L'automobile, cette inconnue

Le mensuel l'Automobile proposa entre août 1975 et janvier 1976 une étude de Patrick Bertholon, intitulée " L'automobile, cette inconnue ". Cet architecte s'attacha à démontrer les mécanismes de l'évolution des styles et des modes en automobile. Il démontra à quel point l'automobile est " multiple ". La présente page s'appuie sur ses travaux, avec l'aimable autorisation de l'auteur. Des éléments d'actualisation sont introduits pour coller avec l'évolution de ce mode de transport depuis 1975, en italique dans le texte.
 

Notre plus petite maison

Notre plus gros objet

Notre plus gros animal domestique

Le tout dans un environnement quotidien


Notre plus petite maison


" Sur " puis " dans " son automobile

Il y a longtemps que l'homme ne monte plus " sur " la machine automobile. Aujourd'hui, nous entrons " dans " la machine, dans notre machine, progressivement devenue une autre maison : elle nous offre un espace à la dimension de nos rêves d'enfant, beaucoup plus attirant que celui proposé par les transports " en commun " qui s'éloignent de ce que nous pourrions souhaiter comme outil de déplacement.

A cette époque, on montait " sur " son automobile

L'automobile nous protège des " autres ", de la foule, ou simplement des conditions climatiques, et dépassant son rôle originel de moyen de transport, elle s'affirme de jour en jour comme un de nos derniers lieux de solitude, d'isolement, un de nos rares refuges possibles. 

L'habitacle tend à se transformer en un véritable cocon, avec quelques extrêmes ...

L'espace intérieur

Dédaignant l'étude des déplacements collectifs, la démocratisation des moyens de transport a consisté à mettre à la portée du plus grand nombre d'entre nous le carrosse mécanique destiné au départ, à quelques privilégiés.

La 2 CV contribua largement à la démocratisation des " carrosses mécaniques "

Cette multiplication de l'engin automobile imposa alors à ses constructeurs une standardisation relative de ses caractéristiques pour répondre à plusieurs nécessités : circulation sur une infrastructure routière nationale (notions de gabarit, de maniabilité ...), fabrication en série (mise en oeuvre des pièces, main-d'oeuvre), définition de l'acheteur " type " (prix, nombre de places ou charge utile ...), et des besoins moins apparents comme la notion d'espace qui peut varier d'un pays à l'autre. 

La notion d'espace peut varier d'un pays à l'autre

Le carrosse

L'espace intérieur, notre habitacle, après n'avoir été qu'un résidu d'espace entre la carrosserie et les organes mécaniques, retrouve la position d'honneur qu'il occupait déjà dans le carrosse ou la diligence : il s'isole de plus en plus de la partie mécanique, encore bruyante, sale et relativement encombrante (arbre de transmission, suspension, passage de roues). Aussi sont nées les " tout à l'avant " et les " tout à l'arrière ", en attendant qu'une réduction encore plus sensible de la partie motrice offre la possibilité de créer un châssis moteur sur lequel prendrait place l'habitacle.

Ces deux Fiat des années 60 proposent une vision différente de l'utilisation de l'espace intérieur

L'aménagement

Nouveau cocher, le conducteur est indispensable au contrôle du déplacement de l'automobile. Longtemps à l'écart pour des problèmes de visibilité et des raisons sociales, le " chauffeur " partage maintenant le même espace que les personnes qu'il conduit.

La même volonté de séparer le " petit " personnel des  " personnalités ", à deux époques différents

Cet espace peut être cloisonné, notamment dans les taxis, qui doivent souvent se protéger du risque d'agression. Une importance toute particulière est accordée à cette place, pour des raisons de sécurité et des arguments commerciaux : la sécurité des passagers dépend, en effet, de la facilité avec laquelle le conducteur pourra contrôler le déplacement du véhicule et lui imprimer sa volonté.

Le rêve profond

Suivant les contraintes de fabrication (notamment l'exportation), les constructeurs affirment plus au moins " le poste de pilotage " dans le dessin du tableau de bord. Les instruments de contrôle restent accessibles quelle que soit la taille du conducteur grâce à l'adoption d'un siège ou d'une colonne de direction réglable.

Le tableau de bord symétrique de la Mini a toujours facilité son exportation, et le concept est encore d'actualité, comme en témoigne ce projet d'habitacle pour une Mini du futur.

Une autre manière de renforcer la sensation de puissance sécurisante que nous recherchons " derrière " le volant est l'architecture générale de la carrosserie. Un des premiers artifices utilisés fut, certainement, la démesure du capot derrière lequel nous nous asseyons, comme un président se " cale " derrière un grand bureau.

La démesure du capot d'un Cadillac vue par le carrossier Grandeur, à l'image d'un président qui se " cale " derrière un grand bureau (source : http://www.archiexpo.fr).

Comme un président

Les arguments commerciaux s'adressent tout naturellement au conducteur, souvent acheteur de l'automobile, parce que c'est bien par la conduite que nos rêves peuvent s'exprimer, bridés par la relative uniformité de modèles sur lesquels on ne peut que difficilement intervenir (bricolage, réparations, décorations ...). La conduite s'apparente alors à la pratique d'un sport, dont le ski de piste est certainement l'un des plus proches par les sensations qu'il nous procure : position de repli sur soi, solitude relative et compétition, victoire sur les éléments naturels, griserie de la vitesse et du risque, rêve d'un déplacement plus ou moins aérien.

Source : http://www.lexpress.fr

Des points communs entre le ski et la conduite automobile : victoire sur les éléments naturels, griserie de la vitesse et du risque, rêve d'un déplacement plus ou moins aérien ...

L'aménagement de cette place doit donc nous permettre une conduite sûre et satisfaire nos rêves profonds, dépassant d'ailleurs la seule vanité. La définition des éléments de sécurité et, notamment, des instruments de contrôle est ainsi extrêmement variable selon les modèles d'automobiles fabriqués et reste dans le domaine des " options " et " accessoires ". Ceci va du choix du mode de changement de vitesse (proche du volant comme sur les plus récentes voitures électriques ou plus traditionnellement au plancher), au compte-tours, des systèmes de désembuage à ... l'habillement du conducteur.

Aston Martin et 2 CV, ces deux automobiles sont pourtant contemporaines, 1965 en l'occurrence

Adopter la position

Selon la taille et la conception mécanique de l'automobile, une à deux personnes peuvent prendre place à côté du conducteur. Mais sans avoir aucune de ses occupations, elles doivent généralement adopter la position du conducteur, l'absence d'un second volant étant parfois compensée par des " poignées de maintien ". Les sièges avant séparés ont permis d'adapter la place disponible pour les jambes, puis l'inclinaison du dossier à la volonté de chacun.

La conception originale de la Bagheera autorisait deux places assises face à la route

Les places nobles

Les places arrière étaient, à l'origine, les places nobles du carrosse automobile, mais d'année en année, l'espace qui leur était consacré diminuait. La conception étriquée de ces places était liée aux études de marché, qui décrivaient l'utilisateur - nous - comme un couple avec deux enfants, limitant ainsi à deux adultes la capacité de transport " confortable " d'une automobile. La généralisation des monospaces à partir des années 90 a quelque peu renversé cette tendance.

 L'espace ne manquait pas à bord de cette Cadillac 1946

La Renault Espace (la bien nommée) revue et améliorée par Heuliez : l'émergence des monospaces a permis de renouer avec de plus vastes habitacles.

La course aux appuie-tête

La taille des passagers est limitée par le dessin aérodynamique de la carrosserie et par le recul des sièges avant. Le confort thermique de ces places est parfois précaire. Le chauffage y parvient mal et l'aération peut être mal adaptée. La visibilité est elle aussi un sujet de critique. La course aux appuie-tête fit un temps, sur certains modèles, disparaître aux yeux des passagers arrière le paysage de la route et les passagers avant.

Le problème de la visibilité de la Renault 12 TS, version apparue pour le millésime 1973, ne fut corrigé qu'en 1976 par l'adoption d'appuie-tête ajourés.

Très tôt, aux Etats-Unis, des constructeurs s'efforcèrent de faire disparaître le montant central entre les portières avant et arrière, ce qui permettait d'alléger visuellement le profil, alors que la surface du vitrage latéral s'arrêtait encore souvent avant le passager arrière.

