Notre plus petite maison
" Sur " puis " dans " son automobile Il y a longtemps que l'homme ne monte plus " sur " la machine automobile. Aujourd'hui, nous entrons " dans " la machine, dans notre machine, progressivement devenue une autre maison : elle nous offre un espace à la dimension de nos rêves d'enfant, beaucoup plus attirant que celui proposé par les transports " en commun " qui s'éloignent de ce que nous pourrions souhaiter comme outil de déplacement.
L'automobile nous protège des " autres ", de la foule, ou simplement des conditions climatiques, et dépassant son rôle originel de moyen de transport, elle s'affirme de jour en jour comme un de nos derniers lieux de solitude, d'isolement, un de nos rares refuges possibles.
L'espace intérieur Dédaignant l'étude des déplacements collectifs, la démocratisation des moyens de transport a consisté à mettre à la portée du plus grand nombre d'entre nous le carrosse mécanique destiné au départ, à quelques privilégiés.
Cette multiplication de l'engin automobile imposa alors à ses constructeurs une standardisation relative de ses caractéristiques pour répondre à plusieurs nécessités : circulation sur une infrastructure routière nationale (notions de gabarit, de maniabilité ...), fabrication en série (mise en oeuvre des pièces, main-d'oeuvre), définition de l'acheteur " type " (prix, nombre de places ou charge utile ...), et des besoins moins apparents comme la notion d'espace qui peut varier d'un pays à l'autre.
Le carrosse L'espace intérieur, notre habitacle, après n'avoir été qu'un résidu d'espace entre la carrosserie et les organes mécaniques, retrouve la position d'honneur qu'il occupait déjà dans le carrosse ou la diligence : il s'isole de plus en plus de la partie mécanique, encore bruyante, sale et relativement encombrante (arbre de transmission, suspension, passage de roues). Aussi sont nées les " tout à l'avant " et les " tout à l'arrière ", en attendant qu'une réduction encore plus sensible de la partie motrice offre la possibilité de créer un châssis moteur sur lequel prendrait place l'habitacle.
L'aménagement Nouveau cocher, le conducteur est indispensable au contrôle du déplacement de l'automobile. Longtemps à l'écart pour des problèmes de visibilité et des raisons sociales, le " chauffeur " partage maintenant le même espace que les personnes qu'il conduit.
Cet espace peut être cloisonné, notamment dans les taxis, qui doivent souvent se protéger du risque d'agression. Une importance toute particulière est accordée à cette place, pour des raisons de sécurité et des arguments commerciaux : la sécurité des passagers dépend, en effet, de la facilité avec laquelle le conducteur pourra contrôler le déplacement du véhicule et lui imprimer sa volonté. Le rêve profond Suivant les contraintes de fabrication (notamment l'exportation), les constructeurs affirment plus au moins " le poste de pilotage " dans le dessin du tableau de bord. Les instruments de contrôle restent accessibles quelle que soit la taille du conducteur grâce à l'adoption d'un siège ou d'une colonne de direction réglable.
Une autre manière de renforcer la sensation de puissance sécurisante que nous recherchons " derrière " le volant est l'architecture générale de la carrosserie. Un des premiers artifices utilisés fut, certainement, la démesure du capot derrière lequel nous nous asseyons, comme un président se " cale " derrière un grand bureau.
Comme un président Les arguments commerciaux s'adressent tout naturellement au conducteur, souvent acheteur de l'automobile, parce que c'est bien par la conduite que nos rêves peuvent s'exprimer, bridés par la relative uniformité de modèles sur lesquels on ne peut que difficilement intervenir (bricolage, réparations, décorations ...). La conduite s'apparente alors à la pratique d'un sport, dont le ski de piste est certainement l'un des plus proches par les sensations qu'il nous procure : position de repli sur soi, solitude relative et compétition, victoire sur les éléments naturels, griserie de la vitesse et du risque, rêve d'un déplacement plus ou moins aérien.
L'aménagement de cette place doit donc nous permettre une conduite sûre et satisfaire nos rêves profonds, dépassant d'ailleurs la seule vanité. La définition des éléments de sécurité et, notamment, des instruments de contrôle est ainsi extrêmement variable selon les modèles d'automobiles fabriqués et reste dans le domaine des " options " et " accessoires ". Ceci va du choix du mode de changement de vitesse (proche du volant comme sur les plus récentes voitures électriques ou plus traditionnellement au plancher), au compte-tours, des systèmes de désembuage à ... l'habillement du conducteur.
Adopter la position Selon la taille et la conception mécanique de l'automobile, une à deux personnes peuvent prendre place à côté du conducteur. Mais sans avoir aucune de ses occupations, elles doivent généralement adopter la position du conducteur, l'absence d'un second volant étant parfois compensée par des " poignées de maintien ". Les sièges avant séparés ont permis d'adapter la place disponible pour les jambes, puis l'inclinaison du dossier à la volonté de chacun.
