Innocenti, des italiennes à l'accent anglais

 


Innocenti était une marque automobile italienne, connue pour avoir popularisé le scooter Lambretta dans les années 50, qui s’est ensuite associée avec le groupe britannique BMC pour fabriquer des voitures sous licence. Rachetée en 1972 par British Leyland, puis revendue à De Tomaso en 1976, la marque Innocenti finit par être cédée à Fiat en 1990 qui supprime la marque en 1997.


Le constructeur Innocenti est créé en 1931 par Ferdinando Innocenti (1891/1966), ancien forgeron originaire de Toscane.

La firme Innocenti est fondée en 1931 par Ferdinando Innocenti. Elle fabrique avant-guerre des tubes d'acier pour échafaudages, activité dont elle devient un des leaders. Ferdinando Innocenti décède en 1966.

Il s'intéresse très jeune à la construction mécanique, et grâce à son invention brevetée, le " Tubo Innocenti ", c'est-à-dire les premiers échafaudages métalliques tubulaires avec joints et raccords à montage rapide, ses produits le font connaître dans le monde entier. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en pleine période de reconstruction, et anticipant le miracle économique italien, il se diversifie et s'engage en 1947 dans la production en masse de scooters, avec une nouvelle société baptisée Lambretta qui deviendra le plus important concurrent de Vespa.

 Pendant le conflit, Innocenti imagine avec l'aide de l'un de ses ingénieurs le scooter Lambretta. Au sortir de la guerre, l'industriel se retrouve avec des usines partiellement détruites. Il cède les parts de son entreprise d'échafaudages à un de ses concurrents, fabricant de tubes. Cet argent frais lui permet de financer le lancement de son scooter, produit à Milan et assemblé sous licence dans de nombreux pays.

En 1960, Innocenti se lance dans la construction automobile, grâce à un accord de licence avec le groupe britannique BMC - British Motor Corporation - alors encore prospère. Il fabrique dans son usine de Lambrate (Milan) des versions dérivées des BMC Mini (ADO15) et 1100/1300 (ADO16). La production des scooters Lambretta, qui a connu un énorme succès en Italie, est sur déclin dans les années 60 à cause de la préférence du public pour la voiture. Elle est délocalisée dans des filiales installées en Espagne et en Inde.


1960 : Innocenti A40


Dès la fin des années 50, Innocenti exprime le souhait de fabriquer une automobile de sa propre conception, mais devant les difficultés rencontrées pour parvenir à cet objectif, et face à la réaction que pourrait avoir le géant Fiat face à une telle initiative, Innocenti renonce finalement à ce projet. Il décide de s’associer avec un grand constructeur étranger afin de produire un ou plusieurs modèles sous licence.

L’Austin A40 est commercialisée depuis 1958 par le groupe BMC. Il s’agit d’une voiture compacte de 3,66 mètres de long dessinée par l’italien Pininfarina, d’où son surnom A40 Farina, qui succède aux petites Austin A30/A35 dont les origines remontent à 1951. Pour cette raison, la voiture a des chances de plaire aux Italiens. Or, la Grande-Bretagne ne fait pas partie du Marché Commun, et donc ne profite pas des bienfaits que ce marché procure. Ses voitures sont chères sur le continent européen en raison de droits de douane élevés. Une production sous licence est un bon moyen pour surmonter ce désavantage.

La première automobile produite par Innocenti est l’Austin A40. Cette voiture est fabriquée sur le site italien de Lambrate de 1960 à 1967.

Un accord de licence est donc signé en août 1959 entre le groupe BMC et Innocenti. A cette époque, le groupe britannique est en plein essor, grâce à la puissance de ses marques Austin et Morris. Ferdinando Innocenti démarre la production de l’A40 dans son usine de Lambrate en octobre 1960. Ce modèle est disponible en deux versions, avec coffre séparé (berlina) ou avec hayon (combinata). Il est prévu pour approvisionner uniquement le marché italien, mais vers la fin des années 60 Innocenti se prend au jeu, et diffuse ses automobiles dans toute l’Europe. Grâce à son moteur de 948 cm3, l’A40 se situe sur le marché italien entre la Fiat 600 et la Fiat 1100, évitant ainsi un choc frontal avec le géant turinois. A partir de 1965, l’A40 S est disponible avec un 1 098 cm3, récupérant au passage le hayon arrière de la version britannique. Au total, l’Innocenti A40 est fabriquée à 67 706 exemplaires entre 1960 et 1967.


