Antonio Scioneri
Antonio Scioneri - Italie - 1913/1995 Antonio Scioneri naît le 16 juillet 1913 à Savigliano, à quelques encablures de Turin et de la frontière française. C'est une ville moyenne de province, qui combine des activités liées à l'agriculture et à l'industrie alors en plein essor. Les origines familiales d'Antonio Scioneri sont modestes. Son éducation scolaire est écourtée. A cette époque, les enfants commencent à travailler très jeune et grandissent vite. Son école, c'est l'atelier, et ses livres son marteau et son enclume. Il effectue son premier apprentissage à la carrozzeria Vittoria fondée par Candido Viberti en 1922 à Turin, avant de compléter sa formation chez Fissore à Savigliano. Nous sommes en 1927, il n'a encore que quatorze ans. Il se fait vite remarquer par ses talents et sa capacité à surmonter la plupart des difficultés qu'il rencontre dans son nouveau métier. C'est naturellement vers lui que se dirigent ses collègues dès qu'ils rencontrent un obstacle à l'exécution de leurs travaux. Bien que rémunéré au niveau de ses compétences, il rêve de créer sa propre entreprise. La déclaration de guerre en 1939 vient perturber ses plans. Il doit patienter jusqu'en 1943, quand se présente une occasion exceptionnelle. Les usines de Viberti à Turin ont été endommagées par les bombardements alliés. Elles ne sont plus en mesure d'assurer la fabrication des caisses de camions Fiat et Lancia commandées par les militaires. Candido Viberti suggère aux autorités de transférer leurs commandes à l'autre grande carrozzeria de la région, Fissore. Mais les ateliers de Fissore sont vite dépassés par les volumes à traiter. C'est à ce moment-là qu'Antonio Scioneri sur les conseils de Bernardo Fissore et avec son appui - il lui assure une charge de travail - lance son propre atelier à Savigliano. Mais une fois la guerre achevée, les commandes s'interrompent. Scioneri survit dans un premier temps grâce à des travaux de réparation, et en fabriquant des coques de réfrigérateurs et des petits objets à usage domestique. La période de vaches maigres sera de courte durée. Pour relever le pays, la demande en véhicules utilitaires légers devient très forte. Scioneri se met à créer ce type de véhicule à partir de berlines. Mais un impayé majeur en 1950 met sa petite entreprise en péril. Il n'a pas d'autre choix que de tout vendre, sauf son outillage. Plus motivé que jamais, il se relance en affaires avec énergie, dans le même atelier qu'auparavant. Mais désormais il paye un loyer au nouveau propriétaire. Il reste concentré sur le marché des utilitaires, très porteur. La matière première est là, sur place. En quittant l'Italie, les alliés ont abandonné une multitude de véhicules les plus divers. Scioneri entreprend la rénovation des cabines de camions et adapte des plateaux en bois afin de rendre ces engins utilisables à un usage civil. Son équipe est polyvalente, et il ne manque pas d'ouvriers pour remettre à neuf les moteurs ou les transmissions. Le savoir-faire de l'atelier Scioneri séduit l'importateur italien des camions allemands Hanomag. Pour lui, Scioneri s'engage dans l'aménagement de plateaux. La proximité des deux entreprises facilite les relations. Ses premières créations régulières automobiles sont des breaks - giardinetta en italien - réalisés sur base Fiat 1400 et 1100. La 1400 a été présentée par Fiat en 1950, la 1100 en 1953. Il n'a pas encore besoin de faire appel à des talents extérieurs pour dessiner ses modèles. Il s'en charge lui-même. Outre un aspect extérieur soigné, il veille à bien renforcer la structure de ses productions, afin de supporter des charges plus lourdes. La face avant du break Fiat 1400 de 1953 reprend le thème des trois baguettes horizontales que l'on retrouve sur l'utilitaire Hanomag L28. Antonio Scioneri apprécie la modernité de ce camion.
Hanomag L28
Fiat 1400 Giardinetta, 1953 Ses automobiles sont destinées à des gens simples comme lui, des travailleurs du quotidien. Elles doivent rester abordables pour le plus grand nombre. Ainsi, pour toute création nouvelle, il détermine avec soin la faisabilité, le prix de revient et la marge qu'il peut réaliser. Afin de proposer des tarifs les plus bas possible, il ne travaille que sur base Fiat, en se limitant aux modèles les plus populaires et les moins chers. Le succès rencontré avec les giardinetta incite Scioneri à s'intéresser à d'autres types de carrosseries. Le marché des corbillards présente l'avantage d'être ... régulier, et d'offrir des marges plus confortables. Dans ce domaine, Scioneri donne libre court à son imagination et fait même preuve de fantaisie. Il sait qu'il peut compter sur son personnel qualifié pour mettre en forme ses idées.
