Claveau, le visionnaire oublié


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Emile Claveau a tenté d'imposer sa vision de l'automobile en présentant sans aide financière ni puissance industrielle à ses côtés ses propres prototypes au Salon de Paris, de 1926 à 1933, puis on l'a retrouvé après-guerre au Grand Palais de 1946 à 1949, et une dernière fois en 1955. Pendant près de trois décennies, il a essayé d'imposer ses idées : la construction monocoque, les roues indépendantes, la traction avant (après 1930), des formes aérodynamiques, et l'optimisation du volume habitable. Et si les réalisations de série n'ont pas suivi, c'est parce qu'Emile Claveau a toujours été en avance de plusieurs années sur les possibilités de la construction, et la demande du marché.


Emile Claveau naît à Langeais en Indre-et-Loire le 23 janvier 1892 (un jour après Marcel Dassault). Ses parents et ses grands-parents, des boulangers, s'installent à Tours vers 1900. Aucune trace ne permet aux historiens d'évoquer sa jeunesse, ni de déterminer le type de formation qu'il reçoit. Tout au plus, on sait qu'il s'inscrit à l'Ecole des Beaux-Arts de Tours. Il apparaît en 1913 sur les listes électorales de Tours en tant que peintre décorateur. Aucune source ne mentionne une quelconque activité militaire pendant la Première Guerre mondiale. En 1921, selon les mêmes sources, il est toujours à Tours, en tant que négociant. On le retrouve dans les registres en 1926 en tant que courtier en grains. Ces différentes activités n'ont évidemment rien à voir avec l'automobile. Mais en dehors de ce cadre, il apparaît évident que l'homme suit depuis de longues années le développement de la technique automobile, un sujet qui le passionne. Sa formation aux Beaux Arts l'a peut-être conduit à avoir un regard extérieur et critique sur les pratiques de la profession. Il débute ses propres recherches en 1923.


Epoque 1 - 1925, dans la presse


Au cœur des années 1920, l'automobile vit encore sous le régime d'un compromis hérité de la période hippomobile. Cette adaptation de la mécanique au châssis traditionnel se traduit par une division structurelle : un châssis lourd et élastique, fourni par le mécanicien, supporte une carrosserie légère et rigide, ajoutée par le carrossier. Ce découpage entraîne des défauts structurels bien connus du public : châssis peu rigides, caisses disloquées, planchers surélevés. Face à ces lacunes, Lancia a fait figure de précurseur dès le début des années 1920, en étant le premier constructeur de série à opter pour la caisse autoportante.

Voiture de course à deux places fuselée - Source : Omnia, n° 61, juin 1925

C'est dans ce contexte que le mensuel Automobilia expose, en mars 1925, puis Omnia en juin de la même année, les idées d'Emile Claveau, un jeune homme de 33 ans. Son projet vise à concevoir une voiture logique et unifiée, en rupture avec la conception traditionnelle à châssis séparé. Claveau propose une conduite intérieure à caisse autoportante entièrement métallique intégrant des suspensions indépendantes, ce qui permet de supprimer les essieux. Il préconise par ailleurs l'installation du moteur à l'arrière, une disposition qui selon lui favorise le dessin d'une carrosserie plus aérodynamique. L'accessibilité à ce moteur constitue une priorité, par le biais de trappes latérales. Enfin, afin d'optimiser l'efficacité aérodynamique, le radiateur se trouve couché sur le toit.

Voiture de tourisme cinq places - Source : Omnia, n° 61, juin 1925


Epoque 1 - Salon de Paris 1926 - 7 CV propulsion, dite " Autobloc "


Emile Claveau se fait remarquer par l'originalité de ses conceptions, inspirées par une recherche d'économie basée sur le rendement maximal. Il agit comme un éclaireur, remettant en question les préjugés existants pour créer une voiture fondamentalement utilitaire, économique et confortable. C'est un iconoclaste. Il est présent pour la première fois au Grand Palais avec la Claveau Autobloc, en version deux ou quatre places, le poste de pilotage étant dans les deux cas très avancé.

Son idéal est d'aller vite, en toute sécurité, confortablement et à peu de frais. Claveau souhaite remettre la technique automobile dans le droit chemin, considérant la formule du châssis et de la carrosserie indépendantes comme vétuste. Il conçoit l'Autobloc comme une unité où les organes de propulsion sont intégrés, s'érigeant ainsi elle-même comme un modèle de conception logique. Face aux quelque 25 millions de véhicules obsolètes qui circulent de par le monde, il cherche à utiliser la matière au maximum et à réduire les résistances passives.

Pour cela, il bannit purement et simplement le châssis et la carrosserie séparés au profit d'une coque métallique indéformable en tôles d'acier embouties, qui forme une poutre rigide. Claveau insiste sur l'importance de cette carrosserie structurelle, qu'il juge aussi essentielle que le châssis, et la conçoit pour être spacieuse et légère. Cette structure intégrée réduit le poids, le prix et les frais d'usage (essence, huile, pneus). C'est ainsi qu'il dit résoudre le paradoxe entre légèreté synonyme d'économie, et bonne tenue de route à grande vitesse.

Claveau, Salon 1926 - Copyright

Le bloc moteur-transmission intégré (moteur quatre cylindres à plat refroidi par eau de 1 100 cm3, embrayage, boîte de vitesses et différentiel), que Claveau est le premier à réaliser sous cette forme, est logé devant le train arrière. Cette disposition abaisse sensiblement le centre de gravité en dessous de l'axe des roues. La coque repose sur un système de suspension à quatre roues indépendantes. L'association de cette suspension et de l'abaissement du centre de gravité, couplé à une répartition judicieuse des masses, permet à la voiture de " coller à la route " et d'éviter de chasser dans les virages rapides. Le confort et l'impression de sécurité sont extraordinaires, permettant d'atteindre une moyenne de vitesse incomparable sur route difficile. La Claveau ne pèse que 650 kg. Elle peut passer à 70 km/h dans des virages qu'une voiture classique prend à 40 km/h.