1961 : Innocenti 950 spider


Innocenti revient en 1960 à son vieux rêve de produire une voiture de sa propre conception. Mais, afin de limiter les coûts, le constructeur décide de reprendre la base de l’Austin-Healey Sprite, avec l’accord du groupe BMC, sur laquelle on greffe une carrosserie italienne dessinée par Ghia. La voiture est présentée en novembre 1960, au Salon de Turin, et sa production démarre en janvier 1961. La 950 Spider reprend le moteur de l’A40 poussé à 50 ch (au lieu de 44 ch). A partir de 1963, elle reçoit un 1 098 cm3 développant 58 ch que recevra l’Innocenti A40 à partir de 1965. La 950 Spider devient alors Innocenti Spider S.

L’Innocenti 950 spider lancée en 1961 sur la base de l’Austin-Healey Sprite est dotée d’une élégante carrosserie dessinée par Ghia qui évoque vaguement les cabriolets Fiat de cette époque.

La carrosserie du spider est plus élégante que celle des versions anglaises, Ghia ayant fait du bon travail sur une voiture ne dépassant pas 3,43 mètres de long. En outre, la voiture est très bien équipée, davantage que les versions anglaises. Par exemple, la capote est en toile à double épaisseur pour un plus grand confort et une meilleure isolation. En 1966, une version coupé est lancée mais c’est déjà la fin, car toute la série est arrêtée en 1968, après 7 651 exemplaires produits depuis 1961. Cette faible audience s’explique par le prix élevé de ce cabriolet, qui n'est pas remplacés.

En 1964, le cabriolet Innocenti devient Spider en recevant le nouveau moteur 1100 de l'Austin Healey Sprite. Il bénéficie aussi d'une suspension arrière retouchée.


1963 : Innocenti IM3


Présentée en novembre 1963, au Salon de Turin, soit quelques mois seulement après les versions anglaises, l’Innocenti IM3 est la copie conforme des Austin et Morris 1100 (ADO16), dont la longueur atteint 3,72 mètres. Son nom indique qu’il s’agit du troisième modèle produit par Innocenti, après l’A40 et la 950 spider. L’IM3 diffère des versions anglaises par sa partie avant, retouchée par Pininfarina, qui comporte des phares doubles verticaux, à la manière des Mercedes, et une calandre plus large. L’intérieur bénéficie d’une finition haut de gamme : tableau de bord en aluminium satiné, instrumentation plus complète, moquette épaisse, sièges plus profonds, accoudoir central à l’arrière. Le moteur est le 1 098 cm3 des MG et Vanden Plas 1100. Il développe 55 ch au lieu de 48 ch. L’objectif d’Innocenti est de rendre la I'IM3 plus proche d’une Lancia que d’une Fiat. Le problème est que l’Innocenti IM3 est vendue plus chère qu’une Fiat 1500 de la catégorie supérieure.

L’Innocenti IM3 lancée en 1963 est la copie conforme des BMC 1100 (ADO16), mis à part la partie avant redessinée par Pininfarina et la finition intérieure plus soignée que les versions d’origine.

Pour tenter d’accroître l’audience de l’IM3, le constructeur milanais lance l'I4 en novembre 1964. Il s’agit d’une version moins chère de l'IM3, identique à une Morris 1100 au logo près. Cette fois, Innocenti cible clairement la Fiat 1100. Mais le succès n'est toujours pas au rendez-vous. En 1966, est lancée l'I4 S qui est une I4 dotée du moteur de 55 ch de l’IM3.

L'Innocenti I4 présentée en novembre 1964 est une réplique presque parfaite de la Morris 1100. On la reconnaît néanmoins à ses butoirs de pare-chocs, ses répétiteurs de clignotants, sa trappe masquant le remplissage d'essence et ses enjoliveurs de roues.

L’I5 lancée en 1970 est un simple restyling de l'I4. Il est dommage que les Innocenti n’aient pas pu bénéficier du moteur de 1300 cm3 proposé sur les versions anglaises à partir de 1967. Au total, les IM3/I4/I5 sont produites à 65 808 exemplaires entre 1963 et 1972.

L'Innocenti I5 de 1970 a la forme d'un simple replâtrage de l'I4. Ce n'est en rien une nouveauté. La Regent qui n'est qu'un Austin Allegro à la sauce italienne prend la relève en 1974.


1965 : Innocenti Mini


Après de longues hésitations, de la part d’Innocenti comme de la part du groupe BMC, le constructeur milanais reçoit l’autorisation de produire en Italie, dans son usine de Lambrate, la copie conforme de la Mini britannique (ADO15) qui est en train d’inonder les différents marchés européens. Génialement conçue par Alec Issigonis, la Mini, vendue alors principalement sous les logos Austin et Morris, accumulent les succès, à la fois dans les concessions automobiles et dans les rallyes. Cette petite traction avant de 3,05 mètres de long a certainement un bon potentiel de ventes en Italie, même si les petites voitures les plus vendues ici sont des propulsions à moteur arrière, en particulier les Fiat 500 et 600.