Les places nobles Les places arrière étaient, à l'origine, les places nobles du carrosse automobile, mais d'année en année, l'espace qui leur était consacré diminuait. La conception étriquée de ces places était liée aux études de marché, qui décrivaient l'utilisateur - nous - comme un couple avec deux enfants, limitant ainsi à deux adultes la capacité de transport " confortable " d'une automobile. La généralisation des monospaces à partir des années 90 a quelque peu renversé cette tendance.
La course aux appuie-tête La taille des passagers est limitée par le dessin aérodynamique de la carrosserie et par le recul des sièges avant. Le confort thermique de ces places est parfois précaire. Le chauffage y parvient mal et l'aération peut être mal adaptée. La visibilité est elle aussi un sujet de critique. La course aux appuie-tête fit un temps, sur certains modèles, disparaître aux yeux des passagers arrière le paysage de la route et les passagers avant.
Très tôt, aux Etats-Unis, des constructeurs s'efforcèrent de faire disparaître le montant central entre les portières avant et arrière, ce qui permettait d'alléger visuellement le profil, alors que la surface du vitrage latéral s'arrêtait encore souvent avant le passager arrière.
Au fil des années, la visibilité de la lunette arrière a largement été améliorée, essentiellement pour des raisons de sécurité de conduite. Les passagers arrière en profitèrent, pouvant ainsi élargir leur vision du paysage.
Les progrès réalisés dans le traitement des surfaces vitrées permettent désormais d'offrir des pare-brises panoramiques ou de vastes toits vitrés. Ceux-ci sont encore marginaux dans la production actuelle, mais ils bouleversent le sentiment d'espace que peuvent éprouver le conducteur et ses passagers, ainsi que la visibilité.
Le symbole utérin A bord des berlines deux portes ou des coupés, les passagers arrière ne disposant pas de leur autonomie doivent demander l'ouverture de la porte au conducteur ou au passager avant. Dans les années 70, Renault fit avec la Renault 5 le pari de faire accepter cette solution aux Français, jusqu'alors réticents. Peugeot n'eut pas la même audace avec sa berline 104.
Mazda innovait en 2003 en proposant un coupé RX8 à quatre portes. Celles de l'arrière s'ouvraient dans le sens inverse de la marche, uniquement une fois les portes avant ouvertes. Mini commercialisait en 2008 une nouvelle mouture de la Clubman, dotée de deux portes côté trottoir, et d'une seule côté conducteur, avec une immense vitre latérale arrière.
L'espace intérieur d'une automobile présente un caractère essentiellement clos. Le fait que son accès se fasse par des portières dont les formes tendent à se dissimuler dans le dessin de la carrosserie révèle l'importance du symbole utérin de l'habitacle.
Un cocon de métal La décoration intérieure d'une automobile fait oublier que l'on se trouve à bord d'un engin mécanique. Elle fait appel à tous les matériaux de la maison. Les couleurs et les tissus de ces deux espèces (la maison et l'auto) ne sont pas encore assortis, mais nous retrouvons dans notre cocon de métal les matériaux nobles de notre " foyer " : panneaux de bois, cuirs moelleux, tissage épais au sol, cumul d'imitations qui n'ont d'autre but que de nous offrir un nouveau salon, à la fois plus intime et suffisamment représentatif de l'image que nous voulons donner de nous-mêmes à nos proches ou à un éventuel étranger. En 1984, le monospace Renault Espace permettait à son propriétaire de recevoir ses amis " comme à la maison ".
Des engins comme le Volvo XC90 de 2002, en créant une nouvelle catégorie d'automobile, le SUV, ont contribué au déclin des monospaces. Un SUV par sa hauteur et ses volumes donne à son propriétaire une impression de puissance sur la route, pour mieux s'imposer face aux autres automobilistes. Mais ses formes plus torturées ne lui permettent pas d'offrir autant d'espace intérieur.
L'ambiance sonore du moteur peut être étouffée, voire remplacée, si nous le désirons, par une émission de radio ou par l'écoute de musique à partir d'un support que l'on peut emporter avec soi. Pour chacun de nos sens, ce salon peut devenir un microclimat roulant de plus en plus isolé du cadre dans lequel nous nous déplaçons, un véritable refuge.
Nous sommes donc plusieurs à cohabiter dans cet espace, assis relativement confortablement face à la route, l'un d'entre nous ayant la responsabilité de notre conduite. Mais la prévention de l'accident, orchestrée en une véritable psychose collective, a eu pour premier effet de généraliser l'utilisation de la ceinture de sécurité. Celle-ci fige l'attitude des occupants du salon roulant, qui fixés à leur siège, doivent adopter la position de spectateurs d'un spectacle purement routier dont la vision est le plus souvent étroitement limitée au pare-brise et aux surfaces vitrées latérales. Toutefois, les années 2000 ont vu l'émergence d'une nouvelle distraction pour les passagers des automobiles, celle des écrans vidéo.