Claveau 7 CV, le plan initial, 1926, extrait de brochure publicitaire - Copyright

Emile Claveau comprend que la résistance de l'air est la principale source de perte de puissance. Il mène une étude aérodynamique poussée. Chaque gain aérodynamique permet de réduire la taille du moteur et, par conséquent, le coût de fabrication et d'entretien. C'est pourquoi sa voiture adopte des formes profilées, proches de celles d'une aile d'avion. Sa création est un fuseau sans aucune saillie, à l'exception des roues.

Il utilise des radiateurs de type aviation à lamelles verticales, disposés de chaque côté du véhicule pour un refroidissement efficace par thermosiphon. Même les roues de secours sont intégrées dans la carrosserie pour éviter les turbulences. Le moteur arrière permet à Claveau d'opter pour des formes optimales. Dépourvue de capot avant, sa voiture se termine par une arête d'attaque continue qui partage efficacement les filets d'air, offrant ainsi la moindre résistance à l'avancement.

Claveau n'est pas gêné par les contraintes des conduites intérieures ordinaires où le pare-brise avant génère une résistance considérable. Il installe deux glaces de grandes dimensions juste devant le conducteur, optimisant la vision sans sacrifier la pénétration dans l'air. L'aménagement intérieur est également ingénieux : les bagages sont placés sous les sièges spacieux pour être protégés et invisibles.

Le large emplacement que les sièges offrent aux occupants. Deux personnes y trouvent très largement leurs aises, et trois personnes normales peuvent y prendre place. A noter l'espace réservé à l'allongement des jambes. Au premier plan, l'inventeur, Emile Claveau - Source : Omnia, n° 78, novembre 1926.

 Les trois mallettes que l'on peut disposer sous les sièges arrière - Source : Omnia, n° 78, novembre 1926.

La chambre des machines est à l'arrière, directement accessible - Source : Omnia, n° 78, novembre 1926.

Emile Claveau expose cette automobile minimaliste et peu conventionnelle au Salon de Paris en octobre 1926. Le concepteur, que Jean-Albert Grégoire qualifie plus tard de novateur visionnaire, annonce un véhicule moderne, simple, logique, confortable et économique. Bien qu'il doive faire appel à des techniciens externes pour l'ingénierie complexe, Claveau envisage logiquement de commercialiser l'Autobloc et annonce un prix de 25 000 francs, comparable à celui d'une Citroën B14. Il prévoit deux versions : une torpédo quatre places (L1) dotée d'un moteur de 1088 cm3, et une deux places (L2) avec un moteur de 1265 cm3.

En décembre, il présente son prototype au Salon de Bruxelles et recrute sur place un représentant pour la marque. Les solutions techniques prises isolément ne sont pas toutes inédites. Edmund Rumpler a présenté la Tropfenwagen dès 1921 et Paul Jaray le T-6 en 1922. Leur rassemblement dans un ensemble purement rationnel place la conception d'Emile Claveau plusieurs années en avance sur la production automobile de l'époque.

En 1926, Emile Claveau présente au Salon de Paris ce drôle d’engin. Doté d’un capot très court à l’aplomb du pare-brise car le véhicule a son moteur situé à l’arrière, le modèle plutôt minimaliste laisse dubitatif les visiteurs du Salon - Source : https://gallica.bnf.fr


Epoque 1 - Salon de Paris 1927 - 9 CV propulsion


Fort de l'accueil de la 7 CV, Emile Claveau revient au Salon de Paris en octobre 1927 pour exposer un type plus puissant et amélioré de l'Autobloc : la 9 CV. Celle-ci conserve les lignes aérodynamiques de sa devancière, mais elle présente des évolutions mécaniques significatives, toutes axées sur la simplicité et le rendement. La cylindrée est portée à 1 478 cm3. Claveau abandonne le refroidissement par eau au profit d'un refroidissement par air. Ce changement élimine les inconvénients liés au radiateur, les risques de fuite ou de gel du liquide en hiver, et la nécessité de vérifier le niveau d'eau.

En retirant une tôle, on accède immédiatement à toutes les parties essentielles de la voiture. Mais le 4 cylindres à plat refroidi par air apparaît bien dépouillé de tout équipement et laisse supposer que ce modèle n'est qu'une maquette. Claveau 4/5 places, Salon de Paris, octobre 27 - Source : https://www.vanderbiltcupraces.com

Tout est conçu pour simplifier l'accès au bloc mécanique. En retirant une simple tôle, l'accès au moteur, à la boîte de vitesses et à la transmission devient immédiat. Pour alléger la structure, de nombreuses pièces sont fabriquées en alpax, un alliage d'aluminium et de silicium. Cette 9 CV se distingue par son design particulier, avec une partie frontale arrondie et très pointue, formant un éperon. Bien que cette arête améliore le profil aérodynamique, elle est susceptible de devenir dangereuse en cas de contact frontal. Le pare-brise est en deux parties.

Le confort intérieur n'est pas sacrifié à la forme. Les sièges sont larges, les passagers ont leurs aises - Source : Omnia n° 90, novembre 1927.

La 9 CV est proposée avec deux types de carrosserie : une torpédo 2 places et une conduite intérieure. La version torpédo a des voies de 1,40 mètre, et un empattement de 2,55 mètres. Elle pèse 650 kg, et atteint 140 km/h pour une consommation moyenne de 9 litres aux 100 kilomètres. La conduite intérieure a des voies de 1,44 mètre, et un empattement de 3,10 mètres. Elle peut emporter jusqu'à cinq passagers. Son poids est de 900 kg. Elle atteint 125 km/h pour seulement 9,5 litres aux 100 kilomètres. Il s'agit d'une performance remarquable pour la catégorie des conduites intérieures. En ce qui concerne la commercialisation, Claveau annonce des prix théoriques pour ces nouveaux modèles, sans toutefois parler encore de production effective. Le prix de la version torpédo serait de 22 900 francs, tandis que celui de la spacieuse conduite intérieure 4/5 places est fixé à 36 000 francs.

