Séries noires
Si le noir est souvent une couleur à connotation négative dans la vie, en matière automobile, elle est au contraire une teinte quasi miraculeuse. Le noir, c'est la reine des couleurs, affirmait le célèbre peintre Auguste Renoir. C'est vrai, le noir est une couleur simple ... merveilleusement complexe. Elle ne vole pas la vedette comme d'autres. Au contraire, elle met en valeur. On s'habille en noir pour paraître plus mince. Les blondes sont fréquemment vêtues de noir pour mieux faire ressortir le doré de leur chevelure. Les gens du show-biz sont souvent habillés en veston et tee-shirt noirs qui permettent à leur personnalité, voir leur charisme, de mieux s'imposer. Bref, le noir réduit les surfaces, accentue l'opposition des couleurs, met en avant des sentiments et des formes. Voici pourquoi elle est la couleur chouchou des designers qui l'utilisent pour donner davantage de personnalité ou de relief à leurs carrosseries, et ce, depuis longtemps. Les gueules noires Avant la guerre, quant les voitures bicolores étaient fréquentes, les ailes étaient souvent peintes en noir, avant que les lignes dites ponton les fassent disparaître. En parement, le noir sera plus ou moins utilisé.
Les ailes noires des Aston Martin 15/98 d'avant guerre Mais c'est Opel qui va lancer la mode du capot noir mat. Pourquoi mat ? Le constructeur allemand s'est inspiré de la coutume de certains pilotes scandinaves qui peignent ainsi le capot de leur Saab ou de leur Volvo. D'après eux, ce capot noir évite les reflets éblouissants lorsqu'il y a du soleil. Sur la neige blanche, il permet au pilote de mieux visualiser la position du capot par apport à la route. Désormais, capot noir mat devient synonyme de voiture sportive. Opel repasse une couche sur la Commodore GS présentée un an plus tard. Une mode est née. La filiale anglaise de la General Motors y vient avec sa Vauxhall Viva GT. Ford saute des deux pieds dans cet artifice décoratif pour en affubler sa dernière Capri dans ses définitions les plus affûtées.
Ford Capri A son tour, Simca toujours à l'affût des modes s'y colle avec ses Simca 1000 Rallye dès 1970 et le poursuit sur la lignée des 1000 Rallye 2.
Simca 1000 Rallye 1 Opel la reprend pour ses Manta et Ascona SR, Fiat l'adopte pour sa 124 Rallye Spider, tandis qu'Autobianchi en use sur son aguichante A 112 Abarth.
Opel Ascona SR
Fiat 124 Rallye Spider, avec tous les attributs d'une pure sportive Cette tendance du capot noir mat qui n'enjolivera que des voitures à tendance sportive durera une dizaine d'années avant de disparaître comme elle était arrivée. A titre privé si l'on peut dire, beaucoup d'autres voitures avaient repris cette décoration. En effet, de nombreux particuliers faisaient peindre en noir mat le capot de leur R8 Gordini et R8 tout court, ou de leur NSU ... Noir, c'est noir Revenons en au noir né de la révolution de 1966. C'est l'année durant laquelle apparaît la fantastique Lamborghini P 400 Miura. Jusqu'alors les voitures sportives avaient le droit comme les autres à des chromes qui enjolivaient leur carrosserie : prise d'air, pare-chocs, phares, clignotants ... La Miura n'a presque pas de chrome. Celui ci est remplacé par du noir mat qui tranche sur la couleur vive de ses volumes, et fait mieux ressortir la fonction des éléments ainsi soulignés. Un coup de génie de Bertone.
