Matra, l'inventeur du monospace


Sous l’impulsion de son jeune dirigeant Jean-Luc Lagardère, la firme Matra spécialisée dans le domaine de l’armement se diversifie dans l’automobile à partir de 1964, en reprenant l’outil industriel et la voiture sportive produite par la firme René Bonnet. Associé de Simca à partir de 1970, Matra imagine le concept de monospace au début des années 80 qu’il revend à Renault en 1984.


Spécialisée dans le domaine de l’armement, la firme Matra se diversifie dans l’automobile en 1964, au moment de la disparition du dernier constructeur français de prestige, Facel Vega. Dirigée par un passionné d’automobile, Jean-Luc Lagardère, Matra rachète la petite firme René Bonnet qui produisait à faibles cadences des petites voitures de sport à carrosserie plastique, rivales des Alpine Renault, dans une petite usine située à Romorantin.

La Matra Djet produite de 1964 à 1967 est en fait une René Bonnet rebadgée. C’est ainsi que débute l’aventure de Matra dans l’automobile.

Ces voitures, rebaptisées Matra-Bonnet Djet, sont produites en petites quantités de 1964 à 1967, pendant que la firme de Romorantin travaille sur un nouveau type de coupé 2+2 à moteur central, toit amovible en deux parties, phares rétractables et carrosserie plastique. Les Matra-Bonnet Djet sont rebaptisées Matra Jet en 1966.


1967 : Matra 530. 


La remplaçante de la Matra Jet est lancée en mars 1967, au Salon de Genève. Elle est baptisée 530, reprenant le nom d’un missile produit par la branche Armement de Matra. Elle est annoncée par le constructeur comme " la voiture des copains " car elle est destinée à une clientèle jeune et peu fortunée. Ce slogan s’inspire de l’émission " Salut les copains " qui est écoutée chaque jour sur Europe 1 par des millions de jeunes. Cependant la voiture va rater sa cible car trop chère, la plupart des jeunes amateurs pouvant seulement s'offrir des voitures d’occasion, comme les Renault 8 ou Simca 1000.

Elle souffre du trop peu performant moteur hérité de la Ford Taunus 17M. La Matra 530 est en effet dotée d’un moteur Ford de 1,7 litre développant 72 ch placé en position centrale, derrière l’habitacle, le constructeur n’ayant pas les moyens de concevoir un tout nouveau moteur à partir d’une feuille blanche. En avril 1969, la Matra 530 hérite du moteur de la Ford Taunus 17M RS, toujours pas assez vigoureux, bien que sa puissance passe de 72 à 75 ch. Au total, la Matra 530 est produite à 9 609 exemplaires entre 1967 et 1973, alors que le constructeur en espérait cinq fois plus.

La Matra 530 lancée en 1967 a une silhouette bien particulière avec son avant plongeant et son arrière tronqué. Ce modèle est doté d’un moteur Ford de 1,7 litre placé en position centrale.

En 1970, Matra s’associe avec la firme Simca - qui va devenir Chrysler France le 1er juillet 1970 - dans le but de distribuer la 530 dans le réseau Simca, et accroître ainsi son volume de ventes. Mais cette association ne donne pas entière satisfaction, d’autant plus que Simca possède déjà un petit coupé sportif, la 1200 S, aussi compact et aussi performant. En outre, la filiale française du groupe Chrysler rechigne à vendre un modèle doté d’un moteur Ford.

Les versions LX à lunette arrière non amovible, et SX à phares non rétractables et toit fixe, lancées en 1970 et 1971 pour faire baisser le prix du modèle ne parviennent pas à booster la carrière commerciale de la 530. Il est décidé que sur la remplaçante de la Matra 530 le nom de Simca s’ajoutera à celui de Matra sur la carrosserie. Cela sera aussi le cas sur les voitures de compétition que la firme de Romorantin construit et fait courir sur les circuits internationaux.


 1973 : Matra Bagheera. 