La 9 CV conçue en 1927 se présente sous une forme assez étrange qui rappelle un avion sans ailes, voire un insecte - Copyright

La presse spécialisée se montre assez unanime pour encourager les initiatives d'Emile Claveau. Omnia, dans " La chronique du Fureteur ", souligne que ce qui frappe immédiatement, ce n'est pas seulement l'amélioration spectaculaire du rendement, de la stabilité et la réduction des dépenses induite par Claveau. Le véritable coup de génie réside dans la fabrication elle-même. On assiste en effet à une réduction drastique du nombre de pièces, ce qui simplifie l'assemblage et la logistique. Nul besoin d'outillages coûteux, de machines exceptionnelles. Mieux encore, toutes les pièces sont d'une exécution facile. Cette approche démocratise véritablement la production. Omnia décrit Emile Claveau comme un travailleur opiniâtre, un inventeur convaincu. Très doué, il mérite le soutien de tous, professionnels et journalistes.


Epoque 1 - Salon de Paris 1928 - 4 CV + 9 CV propulsion


La plupart des véhicules de série adoptent des designs et des solutions techniques très similaires. Cette convergence s'explique par l'élimination progressive des concepts imparfaits, ce qui incite tout le monde à suivre les mêmes principes. Dans ce contexte, il faut saluer les précurseurs, les hommes d'avant-garde qui osent s'écarter du chemin balisé ! Ce sont eux qui font avancer le progrès : les Gabriel Voisin, Jean-Albert Grégoire, les frères Bucciali ... Les voitures d'Emile Claveau incarnent parfaitement cette démarche, elles sont l'aboutissement logique d'une conception rationnelle. Emile Claveau prend le parti de faire table rase de tous les préjugés existants dans la conception d'un véhicule.

Au Salon de Paris 1928, il propose une nouvelle torpédo, plus modeste en taille et en motorisation que celle de 1926. C'est une 4 CV à moteur arrière, avec un empattement de 2,25 mètres (comme une Citroën 5 HP). Le bicylindre est un deux-temps de 570 cm3 supposé développer 30 ch et refroidi par air. C'est une carrosserie autoportante, sans essieux, comme ses grandes soeurs.

Claveau torpédo 4 CV - Source : Omnia, n° 111, août 1929

Son offre théorique compte donc désormais trois modèles. Outre la 4 CV décrite ici, il y a la torpédo et la conduite intérieure 9 CV présentées en 1928. La conduite intérieure Claveau reçoit une nouvelle face avant, non plus pointue, mais plate, et deux petites vitres latérales situées devant les portes permettent d'optimiser la visibilité. Les prix théoriques sont respectivement de 9 500 francs, 21 120 francs et 30 800 francs.

Cette vue plus générale du stand Claveau au Grand Palais en 1928 permet de bien percevoir l'écart générationnel entre les Claveau futuristes et les Renault voisines très conventionnelles - Source : Bernard Vermeylen.

La 9 CV en version torpédo, avec une roue sur le trottoir qui permet de mettre en avant le principe des suspensions indépendantes - Source : Bernard Vermeylen


Epoque 1 - Année 1929 - 4 CV + 9 CV propulsion


Emile Claveau imagine un faux cabriolet 4 CV à la place de la torpédo 4 CV, sur un empattement de 2,35 mètres (+ 10 cm). Son prix est annoncé à 12 000 francs. Les torpédo et conduite intérieure 9 CV restent théoriquement disponibles, sur des empattements de 2,70 mètres (torpédo) et 3,20 mètres (conduite intérieure), aux prix respectifs de 24 000 et 35 000 francs.

Cependant, Claveau n'expose pas au Grand Palais cette année. Selon la version officielle, le prototype a été accidenté. Il n'est pas non plus impossible que cette absence s'explique par un manque momentané de moyens financiers, car il a en effet un autre programme plus ambitieux en cours de développement. Plus que jamais, le mystère demeure entier quant aux moyens dont dispose Emile Claveau pour mener à bien ses projets, tant sur le plan financier que sur celui de la construction des prototypes.

Si l'on fait un bilan à l'issue de cette première époque de l'histoire de Claveau, on peut affirmer qu'il a réussi à imaginer une automobile rationnelle, sinon belle. On prête au père d'Emile Claveau l'affirmation suivante : " C'est peut-être logique, mais Dieu que c'est laid. " D'un autre côté, les ingénieurs diplômés de l'automobile continuent d'observer ces travaux avec circonspection. Emile Claveau a-t-il vraiment raison ? Ou s'agit-il d'un illuminé ? Quoi qu'il en soit, ils peuvent se préparer à une évolution significative dès le prochain Salon d'Octobre 1930.

Claveau faux cabriolet 4 CV - Source : Histoires et Collections, Automobilia n° 74s


Epoque 2 - Salon de Paris 1930 - 6 CV traction avant - bicylindre


Rappelons les préceptes d'Emile Claveau, qui apporte un vent de fraîcheur sur le monde de l'automobile en se concentrant sur l'efficacité maximale et une économie qui n'exige aucun sacrifice, grâce au rendement optimal de ses véhicules. Pour ce faire, il s'attaque à la résistance de l'air, dont chaque réduction permet de diminuer la taille du moteur et des composants, abaissant ainsi les coûts de construction, d'entretien et la consommation, sans nuire aux performances. Claveau considère l'étude aérodynamique de la carrosserie comme essentielle.

Au Salon de Paris 1930, Claveau présente une toute nouvelle voiture. Elle innove totalement en adoptant la traction avant. C'est une véritable volte-face par rapport aux convictions qu'il défend depuis 1926. Le nouveau prototype est équipé d'un bicylindre en ligne deux-temps. Le moteur est déplacé à l'avant pour bénéficier des avantages des roues avant motrices, et pour libérer de la place supplémentaire à l'arrière.

Son choix des roues avant, à la fois motrices et directrices, associe toujours cette architecture à des suspensions indépendantes. Le prototype exposé au Grand Palais n'a encore qu'une calandre provisoire, des phares sommairement fixés sur la face avant, et des fentes d'aération latérales appelées à disparaître. Sa structure est habillée de panneaux aux formes simples, qui définissent une ligne " tank " assez semblable notamment aux Bugatti du GP de Tours 1923, ou aux Chenard & Walcker contemporaines. Cette voiture précède la Citroën Traction de quatre ans.

Conduite intérieure Claveau 6 CV - Source : Histoires et Collections, Automobilia n° 90.