Cadilllac Fleetwood Sixty Special 1964, sans montant central

La visibilité latérale est mesurée pour les passagers arrière de la Datsun Cherry

Au fil des années, la visibilité de la lunette arrière a largement été améliorée, essentiellement pour des raisons de sécurité de conduite. Les passagers arrière en profitèrent, pouvant ainsi élargir leur vision du paysage.

L'accroissement de la visibilité arrière sur la Volkswagen ne cessa de s'améliorer au fil des années

Les progrès réalisés dans le traitement des surfaces vitrées permettent désormais d'offrir des pare-brises panoramiques ou de vastes toits vitrés. Ceux-ci sont encore marginaux dans la production actuelle, mais ils bouleversent le sentiment d'espace que peuvent éprouver le conducteur et ses passagers, ainsi que la visibilité.

Citroën est l'un des précurseurs du pare-brise panoramique mordant sur le toit

Le symbole utérin

A bord des berlines deux portes ou des coupés, les passagers arrière ne disposant pas de leur autonomie doivent demander l'ouverture de la porte au conducteur ou au passager avant. Dans les années 70, Renault fit avec la Renault 5 le pari de faire accepter cette solution aux Français, jusqu'alors réticents. Peugeot n'eut pas la même audace avec sa berline 104.

Sur le même créneau, les Renault 5 et Peugeot 104 nées en 1972 opposent deux visions différentes.

Mazda innovait en 2003 en proposant un coupé RX8 à quatre portes. Celles de l'arrière s'ouvraient dans le sens inverse de la marche, uniquement une fois les portes avant ouvertes. Mini commercialisait en 2008 une nouvelle mouture de la Clubman, dotée de deux portes côté trottoir, et d'une seule côté conducteur, avec une immense vitre latérale arrière.

La Mazda RX8 renouait avec les portes " suicides "

Mini Clubman 2008

L'espace intérieur d'une automobile présente un caractère essentiellement clos. Le fait que son accès se fasse par des portières dont les formes tendent à se dissimuler dans le dessin de la carrosserie révèle l'importance du symbole utérin de l'habitacle.

Source : http://www.e-bebe.fr

Le symbole utérin de l'habitacle protecteur est bien représenté à bord de la Citroën Tubik de 2011

Un cocon de métal

La décoration intérieure d'une automobile fait oublier que l'on se trouve à bord d'un engin mécanique. Elle fait appel à tous les matériaux de la maison. Les couleurs et les tissus de ces deux espèces (la maison et l'auto) ne sont pas encore assortis, mais nous retrouvons dans notre cocon de métal les matériaux nobles de notre " foyer " : panneaux de bois, cuirs moelleux, tissage épais au sol, cumul d'imitations qui n'ont d'autre but que de nous offrir un nouveau salon, à la fois plus intime et suffisamment représentatif de l'image que nous voulons donner de nous-mêmes à nos proches ou à un éventuel étranger. En 1984, le monospace Renault Espace permettait à son propriétaire de recevoir ses amis " comme à la maison ".

La modularité du Renault Espace de 1984 transformait votre auto en un véritable salon

Des engins comme le Volvo XC90 de 2002, en créant une nouvelle catégorie d'automobile, le SUV, ont contribué au déclin des monospaces. Un SUV par sa hauteur et ses volumes donne à son propriétaire une impression de puissance sur la route, pour mieux s'imposer face aux autres automobilistes. Mais ses formes plus torturées ne lui permettent pas d'offrir autant d'espace intérieur. 

Volvo XC90

L'ambiance sonore du moteur peut être étouffée, voire remplacée, si nous le désirons, par une émission de radio ou par l'écoute de musique à partir d'un support que l'on peut emporter avec soi.  Pour chacun de nos sens, ce salon peut devenir un microclimat roulant de plus en plus isolé du cadre dans lequel nous nous déplaçons, un véritable refuge.

Les embouteillages, un phénomène mondial. Source : https://blogbresil2014.files.wordpress.com

L'habitacle peut offrir un microclimat roulant isolé du cadre dans lequel nous nous déplaçons

Nous sommes donc plusieurs à cohabiter dans cet espace, assis relativement confortablement face à la route, l'un d'entre nous ayant la responsabilité de notre conduite. Mais la prévention de l'accident, orchestrée en une véritable psychose collective, a eu pour premier effet de généraliser l'utilisation de la ceinture de sécurité. Celle-ci fige l'attitude des occupants du salon roulant, qui fixés à leur siège, doivent adopter la position de spectateurs d'un spectacle purement routier dont la vision est le plus souvent étroitement limitée au pare-brise et aux surfaces vitrées latérales. Toutefois, les années 2000 ont vu l'émergence d'une nouvelle distraction pour les passagers des automobiles, celle des écrans vidéo.

Si l'utilisation de l'écran vidéo peut donner l'impression de raccourcir le temps, il annihile ce qui fait l'essence même du voyage, la découverte de nouveaux horizons.

L'oeuf

Le dessin des sièges et leur disposition sont les premiers éléments contribuant à la contrainte de nos attitudes, ne serait-ce que par une trop grande promiscuité entre les passagers. Ces contraintes renforcent d'ailleurs très fortement la perception utérine que nous pouvons avoir de cet espace intérieur de l'automobile : à la recherche de notre matrice maternelle, nous retrouvons un espace clos, semblable à l'oeuf, puis un maintien de tout notre corps dans un siège enveloppant.

La notion d'espace à bord d'une automobile est reconsidérée dans ce concept car Volvo. Les mouvements sont toutefois contraints par la ceinture de sécurité.

Recherche, évolution des espaces traditionnels

Tout en conservant la disposition des sièges ou banquettes face à la route, l'évolution la plus sensible des automobiles que nous connaissons est dans l'augmentation de la surface vitrée, très liée aux recherches sur la structure et sur les ouvertures. Les conditions d'accès ont donné lieu à de nombreuses réalisations différentes.

La Citroën C6 de 1929 et l'Opel Meriva de 2010 adoptent un système d'ouverture des portes similaire, de type antagoniste. Il n'y a de nouveau que ce qui est oublié !

Depuis la 300 SL de Mercedes commercialisée en 1954, on ne compte plus le nombre de prototypes qui ont fait appel aux fameuses portes papillon, comme cette BMW Turbo dessinée par Paul Bracq.

Le principe des portes en élytre a été adopté sur quelques sportives extrêmes, la plus célèbre d'entre elles demeure la Lamborghini Countach.

Des difficultés au point de vue sécurité ont conduit à généraliser une solution qui n'offrait pas la meilleure accessibilité. En effet, à partir des années 30, nous ne devions plus rentrer dans la voiture, mais nous y glisser. L'espace intérieur était limité au seul volume du pavillon.

A partir des années 30, l'abandon du châssis pour le châssis coque conduisit à des carrosseries formant un habitacle bombé, réalisées en suivant les progrès des techniques d'emboutissage.

La généralisation des carrosseries type monospace a remis en question ce principe. La Peugeot 1007 offrait une réponse pertinente aux difficultés d'accessibilité.

L'automobile devient une seconde peau, un vêtement, ou ... une armure, que nous quittons en arrivant à notre destination.

Avec le Hummer H1 qui frise la caricature, l'automobile se transforme en une véritable armure

Quand notre automobile et notre maison fusionnent pour ne constituer qu'un tout sécurisant :
http://www.frenchdriver.fr/1672-maison-contemporaine-collectionneur-automobile-usa

En 1931, L'architecte Le Corbusier acheva la construction de cette demeure pour la famille Savoye installée à Poissy. Le plan de son rez-de-chaussée comprenait, outre un logement réservé au chauffeur, un garage conçu pour accueillir trois véhicules. Source : http://www.sortir-yvelines.fr

La note contestataire

La surface extérieure des automobiles a toujours conservé son aspect brillant et lisse. L'évolution des couleurs vers quelques coloris vifs ne vise qu'à donner une note " sportive " ou " contestataire " sur une conception traditionnelle de l'automobile, évitant ainsi aux constructeurs de s'engager dans de lourds investissements pour répondre à une clientèle parfois difficile à cerner.

Renault 8 : quand la teinte détermine l'usage

Le noir et le blanc restent les couleurs nobles, comme elles l'étaient pour les chevaux. Le gris terne, symbole de l'outil, a rapidement disparu sur les voitures de tourisme au cours des années 50. De vastes gammes de couleurs discrètes sont maintenant proposées par les constructeurs, et le fait le plus marquant dans ce domaine est la multiplication des teintes métallisées qui renforcent l'éclat de la carrosserie et l'anoblissent. Le gris métallisé en particulier a fait une percée spectaculaire avec une infinité de variantes.