Matra et Chrysler France ont beaucoup de chance car les Matra-Simca remportent trois victoires successives aux 24 Heures du Mans en 1972, 1973 et 1974. Ces victoires redorent l’image des deux constructeurs - plus celle de Simca que celle de Chrysler France d’ailleurs - et favorise le succès de la nouvelle Matra-Simca Bagheera lancée en avril 1973, un nouveau coupé de 4 mètres de long à carrosserie plastique, à trois places de front, et dont le moteur placé en position centrale provient cette fois de la Simca 1100 Spécial.

La Matra Bagheera commercialisée en 1973 pour succéder à la 530 est dotée d’un moteur Simca de 1,3 litre plus puissant que l’ancien moteur Ford. Elle possède trois places à l’avant, ce qui en fait sa principale particularité.

Il s’agit d’un 1294 cm3 de 84 ch qui permet une vitesse maximale de 182 km/h, soit 10 km/h de plus que la 530. Une version S avec le 1442 cm3 de 90 ch monté sur la Simca 1308 GT est commercialisée à partir de 1975. La Matra-Simca Bagheera, distribuée dans le réseau Simca-Chrysler, a été produite au total à 47 796 exemplaires de 1973 à 1980, année de son remplacement par la Murena. Celle-ci en reprend le principe, mais connaît un succès plus modeste et plus éphémère, avec 10 680 exemplaires produits de 1980 à 1984 - soit 2 670 par an en moyenne contre 6 830 par an pour la Bagheera - en partie à cause des turbulences provoquées par le rachat de Chrysler France par PSA en 1978, suivi par un changement de nom en Talbot en 1979.

La Matra Murena lancée en 1980 pour succéder à la Bagheera reprend la philosophie de son ancêtre. Elle est dotée de moteurs Simca 1,6 litre et 2,2 litres, ce qui lui autorise des performances encore meilleures.

La Murena est donc commercialisée sous la marque Talbot-Matra de 1980 à 1984. Elle est la dernière voiture sportive de Matra, et est dotée de moteurs plus gros que la Bagheera : un 1592 cm3 de 92 ch et un 2156 cm3 de 118 ch, ce dernier permettant une vitesse maximale de 197 km/h. Le moteur 1,6 litre est dérivé de celui des Talbot 1510 et Solara, tandis que le 2,2 litres provient de la Talbot Tagora, lui-même extrapolé du moteur des anciennes Chrysler 180. Une version du 2,2 litres dont la puissance atteint 142 ch est ajoutée en fin de carrière qui permet à la Murena d’atteindre 210 km/h en vitesse de pointe.


1977 : Matra Rancho. 


En mars 1977, Matra lance un nouveau concept de véhicules de loisirs, la Rancho, qui reprend sous une carrosserie plastique les lignes de la fourgonnette Simca 1100 au toit surélevé. Ce véhicule de 4,32 mètres de long, doté du 1442 cm3 monté sur la Simca 1308 GT, est distribué dans le réseau Simca-Chrysler, puis Talbot-Simca. Il est très bien accueilli par la clientèle. Matra en fabriquera 56 457 exemplaires de 1977 à 1984, sous les marques Matra-Simca puis Talbot-Matra.

La Matra Rancho lancée en 1977 dont le nom évoque les anciennes Simca Aronde Ranch est basée sur une fourgonnette Simca 1100 aménagée.

D’une certaine manière, la Rancho anticipe les futurs SUV compacts des années 2000. Ce modèle pousse les techniciens de Matra à aller plus loin dans ce sens, et à concevoir un véhicule de loisirs, toujours aussi léger avec une carrosserie en plastique, permettant une modularité de son habitacle, sur une surface au sol la plus réduite possible. Optimiser l’espace habitable impose une ligne de carrosserie monocorps. Le concept du monospace est né.

Le véhicule en question étant conçu en ce début des années 80 sur une base de Talbot-Simca Solara, Matra le présente tout naturellement à PSA, nouveau propriétaire de Talbot-Simca. Celui-ci refuse de commercialiser un tel véhicule car il ne croit pas à ce concept. Matra le propose alors à Renault qui accepte, à condition que cette automobile qui sera produite à Romorantin chez Matra adopte une plateforme et des moteurs Renault, et qu’elle soit vendue sous la marque Renault.