Epoque 2 - Salon de Paris 1931 - 6 CV traction avant - 4 cylindres en ligne


Emile Claveau obtient de nouveau un petit stand au Grand Palais pour présenter son nouveau prototype, une évolution de celui de 1930. Exit le moteur bicylindre. Il s'agit désormais d'un quatre cylindres en ligne à soupapes latérales de 1 125 cm3. La calandre est une version définitive, les feux avant sont mieux intégrés et les prises d'air latérales ont disparu. Emile Claveau souhaite se donner toutes les apparences d'un véritable constructeur avec une vraie gamme.

L'offre du catalogue diffusé au Salon de Paris 1931 ressemble à celle d'un " vrai " constructeur - Copyright

Une seule carrosserie, la torpédo, est exposée, alors que le catalogue propose cinq modèles : une torpédo 2 places avec spider 2 places, une torpédo 4 places, un cabriolet 2 places avec spider 2 places, une conduite intérieure 4 places et un fourgon de livraison. Toutes les carrosseries sont affichées au prix de 13 900 francs. Emile Claveau doit trouver un ou plusieurs investisseurs pour concrétiser le projet ou vendre des licences. Mais toutes ses tentatives échouent. Depuis cinq ans, aucune des réalisations de Claveau n'a atteint la série.

Un prix unique, 13 900 francs, quelque soit la carrosserie choisie. Publicité Claveau, novembre 1931 - Copyright

La division de ses parties constitutives est telle que le nombre des pièces de forme est réduit au minimum. Le panneau de gauche, par exemple, est exactement le même que le panneau de droite. Les portières peuvent être montées soit à droite, soit à gauche. Les quatre ailes sont semblables. Le bas de caisse est le même pour toutes les carrosseries prévues.

Une cinquième carrosserie est annoncée, celle d'un utilitaire - Copyright


Epoque 2 - Salon de Paris 1932/33 - 6 CV traction avant - 4 cylindres en V


Puisque l'aérodynamique a reçu au Salon 1932 droit de cité, il est équitable de rappeler ceux qui se sont faits les premiers ses défenseurs. Parmi eux, Emile Claveau s'en est fait l'un des apôtres. Depuis 1926, il fait preuve de persévérance pour défendre ses idées. Après bien des essais, des tentatives et des méditations, Emile Claveau a retenu la forme générale du tank.

Les formes, en particulier celles du pavillon vers l'arrière, s'adoucissent cette année, rendant plus harmonieuse la silhouette de cette voiture. Claveau place le moteur, un nouveau quatre cylindres en V refroidi par eau, ainsi que toutes les annexes de transmission, près des roues directrices et motrices, sous le capot. Le dessous de la voiture est complètement fermé par un plancher lisse parallèle à la route. Un vaste coffre est prévu à l'arrière pour les bagages. La caisse est très large, toutes ses dimensions sont calculées pour garantir le meilleur confort. La voiture sera de nouveau exposée au Salon de Paris, en octobre 1933, inchangée.

Toutes les résistances à la pénétration dans l'air sont réduites, mais en garantissant des qualités d'habitabilité complètes. La fabrication de la voiture est habilement simplifiée et très judicieusement étudiée pour parvenir au prix de revient le plus bas, sans nuire en rien à la qualité - Source : Omnia n° 161, octobre 1933


Les relations d'Emile Claveau avec le SIA


Le 18 octobre 1932, Emile Claveau expose ses conceptions de la voiture du futur devant les membres de la Société des Ingénieurs de l'Automobile (SIA). Cette association, fondée en 1928, répond au besoin croissant de structuration et de partage technique dans une industrie automobile française en pleine mutation. Son rôle essentiel consiste à briser l'isolement des ingénieurs des différentes firmes en organisant des séances techniques de haut niveau pour débattre des avancées (métallurgie, moteurs, aérodynamisme) et diffuser le savoir-faire technique français.

Après avoir rappelé à son auditoire qu'il n'a jamais appartenu aux grandes écoles d'où les membres de son auditoire tiennent leur diplôme, Emile Claveau n'hésite pas à soutenir que les voitures du moment, malgré les perfectionnements de leurs organes, ne sont qu'une hérésie mécanique. A ses yeux, la véritable voie automobile passe par la traction avant et une optimisation de l'aérodynamisme. Emile Claveau possède un certain talent oratoire. Il sait aussi se montrer piquant envers son public. C'est un véritable polémiste. Son ton parfois ironique lui crée cependant quelques inimitiés dans le milieu automobile, ce qui pourrait être de nature à l'isoler. Il devrait se montrer plus prudent, plus conciliant, mais ce n'est pas dans sa nature.

La SIA lance son concours en 1934 pour contrer les effets de la crise économique, notamment en promouvant l'efficacité énergétique et la rationalisation de la construction automobile. Face au conservatisme des constructeurs et au besoin urgent de réduire les coûts d'utilisation pour les consommateurs, la SIA s'impose comme un laboratoire d'idées, cherchant à stimuler la recherche sur des concepts d'avenir, notamment l'aérodynamisme, et les architectures novatrices.

Le concours sert ainsi à la fois à préparer l'industrie française aux défis techniques à long terme et à affirmer la capacité d'innovation de ses ingénieurs. Le projet qu'Emile Claveau soumet à ce concours reprend pour l'essentiel les idées qu'il a exprimées dès 1930. Il fait partie des 58 concurrents qui soumettent 108 projets. Les deux projets qu'il présente ne lui valent qu'une place d'honneur. Peut-être paie-t-il là justement ses déclarations passées peu élogieuses envers les ingénieurs. Après ce concours, l'inventeur ne fait plus parler de lui pendant plusieurs années, sans raisons évidentes ou identifiées.

Projet n° 21 de M. Claveau, 4 roues indépendantes, celles de l'avant sont directrices et motrices. Moteur 700 cm3 sans
soupapes,
refroidissement à air - Source : Omnia n° 184, september 1935


Epoque 3 - Salon de Paris 1946 - 13 CV Descartes


Après un long silence de treize ans, Emile Claveau revient au Salon de Paris en octobre 1946 avec un prototype de grande limousine. Cette voiture à traction avant dénommée Descartes se distingue essentiellement par sa carrosserie ponton et son moteur V8. On retrouve les quatre roues indépendantes chères à Claveau. La carrosserie autoporteuse est constituée d'éléments en tôle d'aluminium (Duralinox) emboutis et soudés électriquement, formant une structure indéformable. Le principe de la caisse autoporteuse s'est démocratisé, depuis la commercialisation en 1934 de la Citroën Traction Avant.