Jusqu'en 1953, la Citroën 11 CV Traction n'était disponible qu'en une seule couleur, le noir.

... ou la conception d'espaces différents

La lente évolution des véhicules à moteur au 19ème siècle nous a apporté de nombreuses dispositions des sièges, initialement installés en plein air. La création d'un espace clos sur les automobiles par une protection inamovible contre le vent, la pluie et le froid ne date que du début du 20ème siècle, et les solutions retenues ont été choisies en fonction de l'industrialisation de la fabrication, donc de la destination de l'automobile à un plus grand nombre de personnes. La normalisation était en route.

Au tournant du siècle, De Dion-Bouton proposait une automobile avec des places en vis-à-vis.

L'automobile devient un espace clos protégé

Voyager confortablement

Les différentes propositions d'aménagement de ces espaces traditionnels portent sur des propositions très diverses. Ainsi, par exemple, la réduction du nombre de personnes transportées par la modification de la disposition des places arrière ou leur suppression permet à trois adultes de voyager confortablement dans un espace trop exigu pour quatre personnes.

Mercedes 230/250/280 SL

Référence aux autocars

Le seuil réglementaire entre le transport à titre privé est le transport en commun est situé à huit passagers. Jusqu'à l'avènement des monospaces, transporter un nombre important de passagers nécessitait de faire appel à des véhicules destinés, à l'origine, à des chargements de marchandises, ceux-ci étant adaptés pour accueillir à bord plusieurs personnes, enfants ou adultes.

L'aménagement de ces espaces plus vastes correspondait moins à priori aux définitions symboliques de l'espace intérieur automobile, et faisait plus référence aux autocars, par l'ajout d'une banquette.

Une banquette supplémentaire permettait de proposer huit places à bord du break 504

Cette banquette arrière peut être installée " dos à la route ", une solution plus sécurisante en cas de choc frontal. Mercedes proposait à partir de 1977 cette solution sur sa gamme T.

Entre l'agression et la tension

La recherche d'un espace de discussion se rapprochant dans l'esprit des anciens compartiments des wagons de chemin de fer est un thème qui a souvent été abordé par les constructeurs. La présence de strapontins, ou l'aménagement de certaines voitures de grand confort peuvent créer un espace de discussion arrière, réservant la ou les places avant à la conduite du véhicule.

A l'arrière du taxi Austin bien connu des londoniens, une large banquette et deux strapontins en face à face, et à l'avant un siège pour le conducteur et un autre strapontin.

Le concept car Selene présenté par Ghia en 1959 doit beaucoup aux designers Tom Tjaarda et Sergio Sartorelli. L'intérieur en tissu à carreaux reste très typique des années cinquante.

La Mercedes 600 offrait un espace de discussion, sans doute plus utilisé par les businessmen que dans le cadre privé d'un usage familial.

Une nouvelle distribution des places de chacun dans cet espace automobile se voit dans certains prototypes, mais aussi à bord de véhicules de type camping-car aménagés pour y vivre quelques jours, voire quelques semaines. Dans de telles conceptions, le poste de conduite est généralement isolé d'une partie arrière recevant les sièges, et l'éventuel mobilier.

Le combi VW, son " chez-soi " sur quatre roues.

La notion de discussion à bord d'une automobile sous-entend la présence d'un certain nombre de personnes transportées. L'usage d'une voiture peut convenir à une famille nombreuse, à un taxi conçu comme un petit transport en commun, ou à un groupe de personnes désirant se rendre dans la même direction. Nous n'adoptons pas, et souvent ne pouvons adopter le déplacement familial ou en groupe d'amis qu'à l'occasion de " loisirs ". Nous nous déplaçons quotidiennement seuls ou accompagnés d'un ami ou d'un collègue, ce qui nous permet, malgré les embouteillages et le gaspillage d'énergie correspondant (que nous payons directement en carburant) d'échapper partiellement ou entièrement aux contraintes nombreuses des transports en commun.

Source : http://www.largus.fr (ci-dessus) et http://forum.doctissimo.fr (ci-dessous)

Quand choix il y a, celui-ci n'est pas toujours évident pour l'usager

Chacun d'entre nous exprime dans le choix de son moyen de transport l'équilibre qu'il établit entre le degré d'agression ressenti dans un mode de transport collectif et le degré de tension nerveuse imposé par la conduite de l'automobile, ceci bien entendu dans la mesure où le choix existe et où nos moyens financiers nous permettent ce choix.


Nos plus gros objets


Dans le précédent chapitre l'auteur s'était attaché à l'étude de l'espace intérieur de l'automobile. Dans ce deuxième volet, il traite de l'évolution des formes et des styles.

A l'origine, l'automobile était une machine, un engin mécanique sur lequel on pouvait s'asseoir pour se déplacer, dirigé par un conducteur mécanicien. Juxtaposition d'instruments mécaniques les plus divers, l'automobile est devenue, peu à peu, un objet, c'est-à-dire un ensemble cohérent à l'oeil et à l'esprit, une sorte de cerveau mécanique au fonctionnement mystérieux.

D'objet sans réel pouvoir de séduction à ses débuts, l'automobile s'est dès les premières années muée en un objet désirable.

L'évolution aérodynamique

Sous l'influence des nombreux ingénieurs aéronautiques qui participèrent à la recherche automobile, les différents éléments de l'engin mécanique reçurent d'abord des carénages puis fusionnèrent en un ensemble aérodynamique : la carrosserie dont la meilleure expression est le châssis coque.

Evolution des proues Renault

Arrondir les angles

Cette évolution aérodynamique, motivée par la volonté de tirer le meilleur rendement de la puissance mécanique disponible, a conduit à " arrondir " les angles, pour faciliter la pénétration dans l'air, à étudier le meilleur dessin pour assurer l'écoulement des filets d'air de cette carrosserie, tout en évitant les turbulences à l'arrière.

Source : http://aerodynamique.e-monsite.com

De la théorie à la pratique

Sur une carrosserie à " queue longue ", les filets d'air sont accompagnés par la carrosserie. Sur une voiture à " queue courte ", la carrosserie est remplacée par une surpression, obtenue avec l'air chaud du moteur et de l'échappement.

Porsche 917 à " queue longue "

Concept car Spada Codatronca TS, 2008

La goutte d'eau

Le modèle aérodynamique de référence est la goutte d'eau, et toutes les carrosseries que nous connaissons ne sont qu'un compromis entre elle et le volume dicté par l'habitabilité. Plusieurs constructeurs ont exploré cette voie.


La goutte d'eau, modèle de référence - Source : http://tpeaerodynamisme1s4.e-monsite.com

L'ingénieur autrichien Edmund Rumpler présente en 1921 la Tropfenwagen. Le véhicule affiche un coefficient de traînée (Cx) de seulement 0,28. La mesure, déterminée en soufflerie par Volkswagen en 1979, surprit alors les ingénieurs. Le constructeur allemand n'obtint un meilleur coefficient qu'en 1988, avec la Passat. Une centaine d'exemplaires seulement furent construits jusqu'en 1925.

Rumpler Tropfenwagen, 1921

Dans les années 30, Richard Buckminster Fuller, à la fois architecte, designer, inventeur et futuriste américain, construisit les prototypes Dymaxion (abréviation syllabique de " tension dynamique maximale ") sur un modèle fondé sur les technologies de l'aéronautique. La carrosserie, longue de 5,50 mètres, en forme de goutte d'eau, était assez grande pour accueillir onze personnes. Seuls trois prototypes auraient été construits.

Dymaxion par Richard Buckminster Fuller, 1933

La Saab 92 fut testée et affinée dès 1946 dans un tunnel aérodynamique d'étude aéronautique. La voiture affichait un Cx record pour l'époque de 0,32. Les places arrière étaient plus basses qu'à l'avant pour respecter la pente aérodynamique de la poupe. Elle fut produite en 20 128 exemplaires de 1949 à 1956.

Saab 92, 1949

Tatra proposait depuis 1934 d'immenses limousines au style très personnel et avant-gardiste dont les formes étaient dictées par l'aérodynamisme. La 603 présentée en 1956 et produite en 20 422 exemplaires jusqu'en 1975 affichait un Cx de 0,36.