Lamborghini Miura Le noir est utilisé pour la grille d'évacuation d'air chaud du capot, sur les persiennes de lunette arrière, sur les pare-chocs et sur les fameux cils de phares entr'ouvables. Par son concept, la Miura va vieillir brutalement toutes les voitures sportives et devenir une valeur référence. Elle lance une mode. Mieux, elle la fait. Elle démode d'un seul coup le chrome jusqu'alors utilisé par tous les constructeurs; Au fait, pourquoi ? Jusqu'alors, ce fameux chrome symbolise la réussite et la richesse, et véhicule toujours implicitement l'image de la voiture américaine des fifties qui dégoulinait obligatoirement de chromes bien clinquants. Cette mode était née à l'aube des années 50 quand les matières premières manquaient à la pauvre Europe, obligeant nos voitures à êtres pauvres en enjolivures, alors que les américaines qui faisaient rêver en étaient submergées. Pour cette raison de nombreux accessoiristes proposaient des pièces chromées, Robri se qualifiant même de " joaillier de l'automobile ". On offrait du chrome à sa voiture, comme un bijou à sa femme ! Au milieu des années 60, le chrome a toujours conservé cette image de luxe et de cherté, jusqu'à la Miura, qui lui fait prendre brutalement un coup de vieux. On assiste en quelques mois à une véritable révolution dans les esprits. La calandre Pendant longtemps la calandre a été une véritable vitrine du véhicule. Une sorte d'arbre de Noël chromique, surtout sur les américaines. Obligatoirement, cette calandre était entourée, soulignée, striée, balayée, bariolée de chrome. Seules les voitures de compétition en étaient dépourvues, offrant une ouverture d'air béante sur le noir du large radiateur. La vision d'un avant noir était devenue synonyme de voiture de sport. C'est la raison qui a certainement incité les constructeurs américains puis européens à peindre en noir la calandre de leurs voitures à connotation sportive. Opel fut là encore un précurseur avec sa Kadett Rallye qui conservait néanmoins une bande centrale chromée. Simca suivra avec sa 1301 Special, Austin avec la 1300 GT ...
Opel Kadett Rallye
Petit à petit, la matière plastique teintée dans la masse se substitue à l'élément métallique peint, comme sur la Saab 96, la Fiat 124 T, les Volvo ...
Saab 96, avant et après le passage au noir Au début des années 70, pratiquement toutes les voitures adoptent la calandre noire. Même les mamies se font noircir la face. Citons les déjà anciennes Renault 4 et Renault 16, la 504 Peugeot ...
Renault 4, 1978 Mais une mode chasse l'autre, c'est connu. La Ford Granada restylée en 1982 innove avec sa calandre à lamelles peintes couleur carrosserie. Certes, cela choque un peu. Mais quand Peugeot reprend cette idée pour sa nouvelle 205 dès 1983, le noir ne va plus annoncer la couleur.
Peugeot 205, 1983 Dorénavant, les calandres vont êtres recouvertes de peinture de la même teinte que celle de la carrosserie. Les mêmes qui peignaient leur capot en noir vont couvrir quinze ans plus tard la calandre de leur Golf ou de leur Escort avec la même teinte que leur carrosserie, sans oublier les essuie-glaces qui eux aussi ont depuis longtemps adopté le fameux noir. A cause de ces satanés reflets évidemment ! En trompe l'oeil Le noir a été également utilisé dès le début des années 80 pour souligner l'encadrement des portes auparavant peints ou chromés. L'entourage noir lié à l'apparition de glaces plus foncées que naguère crée l'illusion d'une surface vitrée agrandie. Ford, sur la Taunus puis sur la Capri a été l'un des pionniers de cet artifice, suivi par beaucoup d'autres, notamment Fiat avec la 131, Alfa Romeo avec le coupé GTV, puis pratiquement tous les constructeurs.
Alfa Romeo GTV L'éclosion des portes de type autoclave a épaissi singulièrement les montants latéraux qui adoptent la couleur de la caisse, ou le noir pour procurer une vision ininterrompue des glaces latérales. L'entourage de la glace latérale arrière permet également de modifier la silhouette de la voiture, habillant souvent la grille d'aération. C'était le cas du coupé Peugeot 104 Z.