Claveau ne perd pas l'espoir d'y rencontrer l'industriel providentiel qui saura transformer son dernier prototype, toujours aussi avant-gardiste, en un modèle de production rentable. Cette voiture, pour révolutionnaire qu'elle soit, a résolument abandonné ou remis à plus tard tout ce qui pourrait prêter à discussion, et obliger à une longue mise au point.

Le nom du prototype, Descartes, est un hommage au philosophe et mathématicien français René Descartes, dont la méthode était basée sur la rationalité, le doute méthodique, et le rejet des idées reçues. Ce choix reflète la philosophie de conception d'Emile Claveau, qui cherche à créer une automobile parfaite, qui ne doit rien aux voitures de la production courante, en repartant de zéro. Plus que jamais, il est guidé par la logique et l'efficacité technique. Mais finalement, il ne fait qu'actualiser les idées qu'il promeut depuis 1926.

Le bloc moteur, carter et cylindres de la Claveau est fondu en Alpax - Source : Automobilia, Hors-série numéro spécial du Salon 1946.

Les dimensions réelles de la Descartes seront de 4,97 mètres de long, 1,77 mètre de large et 1,55 mètre de haut, quand elle sera construite. Il ne s'agit pour l'instant que d'une maquette au 1/5. Seul le moteur est à l'échelle 1. La largeur habitable sera de 1,57 mètre. La Descartes pèsera 900 kg. Le coefficient de traînée (cx) annoncé est de 0,34, une valeur exceptionnelle pour l'époque. A titre de comparaison, cette valeur est d'environ le double sur les voitures américaines les mieux profilées, et d'environ 0,80 sur les voitures françaises contemporaines. Le châssis est également original.

Claveau a visiblement retrouvé les soutiens techniques et financiers nécessaires à son nouveau projet. L'Aluminium Français, qui promeut l'usage des alliages légers et aide parallèlement Jean-Albert Grégoire, participe à l'aventure de la Descartes. Le V8 à refroidissement par eau, entièrement en alliage léger, affiche 2 292 cm3, et est annoncé pour 85 ch (pour 13 CV fiscaux). Il est placé en porte-à-faux devant les roues avant. La boîte de vitesses à cinq rapports intègre un overdrive (cinquième rapport) afin de réduire le régime moteur à haute vitesse.

Ce projet de limousine est conçu pour offrir un confort maximal à six passagers. Il apparaît nettement en avance sur son temps, avec ses formes aérodynamiques, ses phares profilés, sa calandre minimale, ses flancs sans aspérité et son pare-brise panoramique. Ce dernier se compose de quatre parties : deux sections centrales plates flanquées de petites sections incurvées. Cela ressemble à une évolution du système adopté par Panhard sur sa Dynamic de 1936. La calandre se résume à une simple prise d'air circulaire. Comme sur le prototype de 1932, le dessous de la coque est parfaitement plat pour limiter les remous d'air.

La couverture de la brochure diffusée par Emile Claveau au Salon de Paris 1946

Paradoxalement, dans ce contexte de sortie de guerre, le Salon de l'automobile d'octobre 1946 est celui des voitures non disponibles, car tout manque pour une mise en production des différents projets. Tout au plus peut-on acheter une Delahaye, une Hotchkiss ou une Talbot, à condition de la payer en devises. Même les constructeurs qui disposent des finances manquent d'acier, de caoutchouc, de cuir, de tissus. L'essence est encore rationnée. Ce Salon est clairement une vitrine d'espoirs, une vision d'avenir, avec des prototypes et des modèles promis à une belle carrière. Emile Claveau s'y sent donc parfaitement à l'aise.


Epoque 3 - Salon de Paris 1947 - 13 CV Descartes


Nous sommes en octobre 1947. Le moteur V8 légèrement perfectionné, et la maquette de la Descartes au 1/5, sont de nouveau exposés au Salon de Paris. Le contexte économique reste très difficile. Le pays, ruiné par la guerre, peine à se remettre debout. Il est donc plus difficile que jamais de trouver un investisseur prêt à se lancer dans un projet aussi coûteux et futuriste que celui de la Claveau Descartes. Il faudrait  au minimum un appui sérieux auprès des hauts fonctionnaires du ministère de la Production Industrielle. Or, c'est Paul-Marie Pons qui mène la danse avec son fameux plan de rationalisation de l’industrie automobile française. Ce plan donne la priorité à l'exportation pour obtenir les devises étrangères indispensables à l'achat de matières premières qui manquent en France. Dans ce contexte d'urgence économique, tous les projets considérés comme aventureux sont tout simplement ignorés.

Assez logiquement, Emile Claveau figure parmi les plus virulents pourfendeurs du Plan Pons et de l'administration. En 1945, il n'a pas hésité à écrire une violente diatribe contre les " scribouillards qui finiront par asphyxier la France en la submergeant sous leurs paperasses stériles et inutiles. " Il recommande même de " supprimer 90 % des ronds-de-cuir " dont l'activité négative consiste à freiner et à persécuter ceux qui produisent. Ce genre d'appréciations ne lui sera pas pardonné par les autorités. Bien que l'intelligent prototype Claveau Descartes ne soit pas moins bon que d'autres projets, comme celui de J.A. Grégoire (le type R), Claveau va payer ces écarts de langage qui le rendent inaudible.

Au Salon de Paris, Emile Claveau présente à Vincent Auriol la maquette de la Descartes, et son nouveau V8 - Source : Automobilia, n° 498, décembre 1947.