Tatra 603, 1956

La recherche du meilleur coefficient de traînée demeure une constante à notre époque. En 1989, l'Opel Calibra obtenait le record pour un véhicule à quatre places avec un Cx de 0,26. Elle ne fut détrônée que vingt ans plus tard en 2009 avec la Toyota Prius qui affichait une valeur de 0,25. La Mercedes CLA de 2013 a remis les pendules à l'heure avec son Cx de 0,22.

Mercedes CLA, 2013

Le projectile

Cependant, la volonté d'assimiler l'automobile à une goutte d'eau oublie que ce projectile ne se déplace qu'à quelques centimètres du sol en reposant sur quatre roues. Ainsi naissent de nouveaux phénomènes aérodynamiques liés à l'augmentation des vitesses : la compression d'un filet d'air entre le châssis et la route, les turbulences au niveau des roues et de leur " passage " dans la carrosserie provoquent des pertes d'adhérence, voire le décollage des voitures en compétition.

La définition de projectile colle parfaitement à cette Firebird de 1953 conçue par la GM

Des solutions ont été trouvées pour ces dernières, mais qui s'éloignent de plus en plus de la recherche de l'amélioration du rendement mécanique par l'étude aérodynamique, qui fut un temps, par exemple, l'objet du classement " à l'indice de performance " aux 24 Heures du Mans. Les détails de carrosserie qui résultent de ces solutions sont cependant largement utilisés pour donner un caractère sportif, ou exprimer la puissance sur nos automobiles à usage quotidien, prenant le relais des clichés aérodynamiques " doux " ou hydrodynamiques employés jusqu'alors.

On retrouve les becquets et spoilers des voitures de course, ici une Mirage Gulf, sur nombre de voitures de série à " vocation " sportive.

Comme la Mirage, l'Alfasud Ti exprime sa puissance grâce à son spoiler AV et à son aileron AR

La fusion des styles de l'automobile et de l'aviation a donné naissance à quelques engins originaux. On pense à la 402 de Jean Andreau, ingénieur des Arts et Métiers, mais aussi aux ailerons arrière des Lancia Flaminia ou Peugeot 404, sans oublier ceux devenus mythiques des Cadillac 1959. Charles Deutsch semble aussi s'être inspiré des techniques de l'aviation en dessinant ses automobiles, en particulier celles qui gagnèrent l'indice de performance au Mans de 1959 à 1962.

Peugeot 402, 1935

Dewoitine D338, 1935

La Peugeot 402 Andreau, croisement d'une automobile et d'un avion

La même logique semble avoir guidé d'autres concepteurs d'automobiles, mais cette fois, l'inspiration semblait venir du monde nautique.

Canot à moteur, source : http://gallica.bnf.fr

Panhard Dynamic, 1937,

Peugeot poussa encore plus loin cette fusion entre automobile et esprit nautique avec son concept car 806 Runabout présenté en 1997. Sa silhouette évoque par la pureté de ses lignes le classicisme du canot automobile auquel se réfère d'ailleurs l'appellation Runabout.

Riva

Peugeot 806 Runabout

Le vocabulaire des signes appliqués aux objets

On entrevoit, ainsi, une partie du vocabulaire de " signes ", c'est-à-dire de repères significatifs avec lesquels les constructeurs habillent le volume de base de nos automobiles, voir les habitacles.

Les années 30

Le fondement de ces signes est souvent lié aux symboles propres à l'homme, mais il se base également sur l'évolution des techniques de pointe, créant ainsi de nouveaux symboles éphémères, langage d'une mode, et qui ne seront compris que par leurs contemporains.

Les années 50

L'automobile est le plus important de nos objets, de par sa taille et par ce qu'elle représente pour chacun d'entre nous. Il faut la regarder au milieu des autres objets qui nous entourent pour comprendre les interférences existant entre toutes les créations d'une même époque.

Les années 70, tendance chic

L'aérodynamisme, diffusé par l'automobile, a révolutionné le monde des objets vers le milieu du 20ème siècle, cet objet-roi étant alors plus accessible et donc convoité par un nombre de personnes sans cesse croissant. Des objets les plus divers devinrent alors carrossés, aérodynamiques, du fer à repasser au frigidaire !

Les années 70, tendance jeune

Si l'on continue, aujourd'hui, à retrouver des symboles issus de l'automobile dans nos objets quotidiens, il faut surtout remarquer l'apparition de certaines familles de formes, habillant n'importe quel objet et s'adaptant même à l'objet automobile, voire à l'architecture, qui n'est souvent plus que l'agrandissement de l'objet-maquette à la taille désirée. Cette standardisation des formes peut, sans doute, trouver une de ses explications dans la volonté de rassembler formellement, d'unifier toute cette multiplication d'objets dont nous perdons de plus en plus le contrôle, de par leur nombre et par leur technique trop sophistiquée.

Les années 2010

L'objet machine

On a vu se développer un mouvement de " contestation " de l'utilisation de ce vocabulaire de signes éphémères et qui aimerait retrouver dans chaque objet l'outil mécanique plutôt qu'un compagnon ou l'élément d'une collection. Ainsi sont nés de nouveaux objets machines qui, finalement, ne forment plus qu'une nouvelle famille d'objets dans la mesure où ils se multiplient et sont commercialisés par les mêmes règles que les autres.

Pour l'automobile, les buggys, les voitures de plein air, certains vieux modèles ne correspondant plus aux signes contemporains, possèdent ainsi un " marché ". Leur dessin ne fait appel qu'à des signes " techniques " et, parfois, à des signes éphémères d'une autre époque.

La notion de dynamique, le mouvement
La carrosserie

L'étude aérodynamique a conduit le plus souvent à des formes souples, si souples que, parfois, elles donnent à la carrosserie un aspect de mollesse, un aspect statique.

Mercury Sable, 1996, l'expression de la mollesse, de la soumission

Pour lutter contre cette évolution qui suivit l'intégration des garde-boue et des phares dans un seul ensemble, les carrossiers américains, aidés par les proportions des automobiles de ce continent, ainsi que les carrossiers italiens, créèrent un dessin plus tendu, s'appliquant à un objet qui se déplace et dont on souligne le mouvement. La " ligne " est allongée et un déséquilibre dans le profil exprime souvent une certaine agressivité.

La face avant conquérante de la BMW 635 CSi exprime le mouvement, voire l'agressivité

Les détails

La forme donnée aux accessoires ou éléments de la carrosserie permet également de souligner la sensation de vitesse désirée.

Le rétroviseur obus, symbole de vitesse

Peugeot, plus de 50 années d'évolution dans le design des optiques

Le passage de roues

Après avoir intégré les garde-boue dans le dessin de la carrosserie, l'évolution aérodynamique n'a pas pu faire disparaître le " passage de roues ", malgré quelques tentatives, qui remettaient quelques fois entièrement en cause l'architecture de la voiture. Les roues directrices étant à l'avant, il est difficile de les carrosser sans une largeur de carrosserie souvent incompatible avec la circulation ou avec l'aspect de sécurité que doit offrir l'automobile. Seules les roues arrière peuvent donc être carrossées, disparaissant ou non du dessin du véhicule.

Le carénage avant et arrière de la Nash Metropolitan 1956

L'un des signes distinctifs de la CX, son carénage des roues arrière

La puissance

L'affirmation de la puissance motrice peut créer dans la carrosserie un déséquilibre que nous percevons comme expression d'une dynamique, d'une puissance, de la même façon que nous ressentons le déséquilibre suggérant le mouvement. Techniquement, les roues motrices devraient être surdimensionnées par rapport aux roues libres. C'était le cas des premières DS 19 Citroën ainsi que des dragsters américains, mais cette différence de types de roues s'avère peu pratique. C'est ainsi que seuls les profils de carrosseries peuvent exprimer les tractions avant ou arrière, s'appuyant souvent sur des conceptions aérodynamiques opposées.

Bertone Runabout, tout à l'arrière

Citroën DS 19, tout à l'avant

Répartir la force motrice

La solution traditionnelle a longtemps consisté à répartir la force motrice en situant le moteur à l'avant et les roues motrices à l'arrière. L'expression de cette distribution dans le dessin de la carrosserie a donné lieu à diverses interprétations, valorisant individuellement ou simultanément les deux éléments.

Ford Capri, où situez-vous la puissance ... ?

