures, dans son ultime version sportive Rallye 3, héritera d'un aileron et de l'indispensable spoiler qui jouera il est vrai un rôle très actif.
Simca 1000 Rallye 3 Mais déjà se pointait la deuxième crise de l'énergie de 1979 qui fit grimper le litre de super à des prix indécents. Les constructeurs automobiles qui n'avaient vu dans ces accessoires qu'un rôle esthético sportif se rendirent compte qu'ils pouvaient légèrement réduire le Cx et, de ce fait, diminuer la consommation de la précieuse essence. Du coup, des braves berlines familiales qui n'avaient vraiment rien de sportives découvrirent les vertus des ailerons et becquets certes plus discrets, des jantes flasquées, des gouttières masquées et des sabots d'ailes.
La Renault 9 TXE, avec son équipement aérodynamique A cette époque de nombreux véhicules avouaient fréquemment des Cx encore proche de 0,45. Grâce à ces additifs beaucoup redescendirent autour de 0,40, voir moins. La Peugeot 505 par exemple, grâce à son spoiler avant et à son aileron de malle arrière, tomba à 0,37 sur certaines versions, contre 0,40 d'origine. Quel bon vent Cela dit, la mode GTI qui pointa son nez vers le milieu des années 80 redonna un second souffle à ces appendices. Déjà, de nombreux possesseurs de Golf 1 équipée d'un spoiler avant au demeurant assez discret, avaient rajouté un aileron arrière en matière souple. La naissance de la 205 GTI, puis d'une foultitude de modèles vitaminés ne fit qu'exacerber le phénomène spoiler. Citons quelques GTI de cette période qui avaient le droit à la totale : Citroën Visa GTI et BX Sport, Peugeot 309 GTI, Renault 5 Turbo, Ford Escort Turbo, MG Metro Turbo ... (Brr ...). L'incroyable Nissan GTI était créditée d'un Cx bidon de 0,27, époque où cet argument faisait mouche.
Citroën BX Sport Ford qui n'avait peur de rien dans le sens de la démesure tenta même le coup du double aileron sur sa Sierra XR4i.
Ford Sierra XR4 i Il ira plus loin en 1985, avec la première version de sa Sierra Cosworth affublée d'un énorme aileron central qu'on reverra sur les premières Escort Cosworth. Le double aileron arrière, c'était le top du top !
Ford Escort Cosworth Une casquette de toit coiffait la lunette arrière de la terrible 205 Turbo 16 groupe B et de la R5 Maxi Turbo. Evidemment, de nombreux possesseurs de R5 GTL et autres 205 Junior riches de 45 ch s'étaient rués sur ces accessoires pour en parer leur monture afin qu'elle fasse songer à une voiture de groupe B.
Peugeot 205 Turbo 16 On en verra durant ces années des cauchemars esthétiques, des excès aérodynamiques également. Combien de Cx qui sont partis joyeux et qui sont revenus détruits par des spoilers rajoutés comme ça au pif ! Combien de moteurs privés d'air, de freins mal refroidis, de beaux spoilers brisés lors d'un freinage trop appuyé ou par un trottoir trop haut. Ô combien de crânes égratignés par une serrure de couvercle de coffre devenu trop lourd à cause du poids supplémentaire d'un becquet rajouté, que les ressorts compensateurs ne parvenaient plus à compenser. En France, le dynamique et opportuniste importateur André Chardonnet tirera un bon parti de la mode Cx. Il bricolera les voitures qu'il importait, en rajoutant des parements aérodynamiques qu'il testait parfait en soufflerie, parfois pas, notamment sur les vieillissantes Polski PSO, qu'il submergera de becquets et autres ailerons qui sentiront tout de même le rajouté bon marché en ne s'intégrant pas du tout avec la robe pas très sexy de ces mamies. Poch fera bien pire avec certaines Lada hérissées d'ailerons et de becquets de fort mauvais goût ... L'apparition de la mythique Ferrari F40 au gigantesque aileron arrière qui ceinturera sa croupe, déjà vu sur la Porsche 959, lancera ce design sur quelques coupés sportifs. Certaines berlines comme la Renault 21 Turbo et la Peugeot 405 Mi 16 s'en inspireront, en plus discret, fort heureusement.
Renault 21 Turbo Vent dans les voiles Petit à petit, les constructeurs vont créer des carrosseries réellement et originellement aérodynamiques, ce sans l'aide de tous les artifices. L'Audi 100 sera une des premières berlines à obtenir un Cx de 0,30. Opel fera aussi très fort avec l'Opel Calibra. Porsche, l'apôtre de cet appendice, à partir de sa Carrera 2 née fin 1989, reviendra à un aileron arrière qui se fera oublier, puisque escamotable à basse vitesse et à l'arrêt.
Opel Calibra Dorénavant, les ailerons et spoilers seront intégrés, noyés dans des carrosseries aux formes plus fluides et moins tourmentées que naguère. Cela dit, c'est bien connu, une mode chasse l'autre, et on n'invente qu'avec le souvenir. La tendance tuning qui consiste à modifier les voitures à l'aide d'aileron et de spoiler baptisés dorénavant bouclier puisqu'il englobe le pare-chocs va redonner une sorte de deuxième souffle à cet accessoire, davantage pour se distinguer de l'autre cette fois que pour améliorer l'aérodynamique de sa monture comme naguère.
Texte : Patrice Vergès, 1996 |