Fiat 1100 Corbillard, 1953 Scioneri est un carrossier de province. Et il assume parfaitement cette position. Mais cela n'enlève rien à sa capacité de création. Comme ses prestigieux confrères Ghia, Bertone, Touring ou Pininfarina, il reçoit directement ses clients dans son atelier. Ainsi, il peut bien interpréter leurs désirs. La différence se fait simplement sur la facture, au montant toujours modéré chez Scioneri. Au début des années 50, le site de Savigliano ressemble à une ruche. On y effectue des réparations, mais on y fabrique surtout des camionnettes, des giardinetta, des corbillards et autres véhicules spéciaux. La confusion qui règne n'est qu'apparente. Chacun connaît son métier, même si ceux qui travaillent le bois sont juste à côté de ceux qui martèlent le métal, et que le sol est jonché de pièces brutes à souder ou de différents mélanges de peintures. Que ce soit pour le peuple Italien ou les carrossiers, la Fiat 600 commercialisée en 1956 marque une étape majeure dans la démocratisation de l'automobile. Avant, ce n'est pas la motivation qui manquait aux acheteurs, mais les moyens financiers. Avec l'amélioration du niveau de vie et l'offre accessible que constitue la Fiat 600, la densité automobile explose en Italie. On voit des Fiat 600 partout. Pour ne pas se fondre dans la masse, une clientèle plus exigeante manifeste son envie de posséder des voitures plus élaborées. Scioneri sait répondre à cette demande, avec une créativité soutenue. Certaines de ses créations sont des oeuvres uniques, d'autres sont produites en petite série.
Fiat 600 Familiare, 1958
Fiat 600 Coupé, 1959
Fiat 600 Coupé, 1963 C'est à la fin des années cinquante que Renato Scioneri, le fils d'Antonio né en 1941, rejoint la société familiale. Le jeune homme affiche un caractère exubérant et une personnalité vive, à l'opposé de son père volontiers discret. Il n'a aucune formation de carrossier, mais il a de bonnes intuitions sur la stratégie commerciale à adopter, et il fait preuve d'un sens très développé des affaires. Il conseille notamment à son père de normaliser ses productions et de se concentrer sur les activités les plus rentables. En matière d'approvisionnement, Renato saisit toutes les opportunités qui se présentent, qu'il s'agisse de racheter à bas prix un stock de voitures abîmées après un orage de grêle sur le site de Mirafiori, ou de reprendre auprès des concessionnaires Fiat les invendus des précédents millésimes. Les deux hommes se complètent et se respectent. Renato va permettre à l'entreprise familiale de perdurer et de se développer au cours des années soixante.
Renato et Antonio Scioneri en 1962 - Source : Style Auto, 1963 Il décide de se concentrer sur ce que les Italiens appellent des " elaborate ". Il s'agit de modèles de série agrémentés de peintures spéciales, de garnitures chromées et d'aménagements intérieurs luxueux. Evidemment, ces réalisations sur base Fiat 600 et 1100 sont au final plus coûteuses à l'achat que les voitures vendues dans la réseau du géant italien. Mais le client en plus de s'offrir une voiture qui ne ressemble pas à celle de son voisin peut l'acquérir auprès des petits distributeurs agréés par Scioneri, le plus souvent installés en province. Il évite ainsi les longs délais d'attente imposés par les concessionnaires Fiat en cette période où la demande est encore largement plus forte que l'offre.
Fiat 600 " elaborate ", 1959 Renato Scioneri porte une attention particulière à la constitution de ce réseau de distribution. Cela lui permet d'écouler à plusieurs milliers d'exemplaires ses " elaborate " sur base Fiat 500, 600 et 1100, mais aussi quelques Lancia Appia et Alfa Romeo Giulietta améliorées. Scioneri est devenu en peu d'années la plus grosse entreprise de Savigliano, ce qui est révélateur d'une croissance rapide. Les réalisations sur base Lancia et Alfa Romeo sont surtout destinées à promouvoir la marque Scioneri, les volumes étant assurés par les transformations sur base Fiat. Lancia et Alfa Romeo reconnaissent eux-mêmes le talent des Scioneri père et fils pour interpréter les attentes de la clientèle, et ainsi sentir les tendances du marché. Ils les ont soutenu pour mieux les copier ensuite !
Lancia Appia " elaborate " par Scioneri La production des carrosseries spéciales ne cesse pas pour autant, et le choix reste étendu. Sur certaines créations, les courbes du modèle d'origine sont remplacées par des formes plus carrées. L'ajout d'un coffre sur d'autres suggère que le propriétaire est un grand voyageur qui a besoin d'espace pour ses bagages et ceux de sa famille. Les automobiles de Scioneri sont couronnées de succès jusqu'à ce que le public commence à s'intéresser à des voitures plus modernes, aux lignes affinées, représentatives d'un style de vie plus dynamique et d'une nouvelle culture. Réceptif à la demande du marché, le carrossier présente un spider et un coupé Fiat 600, l'un et l'autre imaginés par Pietro Frua. Certaines de ces voitures sont préparées mécaniquement chez Giannini, qui les diffuse ensuite par son propre réseau.