Le choix des couleurs

Dernière notre de puissance, le choix de la couleur de la carrosserie : couleur vivre, agressive par elle-même, comme le rouge, ou couleur utilisée en compétition, comme le bleu France.

La puissance Ferrari s'exprime le plus souvent en rouge

L'expression de l'espace intérieur

Mais tous les dessins de carrosserie n'affirment pas la force motrice, et l'équilibre ou le déséquilibre dynamique cherché a souvent pour centre de gravité l'habitacle et non le moteur ou les roues motrices

L'habitacle apparaît comme étant le centre de gravité de la Fiat Multipla

La stabilité

L'étude du passage des roues dans la carrosserie ne se limite pas à l'aspect latéral, dynamique de l'automobile. L'aspect frontal est aussi important, exprimant la sécurité par la manière dont l'habitacle repose sur le sol. Cette silhouette frontale, élément aérodynamique important du coefficient de pénétration dans l'air et de la sensibilité au vent latéral, s'est progressivement réduite et " stabilisée ". Les roues elles-mêmes sont le principal élément de cet aspect frontal (avant et arrière) et leurs proportions, leur inclinaison due à la suspension, sont déterminantes par la sensation de sécurité que nous ressentons.

Changement de silhouette frontale massif chez Mercedes en l'espace d'un demi siècle

Le tapis volant

Le dessin de la roue est également très significatif de l'un des rêves humains les plus profonds : voler. L'intérêt des ingénieurs aéronautiques pour ce projectile automobile n'est pas sans fondement, et les améliorations successives apportées au confort de cet intérieur roulant ne font qu'essayer d'approcher les conditions de déplacement dans l'air. Il est d'ailleurs curieux de constater les recoupements incessants de la technique et du rêve : les plus gros progrès dans le confort ont été faits à partir de l'utilisation de l'air : la chambre à air, les suspensions pneumatiques ... jusqu'à la matérialisation réelle de ce rêve : le déplacement sur coussin d'air.

Séparer le véhicule du sol, c'est-à-dire couper le contact visible entre lui et le sol, est approché par les nécessités techniques d'allègement de la roue et de refroidissement des freins : les roues à rayons et maintenant les jantes ajourées en alliages légers, assurent une transparence à l'arrêt et disparaissent à vive allure. En marge de l'automobile proprement dite, des solutions " de rêve " sont expérimentées par quelques ingénieurs et des créateurs de bandes dessinées. Ces solutions, conservant le même but que l'automobile, tentent de se passer d'infrastructure.

1950, une vision du futur qui n'a pas encore existé ...

... sauf chez Renault qui installa cette maquette à Disneyland Paris de 1992 à 2002

Les flancs blancs qui permettent d'alléger visuellement le pneu ne furent qu'une mode. Par contre, l'adoption de couleurs légères pour les carrosseries continue à renforcer cette volonté : bleu clair, blanc et même gris métallisé rappelant l'aspect des avions. Il faut enfin rappeler que l'aménagement du revêtement des routes contribue également à cette notion de confort " volant ".


Le fabricant belge Englebert fut l'un de leaders des pneumatiques à flanc blanc

L'intimité

L'intimité de l'espace intérieur s'affirme dans le dessin extérieur de la carrosserie et par les marques d'appropriation que reçoit l'automobiliste de notre part. Par des décorations, notamment autour et sur les surfaces vitrées, chacun peut clore plus son espace intérieur. La plage arrière devient souvent une vitrine nous permettant d'exposer objets ou opinions aux yeux de tous, et par là, de rendre cet espace encore et toujours plus personnel.

Le seul objet industriel identifiable

Sur la carrosserie, la première marque visible de la propriété est l'immatriculation : ne sommes nous pas assimilés, et ne nous assimilons nous pas, soit à la marque, soit au numéro de notre voiture : la " Deux chevaux ", " le 75 ", " le 26 ", mais rarement le " gros ", le " chauve ", le " jeune ", sauf lorsque des embouteillages et des arrêts permettent une identification humaine ... et encore ! L'abandon en 2009 du système d'immatriculation laissant apparaître de manière évidente le numéro de département a quelque peu changé la donne.

Eb bian, la, n'v'là-ty pas un parigot avec son Austin !

L'automobile est, ainsi, le seul objet industriel " identifiable ", et l'importance de cette identité est telle qu'elle devient un des éléments de composition du dessin, essentiellement pour l'arrière de la carrosserie.

La parisienne après le parigot ! La plaque AR est un élément indissociable du dessin de la R4

Les ouvertures

L'intimité est offerte par le dessin et le traitement des ouvertures de l'espace intérieur clos : les vitrages, les accès et le toit ouvrant. Les cabriolets ont longtemps conservé leur intimité au creux de leurs capotes repliées. Ils s'abritèrent ensuite sous des arceaux de sécurité, puis sous des toits rigides rétractables. Les ouvertures plus réduites, les toits ouvrants, métalliques ou en toile, épousent la forme du pavillon.

Capote ouverte pour profiter du soleil, ou fermée pour conserver une certaine intimité

Les portières

L'évolution de l'automobile a consisté à refermer un espace intérieur autour des sièges, depuis la banquette en plein air sur un châssis, jusqu'à la " conduite intérieure " actuelle. Les accès à cet espace ont toujours été dissimulés par le dessin de la carrosserie, que celui-ci veuille exprimer la dynamique du projectile ou l'intimité de l'espace intérieur. La portière, dont la poignée devient de plus en plus discrète, est de même nature que la carrosserie qui s'entrouvre à cet endroit pour nous permettre de nous glisser à l'intérieur de notre habit mobile.

Alfa Romeo 156, ou quand la poignée joue à cache-cache

Par opposition à une maison, qui accorde une importance toute particulière au seuil, à l'entrée, et qui possède ainsi une communication, une transition avec l'extérieur, l'automobile, elle, n'est qu'une enveloppe protectrice que rien ne doit percer, ce qui est parfaitement réalisé dans la plupart des " voitures de rêve ", dont l'accès, généralement, relève de l'acrobatie ou de la spéléologie.

Lancia Stratos Zéro concept, 1970, accéder au volant relève de l'acrobatie

Les vitrages

Les surfaces vitrées restent le seul lien visible entre l'intérieur et l'extérieur. Parallèlement à une intervention personnelle visant à individualiser notre véhicule, l'option " verres teintés ", proposé sur de nombreux modèles, permet d'assombrir un espace intérieur trop lumineux, donc d'atténuer extérieurement la découpe du vitrage, pour mieux affirmer le volume protecteur comme un tout et non comme un léger pare-brise et un parapluie.

D'un extrême à l'autre, Lamborghini Marzal 1967 et Volvo 262 Coupé, 1977

L'oeuf symbole

Le dessin des vitrages se heurte constamment à l'augmentation de leur surface pour des raisons de visibilité et de modernisme. Un parallèle avec l'architecture peut encore fait si l'on veut comparer cette opposition à celle qui divise les partisans des baies vitrées et ceux des " fenêtres à petits carreaux ". Aujourd'hui, pour la plupart des voitures et, surtout, pour les " mini ", la recherche de l'oeuf symbole dans le dessin des vitrages est élargie à la carrosserie toute entière, le risque de claustrophobie étant limité par l'adoption de larges toits ouvrants souples.

'oeuf d'Arzens, l'Isetta et la Fiat 500

Aspect de la carrosserie

Le revêtement de la carrosserie est encore un autre moyen d'expression de l'intimité, pouvant utiliser, comme pour l'aménagement intérieur, des matériaux (ou leur imitation) symbolisant un confort et le luxe d'un travail artisanal perdu.

Le toit recouvert de vinyle a longtemps été l'un des symboles du luxe chez Ford

La couleur, enfin, par des gammes de teintes chaudes (beige " oeuf " ou " peau ", marron " cuir " ou " bois "), peut redonner à la carrosserie une intimité que menaceraient des couleurs voyantes. Le noir et le blanc sont plus marginaux, de par leur forme d'action sur notre perception. Le noir est, en effet, un symbole de la peur (peur de la nuit) adopté pour représenter la mort, et nous suggère un certain respect, un recul face à la personne ou à l'objet qui revêt cette couleur. Ainsi furent noirs les premiers objets " sérieux " : la Ford T, la machine à écrire, le téléphone et les costumes. Ainsi sont toujours noires les voitures et objets officiels (respect) et les corbillards (respect ou deuil, et peur de la mort). Le blanc, quant à lui, symbole de la pureté et de la légèreté (neige, oiseaux, nuages) aide à exprimer l'évasion cherchée à travers l'automobile.