Ce que l'on ne voit pas sur la photo ci-dessus, c'est le grand tableau à l'autre extrémité du stand, qui porte le texte suivant :

" A nos amis et clients. Dans l'impossibilité où nous sommes de livrer la voiture Claveau type " Descartes " , aux innombrables clients français et étrangers qui en font la demande, nous devons quelques explications à tous ceux qui nous sollicitent car la situation actuelle de notre pays s'oppose à la fabrication de cette voiture en série. En effet, pour réaliser une telle fabrication, il n'y a que deux moyens possibles. Le premier est la création d'une Société disposant de plusieurs milliards de francs et des dix millions de dollars nécessaires à l'achat des plus modernes outillages américains. Cela ne pourrait être qu'une Entreprise d'Etat " ... ou une histoire de fous ... " et ça se vaut !. Le second serait un accord avec une grande firme française construisant sous licence. En principe, cette solution paraît s'imposer, mais, en pratique, elle est impossible car notre industrie automobile connaît des jours difficiles qui sont un prélude à sa disparition totale.

Ecrasée par des charges extravagantes et par une fiscalité imbécile, dans l'impossibilité de renouveler ses outillages, manquant de liberté et de matières premières, disposant d'une main d'œuvre sous-alimentée dont le rendement est mauvais, paralysée par des conflits sociaux et des menaces de nationalisation, privée des grands animateurs qui firent autrefois sa force et sa grandeur, subissant continuellement l'hostilité systématique et la malfaisance des politiciens démagogues ignorants et stupides qui, depuis vingt-cinq ans, ont tout fait pour entraver son développement, la construction française, en raison de ses prix de revient prohibitifs, n'est plus en mesure de lutter aujourd'hui sur les marchés étrangers et demain elle sera battue sur son propre terrain. Les conditions d'existence qui sont faites à nos constructeurs s'opposent aux réalisations d'avenir et nul ne le contestera.

Les deux solutions envisagées étant également impossibles, je renonce à construire mes voitures dans mon pays et c'est l'industrie étrangère qui profitera de mes travaux. Aujourd'hui, les constructeurs sont brimés et on sème des clous. Demain ce sera un délit de rouler en voiture ! Et après-demain, la ruine de notre industrie réduira au chômage un million de travailleurs. La preuve étant faite qu'il est désormais impossible de créer et d'entreprendre quoi que ce soit de bien et d'utile dans notre pays où la carence de l'autorité et la démission de l'intelligence nous préparent un avenir redoutable, c'est avec regrets que je prends une décision qui est approuvée par toutes les personnalités compétentes et par tous ceux qui m'honorent de leur amitié et de leur confiance. "

Le moteur de la Claveau, 8 cylindres en V, à commande hydraulique des soupapes. A l'avant, la turbine de refroidissement qui tourne à l'intérieur d'un radiateur circulaire - Source : Automobilia, n° 498, décembre 1947.

C'est au Salon de Paris de 1947 que Jean Bernardet (1921-2008) fait la connaissance d'Emile Claveau. C'est le début d'une longue amitié entre les deux hommes. A cette époque, Bernardet n'est pas encore le journaliste réputé qu'il allait bientôt devenir. Il est surpris et intéressé par l'amoncellement de caractéristiques techniques révolutionnaires présentées sur la Descartes d'Emile Claveau.


Epoque 3 - Salon de Paris 1948 - 13 CV Descartes


En octobre 1948, deux ans après la présentation du moteur et d'une maquette de la Descartes, le public du Salon de l'Automobile de Paris découvre enfin la limousine d'Emile Claveau à l'échelle 1. Elle a déjà été exposée à Genève en début d'année. Les phares sont implantés derrière des couvercles transparents qui épousent la courbe frontale. La carrosserie autoportante est extrêmement aérodynamique et légère. Ses dimensions et son poids respectent les promesses. Le coefficient de traînée (cx) n'est que de 0,34, comme sur les premières maquettes. La voiture atteint 150 km/h, soit plus qu'une Citroën 15-Six, " la Reine de la route ", qui ne dépasse pas les 135 km/h.

Le volume intérieur est réellement généreux, et l'accès aux places arrière se fait par de larges portes sans décrochement. Par contre, les portes avant sont plus mesurées. Leur taille est contrainte par le vaste pare-brise en quatre parties, qui déborde latéralement. Le coffre arrière est court et encombré par les passages de roues. Son volume n'est pas proportionnel à celui de l'habitacle, et la place y manquerait pour les valises de six personnes. Le poids reste contenu à 900 kg, comme annoncé dès 1946.

Au Salon de Paris 1948, Emile Claveau présente sa nouvelle voiture à carrosserie ponton et moteur V8, la Descartes -Source : Histoires et Collections, Automobilia hors série n° 7.

La Descartes suscite un grand intérêt de la part des ingénieurs, des techniciens et de la presse, mais reste complètement ignorée par les investisseurs potentiels, comme en 1946 et 1947. Il faut reconnaître qu'en cette époque de pénurie généralisée, elle ne correspond pas vraiment aux attentes de la clientèle, aussi bien en Europe, où peu d'automobilistes ont les moyens de s'offrir un tel haut de gamme, qu'aux Etats-Unis, où l'on préfère les grosses voitures clinquantes dotées d'un banal V8 hyperpuissant. Voilà plus de 20 ans qu'Emile Claveau tente d'imposer sa vision de l'automobile, sans succès. Doit-il renoncer ? L'homme semble désabusé. Il exprime publiquement son malaise et son pessimisme à l'issue du Salon.


Epoque 3 - Salon de Paris 1949 - 13 CV Descartes


Même s'il s'essouffle, Emile Claveau ne désarme pas. Il loue à nouveau un stand au Salon de Paris en 1949. On remarque quelques modifications d'équipement, notamment la présence de véritables pare-chocs avant renforcés et munis de butoirs, ainsi que des chapeaux de roues peints et des pneus à flancs blancs. Trois ans après sa première présentation sous la forme d’une maquette, la Descartes demeure l'une des voitures les plus avant-gardistes de l'industrie automobile mondiale. Hélas, elle demeure plus une attraction qu'une potentielle voiture de série.

La Descartes du Salon de Paris 1949 est dotée de nouveaux pare-chocs et de pneus à flancs blancs pour réaffirmer son haut niveau de gamme - Source : https://carstylecritic.blogspot.com

L'homme doit hélas renoncer à son projet. Il s'éclipse de nouveau. Son contemporain Jean-Albert Grégoire tente lui aussi d'imposer ses idées novatrices, non sans difficultés. Il possède quelques avantages sur Emile Claveau : il sait mieux se mettre en avant, faire parler de lui et de ses projets. Il est également un ingénieur, " un vrai, " et semble plus apte aux compromis qu'Emile Claveau.