Le dessin des sièges et leur disposition sont les premiers éléments contribuant à la contrainte de nos attitudes, ne serait-ce que par une trop grande promiscuité entre les passagers. Ces contraintes renforcent d'ailleurs très fortement la perception utérine que nous pouvons avoir de cet espace intérieur de l'automobile : à la recherche de notre matrice maternelle, nous retrouvons un espace clos, semblable à l'oeuf, puis un maintien de tout notre corps dans un siège enveloppant.
Recherche, évolution des espaces traditionnels Tout en conservant la disposition des sièges ou banquettes face à la route, l'évolution la plus sensible des automobiles que nous connaissons est dans l'augmentation de la surface vitrée, très liée aux recherches sur la structure et sur les ouvertures. Les conditions d'accès ont donné lieu à de nombreuses réalisations différentes.
Des difficultés au point de vue sécurité ont conduit à généraliser une solution qui n'offrait pas la meilleure accessibilité. En effet, à partir des années 30, nous ne devions plus rentrer dans la voiture, mais nous y glisser. L'espace intérieur était limité au seul volume du pavillon.
L'automobile devient une seconde peau, un vêtement, ou ... une armure, que nous quittons en arrivant à notre destination.
La note contestataire La surface extérieure des automobiles a toujours conservé son aspect brillant et lisse. L'évolution des couleurs vers quelques coloris vifs ne vise qu'à donner une note " sportive " ou " contestataire " sur une conception traditionnelle de l'automobile, évitant ainsi aux constructeurs de s'engager dans de lourds investissements pour répondre à une clientèle parfois difficile à cerner.
Le noir et le blanc restent les couleurs nobles, comme elles l'étaient pour les chevaux. Le gris terne, symbole de l'outil, a rapidement disparu sur les voitures de tourisme au cours des années 50. De vastes gammes de couleurs discrètes sont maintenant proposées par les constructeurs, et le fait le plus marquant dans ce domaine est la multiplication des teintes métallisées qui renforcent l'éclat de la carrosserie et l'anoblissent. Le gris métallisé en particulier a fait une percée spectaculaire avec une infinité de variantes.
... ou la conception d'espaces différents La lente évolution des véhicules à moteur au 19ème siècle nous a apporté de nombreuses dispositions des sièges, initialement installés en plein air. La création d'un espace clos sur les automobiles par une protection inamovible contre le vent, la pluie et le froid ne date que du début du 20ème siècle, et les solutions retenues ont été choisies en fonction de l'industrialisation de la fabrication, donc de la destination de l'automobile à un plus grand nombre de personnes. La normalisation était en route.
Voyager confortablement Les différentes propositions d'aménagement de ces espaces traditionnels portent sur des propositions très diverses. Ainsi, par exemple, la réduction du nombre de personnes transportées par la modification de la disposition des places arrière ou leur suppression permet à trois adultes de voyager confortablement dans un espace trop exigu pour quatre personnes.
Référence aux autocars Le seuil réglementaire entre le transport à titre privé est le transport en commun est situé à huit passagers. Jusqu'à l'avènement des monospaces, transporter un nombre important de passagers nécessitait de faire appel à des véhicules destinés, à l'origine, à des chargements de marchandises, ceux-ci étant adaptés pour accueillir à bord plusieurs personnes, enfants ou adultes. L'aménagement de ces espaces plus vastes correspondait moins à priori aux définitions symboliques de l'espace intérieur automobile, et faisait plus référence aux autocars, par l'ajout d'une banquette.
Entre l'agression et la tension La recherche d'un espace de discussion se rapprochant dans l'esprit des anciens compartiments des wagons de chemin de fer est un thème qui a souvent été abordé par les constructeurs. La présence de strapontins, ou l'aménagement de certaines voitures de grand confort peuvent créer un espace de discussion arrière, réservant la ou les places avant à la conduite du véhicule.
Une nouvelle distribution des places de chacun dans cet espace automobile se voit dans certains prototypes, mais aussi à bord de véhicules de type camping-car aménagés pour y vivre quelques jours, voire quelques semaines. Dans de telles conceptions, le poste de conduite est généralement isolé d'une partie arrière recevant les sièges, et l'éventuel mobilier.
La notion de discussion à bord d'une automobile sous-entend la présence d'un certain nombre de personnes transportées. L'usage d'une voiture peut convenir à une famille nombreuse, à un taxi conçu comme un petit transport en commun, ou à un groupe de personnes désirant se rendre dans la même direction. Nous n'adoptons pas, et souvent ne pouvons adopter le déplacement familial ou en groupe d'amis qu'à l'occasion de " loisirs ". Nous nous déplaçons quotidiennement seuls ou accompagnés d'un ami ou d'un collègue, ce qui nous permet, malgré les embouteillages et le gaspillage d'énergie correspondant (que nous payons directement en carburant) d'échapper partiellement ou entièrement aux contraintes nombreuses des transports en commun.
Chacun d'entre nous exprime dans le choix de son moyen de transport l'équilibre qu'il établit entre le degré d'agression ressenti dans un mode de transport collectif et le degré de tension nerveuse imposé par la conduite de l'automobile, ceci bien entendu dans la mesure où le choix existe et où nos moyens financiers nous permettent ce choix. |
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