Le noir, symbole de la mort

L'unité de volume

L'intimité, l'expression de l'oeuf intérieur de l'automobile exigent que le dessin de la carrosserie ne coupe pas l'unité du volume par une succession de plans ou de formes dont l'assemblage pourrait paraître précaire. C'est d'ailleurs pour cette raison que les accès ou les ouvertures du toit sont aussi discrètes que possible. La solution longtemps adoptée, la plus simple, était la création d'une ceinture de caisse, ligne de force dans le dessin, se continuant sur trois côtés au moins.

Plusieurs volumes (4 CV), un ligne directrice, le ponton (404), un seul volume (l'Espace)

Le dessin de la ceinture de caisse peut exprimer la vitesse, le dynamisme, l'accélération, la sécurité et la puissance par une affirmation du dessin des roues.

Maserati Khamsin et Holden Torana GTR-X, une même expression de la vitesse

La sécurité

De même que la stabilité, la sécurité est une notion nécessaire à l'intimité, puisque cette dernière ne peut exister sans une sensation de sécurité. La première protection consiste à envelopper suffisamment l'espace intérieur pour qu'il soit ressenti comme sûr, même en cas d'accident. Ceci conduit à la présence, même réduite à sa plus simple expression, d'un " capot avant ".

Qui mieux que Volvo peut exprimer la notion de sécurité ...

A contrario, le capot avant de la Fiat 600 Multipla est réduit à sa plus simple expression

Le radiateur et les symboles

Une autre protection, plus subjective celle-là, est offerte par le recours à la superstition dont les symboles ont fourni de nombreux emblèmes aux marques automobiles et continuent à être des thèmes de décoration de véhicules de tous les pays. Le radiateur, signe apparent du moteur, fait l'objet de tous les soins sur les camions des pays pauvres, recevant des grilles protectrices décorées avec soin et dont le rôle est certainement plus de protéger le conducteur d'une panne, que d'éviter que le radiateur ou les phares soient endommagés par une pierre ou la rencontre d'un animal. Le radiateur a d'ailleurs été, dès les premières automobiles, le principal élément de décoration. Son recul à l'intérieur de l'espace moteur, avec l'apparition de la calandre carrosserie, n'a pas été général et sa présence sur certaines voitures reste une marque de noblesse.

La calandre Mercedes traditionnelle est un élément constitutif de l'identité de la marque. Elle est hélas en perte de vitesse ...

Le contrôle

Dernier facteur de sécurité, le contrôle de l'automobile, c'est-à-dire la facilité que nous pouvons avoir à ne pas être " dépassés " par la complexité de notre automobile, dont nous prendrions finalement peur puisque devant nous y soumettre.

Mercedes fit l'erreur de proposer une carrosserie trop imposante sur sa Classe S série W140, qui fit peur à une part de sa clientèle traditionnelle.

Les moteurs devenant définitivement inaccessibles, les constructeurs ont pris le parti de simplifier la carrosserie et le volume automobile. La suppression du coffre permet de limiter l'automobile à deux espaces : l'espace moteur et l'espace intérieur, avec passagers et bagages. La diminution constante du volume général de l'automobile (et également de l'espace intérieur) nous permet de mieux percevoir notre véhicule dans son ensemble, le réduisant à la dimension d'un gros objet à notre taille, ce qui est plus rassurant qu'une fourgonnette par exemple, que nous ne pouvons regarder sans nous sentir inférieurs. Et enfin, la simplification maximum des éléments de la carrosserie évite à notre oeil de se disperser sur des quantités de détails pour mieux percevoir notre véhicule dans son ensemble en accentuant encore son aspect de gros objet.

Renault Laguna, la complexité de son dessin la distingue, sans la rendre " belle " pour autant
 


Notre plus gros animal domestique


 L'automobile possède quelque chose de plus qu'une maison ou un objet : la vie, qu'on ne pouvait mieux exprimer que par l'appellation d'"Auto-mobile ", " qui se meut par soi-même ". Elle a sa jeunesse, pendant laquelle elle doit être rodée, puis elle connaît l'âge mûr, avec les maladies, puis la vieillesse et sa mort. Elle a ses indomptables, ses pur-sang, elle a ses foires. Elle est notre plus gros animal domestique.

Un vieux mythe

Jacques Baudrillard, dans " Le système des objets " paru en 1968, voudrait voir dans l'automobile la version moderne du vieux mythe centauresque de la fusion de l'intelligence humaine et des forces animales. Cette interprétation peut même trouver des arguments dans le dessin des carrosseries dont l'emplacement le plus noble a toujours été l'avant, et plus particulièrement l'extrémité supérieure (la tête ?) du radiateur dont la composition fait d'ailleurs appel à des symboles spatiaux fondamentaux, le carré ou le rectangle d'or et le cercle.

L'automobile, version moderne du centaure ?

La physionomie

L'automobile doit être considérée comme le terrain d'une vieille pratique humaine consistant à nommer l'inconnu par peur de cet inconnu. Ainsi, la plupart des Dieux ont reçu des visages humains, ainsi, toute forme nouvelle ressemble toujours à une physionomie humaine ou animale à laquelle nous pouvons faire référence. Ce phénomène d'anthropomorphisme a très rapidement rendu symétrique l'aspect extérieur des automobiles, les dotant des éléments essentiels des hommes et des animaux : bouche, yeux, parfois le nez.

Panhard Dyna - Portrait d'une jeune femme dans une robe rouge, 1824, Eduard Friedrich Leybold

Les phares

Depuis la réunion de tous les éléments frontaux de l'automobile dans la carrosserie, lisse comme une peau, toutes les expressions d'un visage peuvent se retrouver sur sa face. Yeux parfois mobiles, les phares permettent de vaincre la peur de la nuit. De jour, leur forme et leur accompagnement par une indication de sourcils donnent un élément important de la physionomie. Le profil de la carrosserie peut introduire une notion de " prestance ", un regard oblique vers le sol est assimilé à une démarche tête baissée.

La Miura adopte un visage humain avec ses cils de phares

La calandre

Cette bouche alimente le moteur en air, indispensable à son refroidissement. Son expression soulignée ou non, renforce généralement la physionomie esquissée par le dessin des yeux. De fausses calandres sont même adoptées sur certains modèles pour satisfaire ce besoin de symétrie et de présence d'une bouche dont les proportions et le dessin expriment le caractère souhaité. Le nez remplissant pour nous cette fonction d'alimentation en air, aurait pu servir d'élément de référence, mais son manque d'expression lui a fait préférer la bouche. Sa présence n'existe que sous la forme de fines narines féminines ou, plus fréquemment, par le passé, sous la forme du museau animal, représenté par les longs capots et les pare-brise-yeux.

Le long nez protubérant des Pontiac de la fin des années 60 et début des années 70

La gueule béante de l'Aston Martin DB7 Vantage Zagato

Les traits humains, la mode

Il faut remarquer que ces carrosseries ont été créées la plupart du temps par des hommes, et une étude comparative entre ces dessins et la mode féminine, le maquillage, les canons de beauté, serait très intéressante, révélant des liens très étroits entre ces formes d'expression de la séduction et du désir. De tels rapprochements ont déjà était faits avec succès en ce qui concerne l'architecteur des temples antiques et la mode de l'époque.

Les formes généreuse de l'Aiglon par Luigi Colani

Sur ce site, le thème des analogies entre les traits humains et l'automobile a déjà été traité : http://leroux.andre.free.fr/digression1.htm. Il complète par de nombreux exemples les écrits de Patrick Bertholon.

Un masque

Cette face aux traits humains nous sert également de masque : un masque figé, comme tous les masques, par notre opposition à notre humeur. Chacun de nous, anonyme dans sa voiture, ressemble, en fait, à un travesti de carnaval derrière le masque qu'il a choisi, gai, triste, sérieux, doux, agressif, et éventuellement personnalisé.

Notre anonymat est protégé par des vitres teintées

Le corps

La création d'une personnalité pour chaque modèle d'automobile ne s'arrête pas au dessin de l'avant de la voiture. L'absence d'ouverture visible dans la carrosserie en fait véritablement un nouveau Cheval de Troie, au pelage lisse et doux, dont les quatre pattes sont les quatre roues. Ce corps doit, pour nous, suggérer la puissance, l'évasion, parfois la féminité, ceci à l'aide de rappels de positions humaines et d'attitudes animales. Les oiseaux, symbole même de l'évasion, ont longtemps prêté leurs ailes à celles de l'automobile.