Le V8 de la Claveau, sur le prototype exposé au Salon de Paris 1949 - Source : Automobilia, hors série octobre 1949.


Emile Claveau écrit la " La Vie Automobile "


1954

En janvier 1954, Emile Claveau prend sa plume pour écrire au mensuel " La Vie Automobile ", dirigé par Charles Faroux. Il rappelle avec justesse un certain nombre de faits.

Il y a exactement trente ans, le 20 septembre 1923, Emile Claveau a la révélation : l'idée d'une voiture sans châssis, dotée d'une coque intégrale, aux formes rigoureusement aérodynamiques, rigide et indéformable. Il imagine une voiture montée sur une suspension à quatre roues indépendantes, avec le groupe moteur-transmission logé dans la pointe arrière. A l'époque, il est convaincu que ses idées, logiques et rationnelles, finiront par s'imposer. Il anticipe les difficultés et se dit prêt à tous les sacrifices. Pourtant, malgré sa lucidité, il n'a pas mesuré l'ampleur de l'aveuglement et de l'incompréhension de certains.

Depuis, Emile Claveau a beaucoup travaillé et continue sans relâche, animé par l'espoir de réussir envers et contre tout, même s'il doit y laisser sa vie. Il a cependant dû renoncer depuis longtemps à l'idée de collaborer avec un constructeur français. Il est en effet pessimiste pour l'avenir de l'industrie automobile française, faute d'animateurs pour la réveiller.

Pendant ce temps, l'Allemagne travaille, se relève et se prépare à prendre la tête d'une Europe où la France pourrait devenir un pays de troisième ordre. Emile Claveau rentre tout juste d'Allemagne, où il s'est rendu trois fois en deux mois. Il constate l'ardeur au travail dans tous les domaines. Claveau avance des chiffres concrets et des raisons structurelles pour expliquer l'écart de compétitivité : les salaires en Allemagne sont inférieurs d'environ 20 % aux salaires français, et les charges sociales y sont moins élevées et sans doute mieux utilisées. Ceci malgré un fisc exigeant, le fait que l'Allemagne ait subi plus de destructions lors de la guerre, et une occupation alliée qui dure depuis plus de huit ans.

Selon Emile Claveau, les deux principales raisons de la disparité entre les prix allemands et les prix français sont claires : le travail à tous les échelons, et l'esprit d'entreprise des meneurs d'affaires, une " race " qui est en voie d'extinction en France. Il pointe également du doigt l'Administration française, peuplée de diplômés de certaines écoles qui n'ont plus l'âme de " conquérants ". Les Allemands, eux, s'attachent à produire des articles offrant un maximum de qualités pour un minimum de prix. C'est à ses yeux tout le secret de leur développement, avec des marchés intérieurs qui progressent parallèlement aux marchés d'exportation, permettant d'abaisser les prix grâce à une production accrue d'objets toujours perfectionnés.

1956

Emile Claveau a un talent littéraire évident, et un besoin manifeste d'exprimer ses positions, en particulier auprès de la presse spécialisée. Il trouve une oreille attentive en la personne de Charles Faroux dans " La Vie Automobile " d'octobre 1956. L'auteur se répète quelque peu, et ses propos parfois jugés excessifs peinent à être entendus. En voici une synthèse.

L'année 1956 est marquée par les erreurs techniques de l'industrie automobile mondiale (essieu rigide arrière, freins peu efficaces, mauvaise aérodynamique). Les Etats-Unis illustrent ce manque de clairvoyance en privilégiant une course à la puissance extravagante qui mène à une crise des ventes. A l'inverse, l'Allemagne de l'Ouest connaît une forte progression, s'imposant comme le deuxième producteur mondial. En France, l'expansion est freinée par un contexte économique difficile (crise algérienne, fiscalité élevée, prix de l'essence).

Côté modèles, la Renault Dauphine rencontre un succès immédiat, contrastant fortement avec l'échec " coûteux et complexe " de la Citroën DS (ndlr, selon les propos de E. Claveau). Le prix de la Dauphine, paradoxalement plus élevé au kilogramme que celui de modèles plus robustes (Simca Aronde, Peugeot 403), met en lumière certaines anomalies du marché. Quant aux technologies d'avenir (turbines, plastiques), elles sont jugées non abouties ou prématurées pour la production de série.

L'auteur milite pour l'abandon de l'obsession de la cylindrée au profit de l'efficacité technique. Il propose de réformer la réglementation des courses, notamment celle des 24 Heures du Mans, en y intégrant la surface du maître-couple comme critère essentiel. Cette mesure imposerait l'usage de voitures fermées aux formes aérodynamiques recherchées, forçant le progrès et mettant fin aux polémiques stériles. Il insiste sur le fait que les courses doivent viser l'avancement technique.

Pendant ce temps, le massacre routier se poursuit, la France approchant les 10 000 morts et 200 000 blessés par an. Il attribue la moitié des accidents aux imprudences des jeunes conducteurs novices, appelant à une répression sévère et à une éducation civique et technique dès l'école. Pour les autres accidents, il accuse l'aveuglement des autorités qui, depuis vingt-cinq ans, n'ont pas su anticiper le développement de l'automobile. Il est à ses yeux urgent de séparer les moyens de locomotion en créant des voies appropriées.


Epoque 4 - Salon de Paris 1955 - 5 CV traction avant


Découragé et ruiné par son projet Descartes, tous pensaient qu'il en était fini des aventures d'Emile Claveau, que l'homme avait fini par jeter l’éponge et accepté l’idée qu'il ne verrait jamais une Claveau sur une chaîne de production. Ce n'est donc pas sans une certaine surprise que le public retrouve un stand Claveau au Salon en octobre Paris 1955, où est exposée la Claveau 1956. L'homme a 63 ans, et il sait que c'est sa dernière chance.