Peugeot 104 Z Dans un genre encore plus osé, Renault utilisa sans parcimonie le plastique noir strié pour souligner la custode arrière du hayon de son coupé Fuego.
Renault Fuego Citons aussi Porsche qui a régulièrement traité sa 911 à la peinture noire. D'abord à l'aide d'une grille noire de capot moteur dès 1972, puis en peignant au fil des années les entourages de glace et autres anges Oliver. A cette époque, plusieurs possesseurs de 911 chromée utilisaient le noir, véritable fontaine de jouvence de l'automobile, pour rajeunir leur monture. Et oui, quand le noir fait paraître plus jeune !
Porsche 911 Turbo Le vilain petit cochon En 1978, peu après avoir été racheté par Peugeot, Citroën présente la Visa, qui a connu une naissance des très laborieuse. Voiture du crise, la Visa n'est pas non plus très jolie avec sa calandre bouclier qui fait songer à un groin de cochon. Elle est empêtrée dans des formes engraissées et molles. Malgré de réelles qualités, à cause de son esthétique ingrate, la Visa ne décolle pas commercialement.
La Visa, avant et après le restyling Citroën qui mange à l'époque son pain noir et n'a pas les moyens de la redessiner, demande au carrossier Heuliez de réaliser un lifting à peu de frais pour relance ses ventes. Avec trois francs six sous, beaucoup de talent, et surtout un bon pot de peinture noire, Heuliez réalise un véritable tour de force esthétique qui va permettre à la Visa 2 présentée en 1981 de repartir d'une bonne roue pour une très belle seconde partie de carrière commerciale. Outre des boucliers et des feux redessinés, sans toucher à la tôlerie, Heuliez masque le vilain bossage du groin par un entourage de couleur autour de la calandre, et allège les flancs avec une bande latérale de protection. Pour donner l'impression d'une surface vitrée accrue et aérer la silhouette, tout l'encadrement des portes est largement peint en noir, tandis que la custode est réduite par un bandeau de plastique noir qui allonge fictivement la glace arrière. Au prolongement noir de la base de la lunette arrière déjà utilisé sur les dernières Visa 1, s'ajoute désormais une bande noire à la base du pare-brise, créant l'illusion d'une surface vitrée notoirement agrandie alors qu'elle est restée la même. Noir miracle ! Renault utilise également le noir pour la même raison, alléger visuellement le hayon arrière de sa Renault 30, dont la surface vitrée est encadrée par cette teinte.
Renault 30 Talbot fait l'inverse sur une Horizon critiquée pour le volume réduit de sa malle arrière. En remontant le couvre bagages, Talbot augmente l'espace utile. Le problème, c'est que l'on voit maintenant les bagages à travers la lunette arrière à la surface vitrée très généreuse. Que faire ? Un petit coup de pinceau noir à la base de la lunette pour réduire sa surface et cacher le contenu du coffre des yeux indiscrets, et le tour est joué.
Talbot Horizon Noir salvateur qui agrandit, réduit, modifie, rajeunit, allège, épaissit. Il y aurait beaucoup à dire sur les pavillons recouverts de skaï noir, sur les poignées peintes en noir, sur les poupes noires et sur les pare-chocs noirs qui ont fait florès avant l'avènement des boucliers.
Pavillon en skaï noir de rigueur sur cette Chrysler française Le noir reste un inépuisable outil trompe l'oeil pour les designers. Pininfarina par exemple a toujours refusé de peindre en couleur caisse les coquilles des rétroviseurs bien que cela soit à la mode. Voilà pourquoi le sublime coupé 406 possède des rétroviseurs noirs comme la plus banale des japonaises. Le carrossier italien trouvait que ces organes peints font songer des verrues, tandis que le noir, au contraire, par sa discrétion, permet aux rétroviseurs de mieux s'intégrer esthétiquement dans la pénombre des vitres latérales.
La coquille noire des Peugeot 406
Texte : Patrice Vergès, 1997 |