Hispano Suiza

Les taureaux et les chevaux

Ce sont les animaux de référence pour la puissance et l'agressivité. Les traits des bêtes de corridas ou de tiercés sont appliqués au dessin des carrosseries qui ont remplacé les boeufs et les percherons.

Alfa Romeo Alfetta GTV, " dynamique "

Nissan Figaro, " statique "

Les cuisses

Certains insectes, les grenouilles, les félins offrent de nombreuses images de contraction musculaire suggérant un puissant saut. Ce développement de la musculation des " cuisses " est réutilisé au profit des roues arrière des véhicules, exprimant une puissance contenue.

L'une et l'autre expriment la même capacité à bondir - Source : http://triskele.eklablog.com

Les poissons

Cet animal hydrodynamique a longtemps servi de référence à l'expression de la sécurité du mouvement : ses nageoires, ses ailerons, évoquent la conservation de la trajectoire du projectile automobile.

Deux références au monde marin, Corvette XP-755 Mako Shark et Tatra 77

L'escargot

Symbole de la maison transportée, cet animal n'a pas pu servir de modèle à des créations trop homogènes ou trop hétérogènes d'espace de vie mobile. Aux Etats-Unis, cependant, certaines réalisations s'approchèrent de très près de l'image de l'escargot.

Caravane L'Escargot, fabriquée à Fontainebleau par la société du même nom

Les animaux familiers

Cette assimilation de la voiture à l'animal peut aussi se faire a posteriori, comme par exemple la DS 19 (crapaud) ou la Volkswagen (coccinelle). Ce phénomène n'est pas particulier à l'automobile, l'homme ayant toujours rapproché ses créations des animaux les plus familiers, ne serait-ce que dans le vocabulaire (le cheval-vapeur).

Source : http://www.sympatico.ca

Le train du Massif de la Jungfrau, en Suisse - Source : http://www.telerama.fr

L'objet miroir fidèle

Il faut enfin noter la volonté de quelques marques de créer des " familles " éphémères d'autos, de la " petite à la grande soeur ". Le corps entier de l'automobile sert alors de repère, succédant à l'emblème de marque, pendant une génération.

Une partie de la famille 04 de Peugeot durant les années 70 : 104, 304, 504 et 604

Si chaque objet est pour nous, comme l'écrit Maurice Rheims (La vie étrange des objets) une sorte de chien insensible qui reçoit nos caresses et les rend à sa manière, ou plutôt les renvoie comme un miroir fidèle, non aux images réelles, mais aux images désirées, l'automobile est sans doute le plus gros chien que nous possédons, et cette possession- domestication-domination ne peut manquer de nous satisfaire toujours d'avantage.

Posséder une automobile, un chien, voire les deux ... source : http://lavageautobio.com


Le tout dans notre environnement quotidien


Le dernier volet de cette saga de l'automobile traite plus particulièrement des rapports qui unissent l'automobiliste à son milieu. L'équilibre des rapports homme / automobile ne peut s'établir que si l'homme définit ses besoins avant de redéfinir l'automobile.

Cette grammaire des principaux traits de notre compagne automobile a essayé de faire ressortir les symboles contenus dans cet objet d'apparence anodine parce que si coutumier, et de nous faire ainsi mieux comprendre l'attachement que nous y portons, consciemment ou non. Quelques points méritent d'être encore abordés rapidement en post-scriptum, afin de bien poser le problème automobile dans tout son contexte contemporain.

La conception

Pour des raisons de concurrence entre les fabricants, les études sont jalousement gardées, même à leur stade le plus avancé. On ne peut donc parler que de ce qui est fait, et constater l'importance des conceptions aéronautiques dans l'évolution de notre outil automobile, et dont quelques points semblent discutables car non applicables à ce véhicule :
- augmentation continue de la vitesse de pointe alors que la vitesse nécessaire ne dépasse sans doute pas les cent kilomètres à l'heure,
- conception et disposition des sièges,
- attitude figée des passagers retenus pendant tout le trajet par des ceintures de sécurité,
- l'arrêt du véhicule en cours de route apparemment proscrit, et ainsi multiplication d'accessoires annexes (essuie-phare, essuie-glace arrière, etc ...) peut-être pour renforcer cette idée que nous sommes " en vol " lorsque nous roulons.

A ce jour (avril 2016), la Bugatti Veyron Super Sport est la voiture officiellement la plus rapide au monde, 431 km/h, un record validé par le Livre Guinness des records.

Le jeu trop facile

Il semble, d'autre part, que dans leurs " études de marché ", les constructeurs aient le jeu trop facile face à nous, " consommateurs ", en nous proposant des " objets de rêve ". L'automobile est en effet le seul outil si proche du rêve, suffisamment gros et complexe pour motiver ce rêve, suffisamment petit pour ne pas renverser trop d'habitudes pour la concrétisation de ce rêve. Nous sommes ainsi une proie facile pour un constructeur qui n'a souvent d'autre but que de vendre.

Le rêve, Ferrari F12 tdf

La réalité, ou le réalisme, Dacia Logan

La réalisation

La réalisation en série de l'automobile doit permettre de réduire le prix de vente à l'unité. Le maintien de ces prix à un niveau " concurrentiel " est obtenu soit en implantant l'usine dans un pays à bas niveau de vie, permettant de sous-payer les ouvriers par rapport au prix de vente de la voiture dans des pays à haut niveau de vie, soit en proposant aux ouvriers un salaire à peine suffisant pour des conditions de travail déplorables, acceptées grâce au " volant de chômage ".

Le travail à la chaîne demeure la norme dans l'industrie automobile
Source : http://alainkerbrat.blogsport.fr

La formation des ouvriers qui leur permet de régler leurs machines, de contrôler le produit fabriqué, a conduit à la constitution de groupes d'hommes capables de prendre en charge une opération complète, et ainsi permis d'éviter l'émiettement des tâches. Mais ces expériences ont été réalisées pour l'essentiel sur la fabrication de modèles " haut de gamme". Ceci est peut-être significatif qu'une automobile construite dans des conditions de travail acceptables, respectant l'ouvrier, serait un luxe à diffusion plus limitée.

La roue et le jouet

Les enfants poussent un cerceau, font rouler une boîte de conserve au bout d'un bâton, descendent une pente sur un chariot fait de quelques planches et de quatre roues précaires, qui sert également pour transporter jusqu'à la maison les provisions : c'est aujourd'hui dans l'un de ces pays qui n'ont pas suivi le même " développement " que les nôtres, pendant que nos enfants apprennent, et nous-mêmes avons appris, à consommer des automobiles et leurs carrosseries à travers des voitures à pédales et des modèles réduits de la voiture de papa ou celle dont rêve papa. Ainsi se forge aussi le " goût " automobile, l'apprentissage de la cohabitation avec cet objet : son utilisation physique et psychique (le déplacement et les symboles).

Notre éducation pour la chose automobile peut démarrer très tôt.

Les routes

Du redressement et élargissement d'un chemin rural lors d'un remembrement, au tracé dévastateur d'une autoroute, les discussions les plus animées voient le jour pour la conception de cette infrastructure indispensable au transport sur roues : les routes. Il est certain que de nombreuses erreurs ont été commises, la finalité même de la route n'étant pas abordée lors des débats. Ceci est essentiel en ce qui concerne l'utilisation de l'automobile pour de grandes distances, l'intérêt d'une infrastructure de type autoroute étant à mettre en balance avec d'autres systèmes plus économes d'espace.

La construction d'une autoroute impacte toujours son environnement

Le principe du train-auto n'a jamais rencontré le succès escompté. La combinaison train ou avion et location de voiture semble la plus raisonnable des solutions.

Aujourd'hui, quelques gares française proposent encore le principe du train auto

La signalisation

Comme à tous les niveaux de nos rapports sociaux, où tout est fait pour que chacun de nous démissionne de ses responsabilités et devienne " assisté ", passif, la signalisation est passée de l'information (signal) à l'ordre. Cette assistance a pris un tel développement qu'elle devient dangereuse de deux façons parallèles : elle peut d'une part nous endormir par une sécurité trop douillette, comme le ruban autoroutier, et d'autre part elle peut nous distraire et nous indisposer par une accumulation d'ordres souvent inutiles et illisibles. Lorsqu'on ajoute à ce paysage des indications de direction mal conçues et une publicité peu discrète, le hasard et les " fautes humaines " ne prennent plus autant de place dans les statistiques des accidents.