L’Innocenti Mini lancée en 1965 est la copie conforme des BMC Mini (ADO15), mis à part la finition intérieure et la calandre. Ce modèle est lancé en Italie six ans après l’original britannique mais devient très rapidement le modèle le plus produit d’Innocenti.

Ferdinando Innocenti fait le pari qu’il y un marché pour la Mini en Italie. L’inconvénient est que cette fois, il affronte directement le géant Fiat qui va lui faire payer beaucoup plus tard ce crime de lèse-majesté. Ferdinando Innocenti a vu juste, car la Mini produite en Italie totalise 404 961 exemplaires de 1965 à 1975. Le démarrage de la Mini sur les lignes d’assemblage de l’usine de Lambrate est la dernière initiative de Ferdinando Innocenti qui décède en juin 1966. Son fils le remplace à la tête de l’entreprise devenue alors florissante.

C’est à cette époque que le constructeur entreprend les premières tentatives d’exportation en Europe, avec une réussite assez modeste. La Mini italienne reçoit les différents moteurs de la Mini britannique, le 848 cm3, le 998 cm3 puis le 1 275 cm3, mais la finition des voitures italienne est d’un niveau bien supérieur à celui des britanniques. En 1975, ce modèle qui demeure le plus gros succès d’Innocenti est remplacé par la nouvelle Mini dessinée par Bertone.

La mécanique et une partie de la carrosserie de la Mini arrivent de Grande-Bretagne. Tous les autres composants sont d'origine italienne.


1974 : Innocenti Regent


En 1972, la marque automobile Innocenti est rachetée par le groupe BLMC (British Leyland Motor Corporation) qui s’est substitué au groupe BMH (British Motor Holdings) en 1968, ce dernier ayant été constitué en 1966 par la fusion de BMC et de Jaguar Daimler. Le groupe BLMC ne conserve pas longtemps la marque Innocenti en son sein, puisqu’il la revend en 1976. La période 1972-1976 permet toutefois à BLMC d’entreprendre la fabrication de l’Austin Allegro en Italie sous l’appellation Innocenti Regent.

Lancée en 1974, l’Innocenti Regent est la copie conforme de l’Austin Allegro (ADO67) britannique. Elle succède aux IM3, I4 et I5. Sa production est stoppée dès 1975.

Ce modèle de 3,85 mètres de long, successeur des IM3, I4 et I5, est produit sur le site de Lambrate à partir de 1974, mais c'est un échec commercial cuisant, puisque 3 000 exemplaires seulement trouvent preneur sur le sol italien, et la production est arrêtée prématurément dès 1975. Les moteurs proposés sont le 1275 cm3 de 66 ch et le 1489 cm3 de 79 ch d’origine Austin. Une des raisons de l’échec de la Regent, malgré une finition cossue, tient à son prix trop élevé, plus élevé que celui d’une Alfasud ou d’une Fiat 124 Spécial. Son tarif est plus proche de celui d'une Alfa Romeo Giulia. La Regent est la dernière voiture de marque Innocenti produite sous licence britannique.


1974 : Innocenti Mini Bertone


Un tout nouveau modèle de conception purement italienne voit le jour en 1974, en deux versions, l'Innocenti Mini 90 (moteur de 998 cm3) et la Mini 120 (moteur de 1275 cm3). La première série reçoit une carrosserie de 3,15 mètres de long, entièrement nouvelle, dessinée par Bertone. Ce modèle entre en concurrence frontale avec l’Autobianchi A112. En 1976, BLMC nationalisé par le gouvernement travailliste l’année précédente, se désengage complètement de sa filiale Innocenti, qui est reprise avec l'aide de l'État italien par Alessandro De Tomaso, propriétaire de la marque automobile de sport du même nom. De Tomaso relance immédiatement la production des nouveaux modèles Mini Bertone, mais avec un niveau de finition nettement supérieur.

Lancée en 1974, l’Innocenti Mini dessinée par Bertone succède à la Mini ADO15 italienne. Ce modèle produit jusqu’en 1993 connaît un bon succès.

La carrosserie bénéficie de légères retouches en 1980 avec la version Mini Mille, qui est la première à adopter les vitres électriques teintées dans cette catégorie en Europe. L’intérieur est doté de velours à profusion et de moquette épaisse. A partir de 1982, après de nouvelles légères retouches à la carrosserie, l'Innocenti Mini Bertone bénéficie de moteurs japonais Daihatsu à trois cylindres de 993 cm3, et devient la Mini Tre. Elle conserve cette mécanique jusqu'à sa disparition en 1993. Ce modèle est la première voiture de sa catégorie à disposer de la climatisation.