Alors que le paysage automobile français est représenté par les Citroën Traction bien sûr, mais aussi par les Renault 4 CV, Citroën 2 CV, Peugeot 203, Simca Aronde, Panhard Dyna, Renault Frégate et Ford Vedette, Emile Claveau expose une nouvelle voiture de 5 CV inspirée de la Descartes, mais beaucoup plus compacte, moins puissante avec son modeste moteur DKW 3 cylindres 2 temps de 896 cm3 développant 40 ch, et plus aérodynamique encore puisque son Cx est de 0,23. La voiture exposée n'est pas réellement fonctionnelle, car son moteur est simplement posé sur ses support.

Claveau 5 CV, Salon de Paris 1955 - Source : Histoires et Collections, Automobilia hors série n° 2

De style ponton, elle est toute en rondeurs et dotée de deux portes et de larges surfaces vitrées. C'est une traction avant, et elle semble bien plus moderne, et moins étriquée qu’une Renault 4 CV. Elle peut théoriquement atteindre 125 km/h, alors qu’une Renault 4 CV ne dépasse pas les 110 km/h. Emile Claveau souligne que lorsqu'il trouvera un investisseur, la voiture pourra recevoir un moteur de conception française.

Un prix est indiqué, 540 000 francs, proche de celui d'une Renault 4 CV décapotable Grand Luxe, vendue 556 400 francs. Mais ce prix reste théorique, faute de fabricant. Malheureusement, encore une fois, ce prototype ne suscite l'intérêt d'aucun industriel. C’est ainsi qu'Emile Claveau décide de mettre un terme définitif à ses activités de concepteur d'automobiles.

Cette Claveau est la seule à avoir été sauvegardée. Le docteur Jeanson, collectionneur de véhicules anciens, est parvenu à la sauver avant qu'elle ne disparaisse chez un ferrailleur. Après avoir été exposée dans le musée qu'il a consacré avec son fils à l'histoire des marques disparues, à Nogent-l'Artaud dans l'Aisne, la Claveau 1956 est désormais exposée au Musée Automobile de Tampa Bay, en Floride.

Le docteur Jeanson est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence consacré à l'histoire des marques disparues, publiés par les éditions FJAC. Ce sont des publications extrêmement rares, fabriquées de manière très " artisanale ", et donc quasiment introuvables. Il a justement consacré l'un de ses pavés aux Claveau.

 La Claveau sortant de restauration au musée Jeanson - Source : La Vie de l'Auto

L'historien de l'Automobile Jacques Rousseau a eu l'occasion de croiser Emile Claveau durant ses jeunes années. Dans le Fanatique de l'Automobile, il racontait en 1985 ces rencontres.

" A cette époque, fin 1947, début 1948, tout nouveau type de véhicule et, en particulier, son moteur, devait être officiellement homologué ... Le moteur devait, notamment, effectuer un essai de 100 heures au banc, essai réalisé au laboratoire de l'ACF à Cachan, devenu depuis l'UTAC. Lorsque l'on vit arriver le beau moteur V8 en alliage léger, chacun se réjouit ... de voir que, cette fois, une création " Claveau " serait autre chose qu'une maquette ou un plan mural. Placé sur le dynamomètre Froude, le moteur laissait voir ses massifs poussoirs hydrauliques du système de l'ingénieur Wrangel et tout paraissait prometteur. Hélas, lorsqu'on voulut reposer les carters cache arbres à cames, on s'aperçut qu'ils ne pouvaient pas coiffer les poussoirs de soupapes. Visiblement, ces carters étaient ceux du prototype initial sans les poussoirs hydrauliques ; mais voulant constater de visu cette anomalie, je fus gratifié d'une copieuse aspersion d'huile qui ruina mon costume clair ! Ainsi se termina mon contact " physique " avec l'âme de la Descartes dont, d'ailleurs, je n'entendis plus parler, pas plus que de l'essai officiel.

Je devais toutefois revoir encore une fois Emile Claveau, personnage que les échecs industriels avaient quelque peu aigri mais qui, en ces années 50, conservait la foi contre vents et marées. Il m'avait demandé de venir voir, au titre de la SIA, le grand plan de sa toute dernière création qu'il était sur le point de construire. C'est ainsi que dans un appartement proche du Parc Monceau, je découvris la silhouette " grandeur " de cette Claveau 1956 ... Beaucoup plus sage que la Descartes, ce projet de voiture légère possédait de bonnes caractéristiques et, comme en 1947-48, Emile Claveau me parla du marché américain. Hélas, à cette époque, les constructeurs d'outre-Atlantique vivaient au rythme des 350 chevaux de leurs grands monstres à la mécanique classique. Je me rappelle aussi qu'Emile Claveau me confia, un peu las : "Cette fois, j'ai mis dans cette voiture tout ce qui me restait ". Émouvante conclusion à ces trente années d'efforts ininterrompus en faveur du renouveau. "

Dans les années 1960, Emile Claveau poursuit sa croisade du bon sens technique. Avec Bob Lutz de la General Motors, les échanges sont réguliers. Emile Claveau parle de Lutz comme de l'un des rares responsables commerciaux à justifier ses avis par des connaissances techniques d'un excellent niveau.

Parallèlement, Emile Claveau conçoit un nouveau type de freins à disque, où l'évacuation thermique est plus facile. Les formes de plus en plus arrondies des voitures lui donnent l'idée de pare-chocs en caoutchouc sous pression, qui s'intègrent parfaitement aux formes des carrosseries.

Ses dernières années le trouvent handicapé par la fracture d'un fémur qu'il doit opérer à trois reprises, avec à chaque fois de longues périodes de convalescence. Claveau pour s'occuper pendant ses périodes d'inactivité adresse à Jean Bernardet de longues lettres dans lesquelles il développe ses réflexions.

Oublié de tous, Emile Claveau décède le 10 mai 1974.


Texte : André Le Roux / Jean-Michel Prillieux
Reproduction interdite, merci.

Sources :

La Vie Automobile, différentes éditions de 1925 à 1956
Automobilia, différentes éditions des années 1920/1930
Le Fanatique de l'Automobile, n° 199, mai 1985, Jacques Rousseau
Automobilia n° 95, 2009, par Marc-Antoine Colin
Rétroviseur, n° 109, septembre 1997, Jean Bernardet
50 ans d'Automobile, J.A. Grégoire, 1974, Flammarion
Toutes les voitures françaises, par René Bellu, Histoires et Collections

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