Ce spider 600 D de 1962 dessiné par Frua bénéficie le plus souvent des bons soins de Giannini Renato Scioneri n'hésite pas en 1961 à faire appel à l'un des stylistes les plus en vogue de l'époque, Giovanni Michelotti. Il lui confie la création d'un coupé à cinq places à partir des Fiat 1300/1500. Baptisée Sportinia, celui-ci reçoit un large succès critique et commercial, et sa production s'étend de 1962 à 1965.
Fiat 1500 Sportinia, 1962/65 Le monde de la carrosserie spéciale évolue. Ce sont aussi les trente glorieuses au-delà des Alpes. Si le niveau de vie s'accroît, en corollaire le coût de la main d'oeuvre devient plus élevé. Pour ne pas faire exploser ses prix de revient, les petits carrossiers indépendants ont recours à des lignes et des surfaces plus rectilignes, plus économiques à réaliser. Accessoirement, cela conduit à dessiner des voitures plus habitables. En 1964, c'est au tour de la Fiat 850 de créer l'évènement. Fiat ne semble pas très pressé de proposer ses habituels dérivés. Les carrossiers s'engouffrent dans la brèche. Scioneri imagine un coupé et un spider sur le même thème. Leurs formes sont simples. Les carrosseries sont faciles à fabriquer et ne nécessitent pas d'investissements majeurs. Les chromes abondants et les teintes bicolores sont passés de mode. La face avant adopte de modestes garnitures en métal qui entourent un emblème Fiat. Scioneri soigne l'habitacle, avec de nouveaux tissus, des sièges plus confortables et une instrumentation de planche de bord très riche. Pour autant, la vente des " elaborate " constitue toujours une source régulière de revenus, et la 850 remplace dans cette catégorie la 600.
Fiat 850 Spider, 1965
Fiat 850 " elaborate ", 1964 La dernière création originale de Scioneri est présentée au Salon de Turin en 1967. Il s'agit d'un coupé sur base Fiat 125. Mais celui-ci restera au stade du modèle unique. Ce Salon de Turin 1967 reste aussi animé que les années précédentes. Mais certains signes montrent que les lignes bougent. Dans quelques mois, la jeunesse va se révolter assez violemment. L'époque du " tout pour l'auto " va bientôt appartenir au passé. Les anti-automobiles se font entendre plus que jamais. Un début de prise de conscience a lieu. L'automobile tue, elle pollue, elle conduit à un gaspillage des ressources naturelles.
La Fiat 125 Coupé présentée à Turin en 1967 est restée au stade du modèle unique De moins en moins, l'époque est à s'offrir une carrosserie spéciale ou une " elaborate ". Au contraire, pour bien marquer sa différence, il est de bon ton de rouler à bord d'un véhicule basique, type Fiat 500, Coccinelle, 4L ou 2 CV. Dans cet environnement de remise en question, les carrossiers perdent peu à peu leur raison d'être. Cinq ans plus tard, le choc pétrolier de 1973 porte un nouveau coup dur à tout le secteur automobile. Scioneri se bat face à ces vagues successives. Antonio et Renato ne créent plus de carrosseries. Ils ne transforment plus non plus l'habillage intérieur des Fiat comme au temps des " elaborate ", mais ils équipent ces mêmes voitures d'accessoires de diverses provenances. Ces éléments sont installés avec le plus grand soin, en élimant toutes les imperfections qui pourraient apparaître : bruit désagréable, défaut de finition ... Les Fiat 127, 128, Ritmo, Panda, Uno et Tipo personnalisées par Scioneri bénéficient d'un savoir faire artisanal reconnu, tout en conservant la fiabilité et l'aspect pratique des modèles de série. Antonio prend sa retraite en 1985, et confie la responsabilité de l'affaire à Renato. Scioneri reste leader sur un marché qui par contraste se réduit inéluctablement. Les quelques acteurs encore en activité sont Moretti, Giannini et Coriasco. Les grands constructeurs comme Fiat décident de combler eux-mêmes la niche de marché que constitue la vente de petites voitures luxueuses. Ce faisant, ils laissent encore de moins en moins de places aux derniers carrossiers. En France, Renault et Peugeot suivent la même politique avec la Clio Baccaro ou la 205 Gentry. Scioneri, grâce son réseau dense et actif de concessionnaires spécialisés, à son image intacte et à ses prix qui restent compétitifs, résiste tant bien que mal, et plutôt mieux que ses derniers concurrents. La personnalisation reste le métier principal de Scioneri jusqu'au décès d'Antonio le 20 février 1995. Peu avant sa mort, ses succès en tant d'entrepreneur lui ont valu le titre prestigieux de Commendatore, comme un certain Enzo. Après le décès de son père, Renato se concentre sur la commercialisation de voitures, d'accessoires et de pièces, fermant ainsi définitivement ses ateliers de transformation. La dernière apparition officielle de Scioneri sur un Salon a lieu à Turin en 1996, avec une Tipo. Renato Scioneri cesse toute activité en décembre 2005, et liquide son affaire. Il décède en février 2008 à l'âge de 66 ans.
Personnalisation Fiat 127, 128 et Tipo |