Diverses versions apparaissent ensuite, sans réel succès. En 1985, est lancée la Mini 650 qui est dotée d’un moteur bicylindre Daihatsu de 650 cm3. En 1986, Innocenti propose la 990 qui bénéficie d’un empattement allongé de 20 cm, et qui s’attaque directement à la Fiat Uno commercialisée depuis 1983. En 1987 est lancée la Mini 500 dotée d’un trois cylindres de 548 cm3. En 1991, les Mini 500 et Mini 990 sont rebaptisées Small 500 et Small 990. Toutes versions confondues, 392 343 exemplaires ont été produits sur le site de Lambrate de 1974 à 1993, soit trois fois moins que sa principale concurrente l’Autobianchi A112, mais presque autant que l’Innocenti Mini précédente, celle des années 1965-1975.

La situation d'Innocenti parait bien fragile à la fin des années 80. Mais la firme toujours contrôlée par De Tomaso conserve son indépendance face au géant Fiat. Plus pour longtemps. En 1989, la 500 succède à la 650. Le moteur deux cylindres de 617 cm3 est abandonné au profit d'un trois cylindres de 548 cm3, toujours de 31 ch.


La fin d'Innocenti


En 1990, De Tomaso revend les marques Innocenti et Maserati avec leur outil industriel au groupe Fiat. Dès lors, l’avenir des différentes versions de la Mini Bertone est compromis. D’une part, les projets relatifs au remplacement de ce modèle sont gelés. D’autre part, l'idée de remplacer les moteurs Daihatsu par des moteurs Fiat est étudiée mais abandonnée. En réalité, Fiat ne veut pas poursuivre la production d’un modèle qui concurrence à la fois la Fiat Panda (1980) et la Lancia Y10 (1985). Il veut encore moins démarrer la production d’un nouveau modèle qui viendrait s'opposer aux futures Fiat Cinquecento (1991) et Lancia Y (1995). Le géant turinois souhaite simplement récupérer l’usine de Lambrate pour augmenter ses capacités de production en Italie. Finalement, la décision de fermer l’usine est prise, car elle se trouve en pleine zone urbaine. La Commune de Milan a décidé de transférer ou de détruire les usines situées en zone urbaine, afin d’utiliser les surfaces dégagées pour construire des logements. Du coup, la destruction de l’usine de Lambrate en 1993 entraîne l’arrêt de la production de toutes les Innocenti.


Epilogue


De 1991 à 1997, la marque Innocenti est encore utilisée par le groupe Fiat pour désigner des modèles dérivés de Fiat fabriqués à l’étranger et réimportés en Italie. L’Innocenti Koral commercialisée en Italie entre 1991 et 1993 est ainsi la version italienne de la Yugo 45, produite en Yougoslavie par sa filiale Zastava.

 

Importée de Yougoslavie de 1991 à 1993, l’Innocenti Koral est sensée succéder à la Mini Bertone, mais le succès n'est pas au rendez-vous. Le subterfuge du rebadging trop visible a condamné ce modèle trop typé " Europe de l’Est ".

L’Innocenti Elba commercialisée entre 1991 et 1997 est un break Fiat Uno produit en Amérique du Sud et distribué en Italie.

Importée d’Amérique du Sud de 1991 à 1997, l’Innocenti Elba est un break Fiat Uno qui n’existe pas dans la gamme italienne de Fiat. Ce modèle connaît un petit succès en Italie, mais il s’éloigne de la philosophie des Innocenti.

L’Innocenti Mille commercialisée entre 1994 et 1997 est une Fiat Uno produite en Pologne pour le marché local - la version italienne ayant été supprimée du catalogue en 1994 - et réimportée en Italie.

Importée de Pologne de 1994 à 1997, l’Innocenti Mille est la copie conforme de la Fiat Uno fabriquée en Italie de 1983 à 1994, et transférée en Pologne pour la demande locale. Ce modèle s’adresse aux quelques Italiens rebutés par la nouvelle Fiat Punto lancée en 1993.

L’Innocenti Porter commercialisé en Italie en 1997 est un minivan dérivé du Piaggio Porter dont les origines remontent à 1992.

Lancé en 1997, l’Innocenti Porter, version familiale du Piaggio Porter, est la dernière tentative pour sauver la marque Innocenti. Mais la demande étant bien trop faible, le groupe Fiat se résout à supprimer la dénomination fin 1997.

Depuis 1997, la marque Innocenti n'est plus utilisée. Dans ses plus belles années, l'usine de Lambrate a fabriqué près de 75 000 véhicules par an. Au total, Innocenti a produit près de 950 000 véhicules sur ce site. Avec le recul, on peut regretter que le groupe Fiat n’ait pas fait d’Innocenti sa marque low cost, stratégie qu’il avait juste ébauchée dans les années 90. Renault a sauté le pas en 2005 avec sa marque Dacia, avec le succès que l’on sait.

Texte : Jean-Michel Prillieux
Reproduction interdite, merci.

Retour au sommaire de Marques disparues - Retour au sommaire du site