La Renault Espace conçue par Matra et lancée en 1984 peut transporter jusqu'à sept personnes grâce à ses deux ou trois rangées de sièges indépendants. Modulable à souhait, on a le choix entre la fonction transport ou, à l'heure de la détente, la configuration d'un salon confortable avec sièges pivotants.

Matra accepte, mais cela entraîne illico la fin des accords avec PSA et la fin des voitures portant le logo Matra. C’est ainsi que naît en 1984 la Renault Espace, qui est le premier monospace européen, et qui connaîtra le succès que l'on sait. Ce concept a inspiré par la suite tous les autres constructeurs automobiles, même si plus tard les SUV ont détrôné les monospaces.

A partir de 2001, Matra assemble un nouveau concept, une alliance entre un coupé et un monospace, qui prend la forme d’un gros coupé deux portes basé sur l’Espace et qui est baptisé Avantime. Mais ce modèle n’est pas compris par la clientèle et il est supprimé dès 2003, après 8 557 ventes en 22 mois. La fin de l'Avantime signe aussi la fin de l'aventure Matra à Romorantin.

La Renault Avantime lancée en 1999 est une tentative de Matra pour diversifier l’offre des monospaces, mais le mélange coupé-monospace peut paraître complètement irrationnel, comme le mariage de la carpe et du lapin.


Genèse de la Renault Espace.


L'idée du monospace est couramment attribuée au patron de Matra Automobiles, Philippe Guédon, qui a très tôt envisagé de produire un véhicule ludique et modulaire pouvant transporter toute une famille avec ses bagages, plus habitable que la Matra Rancho lancée en 1977. Cet habitacle de grandes dimensions passe forcément par une carrosserie monovolume s’inspirant des camionnettes. Après un voyage aux Etats-Unis, Philippe Guédon est convaincu du potentiel de ce concept. Le groupe Chrysler, sous la direction de Lee Lacocca, travaille sur un tel projet, qui pourra succéder aux grands breaks commercialisés jusqu’alors par les constructeurs américains.

Ce concept donne naissance aux Plymouth Voyager et Dodge Caravan en 1983, six mois avant la présentation de la Renault Espace. Philippe Guédon laisse à Antoine Volanis - styliste des Matra Bagheera et Murena - le soin d’imaginer la silhouette qui devra être plus élégante et plus dynamique que celle d'un van américain. La carrosserie est prête en 1980, elle repose sur une base de Talbot-Simca Solara.

Le projet P16 est présenté à l’état-major de PSA. La réaction est positive malgré la surprise des dirigeants face à cette proposition originale. De nouvelles maquettes sont demandées. Matra fait évoluer le concept dans deux directions, l’une avec le projet P17, une voiture plus compacte que le P16, et l'autre avec le projet P18, aussi longue que le P16, soit 4,18 mètres. Des évolutions sont imaginées en cas d’insuccès de la voiture, avec des conversions en utilitaire.

Toutefois, Peugeot se remet difficilement du rachat de Chrysler Europe en 1978 et manque de trésorerie. La priorité est donnée au lancement de la 205 prévue en 1983 et Peugeot refuse finalement le projet. Il est ensuite proposé à Citroën, le projet P18 basé sur la plateforme de la BX lancée en 1982 devenant le P20. Là encore, Matra se voit refuser le projet.

Philippe Guédon joue alors son va-tout pour sauver son entreprise. Le projet P23 d’octobre 1982 repose sur une plateforme de Renault 18, un modèle déjà âgée de quatre ans. Il est présenté à Bernard Hanon, PDG de Renault, qui est séduit. Lui aussi connaît les Etats-Unis et l’engouement qu’y rencontrent les vans aménagés. Les formes du P23 sont assouplies chez Renault et les prototypes d’avril 1983 arborent les formes quasi définitives. C’est à ce moment-là qu’on opte pour des sièges pivotants et démontables. La mise au point s’accélère pour un lancement qui devient effectif au printemps 1984. La Matra P23 devient alors la Renault Espace.


Texte : Jean-Michel Prillieux
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