Quand l'excès de signalisation met en danger l'automobiliste

Les services

La circulation routière, enfin, implique l'établissement de tous les services nécessaires à l'automobiliste pour approvisionner en énergie son véhicule et pour se restaurer. Le phénomène n'est évidemment pas nouveau et existait déjà avec la circulation hippomobile, les haltes, plus fréquentes et plus régulières, engendrant souvent des villages. Mais la nouveauté réside dans la concurrence acharnée à laquelle se livrent maintenait les prestataires de services, à l'échelle nationale ou internationale, qu'ils soient pétroliers, restaurateurs ou hôteliers. Ainsi, le décor de la route se banalise progressivement, n'ayant plus que l'aspect d'une juxtaposition de constructions images de marques accompagnées d'un déploiement publicitaire agressif. 

Plus de soixante années séparent ces deux visions de la station-service idéale

Les rues

A l'intérieur des zones construites, la multiplication de l'automobile soulève un problème crucial par les nuisances et les encombrements qu'elle produit, par sa circulation et par son stationnement. Un flux trop important de véhicules provoque une coupure entre les deux rives de la voie. Ainsi, un tracé d'évitement est généralement souhaité pour conserver la vie et les relations humaines existant dans un village ou un quartier de village.

Déviation de Sartilly (Manche), en cours d'aménagement en 2014 (http://www.ouest-france.fr)

Lorsque ceci n'a pu ou voulu être réalisé, ou lorsque la voie passe malgré tout trop près d'une zone habitée, il faut réduire le bruit provoqué par ce fleuve automobile : bruit dû à l'infrastructure routière (croisements nécessitant des freinages et des accélérations, contact pneu sur chaussée ...) et bruit du moteur (admission et échappement), bruit de transmission et de ventilateur. Les solutions qui préconisent des murs écrans ou une circulation automobile enterrée sont critiquables. Ces réalisations rendent notre cadre de vie de plus en plus ingrat, que l'on se place dans un logement, un bureau ou un moyen de transport.

La difficulté de rendre attrayant un écran antibruit

Le stationnement

Les différentes " améliorations " apportées officiellement aux problèmes du stationnement sont régulièrement critiquées. Ainsi, les parcmètres préférés à la " zone bleue " ont le double avantage de créer une sélection par l'argent et de gêner le passage des piétons sur les trottoirs déjà largement encombrés par toutes sortes de poteaux supportant des panneaux ou éclairages destinés aux automobilistes. Le nombre de places de stationnement le long des rues est limité de façon draconienne. On peut parfois avoir le sentiment que l'administration exerce un racket, depuis le procès-verbal jusqu'à la mise en fourrière.

Amusant clin d'oeil de Renault qui baptisa " Zone Bleue " l'une des versions de l'Estafette, destinée à livrer les centres-villes dans des zones de stationnement à durée limitée.

Les solutions

Plusieurs sortes de solutions peuvent être envisagées. L'une d'entre elles est d'augmenter le nombre de places de stationnement en créant des parkings dont le principal défaut est non seulement d'être payants, mais surtout d'offrir des espaces dans lesquels la circulation en auto, et pis encore, à pied, peut tenir du cauchemar. Une autre consiste à limiter le nombre des voitures devant stationner, et ceci peut se faire par le biais de différentes incitations : création de parkings en périphérie, développement des transports urbains, covoiturage, voitures ou deux roues en libre-service ...

Les vélos en libre service à Londres sont électriques

De nombreux constructeurs ont fait le choix de proposer dans leur gamme des véhicules dont le volume réduit correspond à une utilisation urbaine pour une ou deux personnes. Cette formule a permis de créer un nouveau marché, en même temps qu'elle correspond parfaitement à la nécessité de réduire " l'oeuf automobile ", abri de chacun face aux nombreuses agressions des " temps modernes "

Aston Martin Cygnet, Mini en taille ne signifie pas automatiquement mini confort.

Les petites boîtes

Le développement de l'automobile a profondément changé l'aspect de notre cadre de vie, mais a aussi contribué très fortement à la tendance d'une mise en boîte. De nombreuses banlieues sont devenues des parkings à habitations, et les " lotissements " sont prêts à recevoir les boîtes à habiter que l'industrie rêve de produire comme elle a produit les boîtes à se déplacer. Les aménageurs urbains doivent prendre garde dans un tel contexte à préserver ou à aménager des espaces collectifs.

Un espace collectif dans une zone de boîtes à habiter (La Courrouze, Rennes)

Notre économie

L'expansion économique d'un pays repose aussi sur le développement de l'automobile. Celle-ci est génératrice de nombreux emplois : fabrication, commercialisation, entretien ...). Le coût social de cette production et de son utilisation est également considérable, depuis l'infrastructure nécessaire à la circulation et au stationnement, jusqu'aux équipements sanitaires justifiés par les accidents. Ce coût peut être partiellement compensé par un nombre important de " taxes ", sur la carte grise, sur le permis de conduire, sur les carburants, mais aussi par le paiement de contraventions. Ce rôle fondamental dans l'économie de notre pays, joint à son importance symbolique pour chacun de nous, explique la passion qui surgit dans les débats dès qu'une mise en cause de cet outil de transport apparaît.

L'automobile, vache à lait par excellence (source : http://www.upsa-vd.ch)

L'univers de notre politique

Dépolitisation et consommation privée, notamment de l'automobile, ont souvent été associées. De tous les temps, en effet, l'impuissance de l'homme devant la nature ou devant un groupe d'étrangers le conduisait à affirmer ses relations sociales, à s'organiser, distribuant des responsabilités. Ainsi sont nées des communautés villageoises, ainsi naissent des bidonvilles.

Il suffit ainsi,  à partir d'un raisonnement apparemment trop simpliste pour être réaliste, de rendre l'homme " puissant " pour supprimer les relations sociales qui sont essentiellement politiques dans le sens de l'organisation de notre vie ... Et pourtant ... nos rêves sont comblés par cet objet et, même impuissant devant un embouteillage, devant notre rythme de vie, nous puisons dans ses symboles pour nous défouler, pour redevenir puissant et ne plus ressentir la nécessité de ces relations sociales, affectives et politiques.

Ainsi l'évolution industrielle consolidée par l'éducation et les exigences d'une société capitaliste, tente depuis des années de nous rapprocher de l'homo économicus idéal, individu sans sexe ni sens, qui ne trouverait sa compensation que dans l'évasion esthétique. Une réaction à cette manipulation s'est faite sentir depuis la fin du 19ème siècle par le soudain développement des sciences humaines, qui nous permet de nous échapper au moins partiellement à la machine, et de retrouver la conduite de notre vie, si chacun de nous y met du sien.

Homo économicus (source : http://www.iktisadi.org)

Conclusion

Nous pouvons ressentir une inadaptation de cette production d'automobiles à nos besoins de déplacements. Celle-ci reste cependant un moyen de transport irremplaçable pour atteindre n'importe quelle destination moyennant un minimum d'infrastructures, ne serait-ce qu'un chemin empierré. Il importe donc de définir nos déplacements avant de redéfinir l'automobile, et ceci en ayant conscience de son importance symbolique. Un changement profond de notre compagne automobile, sans qu'il s'agisse d'une volonté de la part de chacun, aurait pour conséquence certaine le report de nos rêves sur les autres substituts que nous proposeraient les producteurs. Il est nécessaire pour chacun de bien se connaître afin de ne pas retrouver l'aventure perdue dans un accroissement de jeux (loterie, tiercé ...) ou dans une utilisation abusive de drogues diverses (alcool, tabac, stupéfiants ...) qui ne font que nous rapprocher de cet homo économicus sans volonté et sans responsabilité. Après donc avoir redéfini nos déplacements et bien situé l'importance que nous attachons à l'automobile, nous devons contribuer à l'évolution de nos outils de transport et donc à l'évolution de la conception et de la production de l'automobile - des automobiles -, car il serait étonnant que chacun désire utiliser le même type de véhicule, et ce, en exploitant les faibles moyens dont nous disposons pour nous faire entendre : associations, presse des consommateurs de l'automobile, etc ...

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