Omnia, N° 59, Nouvelle Série, avril 1925
Illustration de Roger Soubie La route-piste de Montlhéry C'est sur le vaste domaine de Saint-Eutrope auquel s'est ajouté celui de Bruyères-sous-Bois, à travers la forêt de Linas d'une part et le bois de Biscorne de l'autre, que se développe la route de 12,5 kilomètres sur laquelle seront disputés en juillet prochain les Grands Prix de l'ACF, tourisme et vitesse. Cette route est établie suivant un tracé très sinueux, comportant de nombreux virages dont certains très difficiles. Le profil ci-dessus nous montre que le parcours sera très accidenté. En effet,courant tout d'abord sur le plateau dans la direction de l'Ouest, la route plonge bientôt vers la route d'Arpajon à Limours, dans le bois de Biscorne, pour remonter bientôt sur le plateau et redescendre à nouveau au Nord, dans la direction de Marcoussis, vers la route de Montlhéry à Orsay. Le départ se donnera devant les tribunes au point de raccordement de la route à la piste. Pendant deux kilomètres et demi environ, le profil reste plat et décrit une courbe à très grand rayon qui permettra de grandes vitesses. La route entre dans le bois et par une descente rapide et très sinueuse, vient virer, trois kilomètres plus loin, aux abords du château de Bruyères-sous-Bois. Une boucle assez raide, en forme de pied-bot, puis une ligne droite de 1 800 mètres et une côte de 500 mètres à 7 %, nous ramènent sur le plateau. La route rejoint, en ce point, et longe parallèlement, la partie parcourue au départ ; mais elle la quitte bientôt pour virer à gauche, toucher le virage ouest de la piste, et se dirige, dans la direction du Nord, elle dévale les pentes qui dominent la commune de Marsoussis, puis un brusque virage à droite et une courte montée font rejoindre la piste ciment à l'entrée Nord du virage Ouest. Celui-ci constitue la ligne d'arrivée.
Plan et profil de la route créée dans le domaine de l'autodrome de Montlhéry sur laquelle se disputeront les grands prix de l'ACF les 19 et 20 juillet 1925. Le projet primitif prévoyait la marche des voitures dans le sens contraire à celui des aiguilles de montre, comme l'indiquent les flèches de notre plan. Les voitures atteignaient donc dès le départ le virage est de la piste. La Commission Sportive de l'A.C.F en a décidé autrement On courra de droite à gauche dans le sens des aiguilles de montre, et, par conséquent, tout ce qui avait été prévu en côtes deviendra descentes et réciproquement. Sur tout son parcours, la route a une largeur uniforme de 10 mètres. Dans la partie où les deux routes se développent parallèlement, une distance de 15 mètres les séparent. Cet intervalle comportera des praticables de deux mètres où les voitures en panne devront se rabattre et, au milieu, une large banquette de terre, suffisamment basse pour ne pas masquer la visibilité, tout en offrant un parapet suffisant aux véhicules égarés hors du circuit. Le tracé de ce circuit a été intelligemment conçu de telle sorte que des raccordements intérieurs en certains points, B, C, D, judicieusement choisis, permettent de fragmenter le parcours et de l'adapter à des développements variés. Ainsi, cette distance de 12,5 kilomètres est un sous-multiple exact de 100 kilomètres, puisque huit tours de circuit correspondront exactement à cette distance et que la ligne d'arrivée, pour des distances exactes, se confondra avec celle de départ, devant les tribunes. D'autre part, en B, un raccord de la branche ouest de l'épingle A, avec la piste de vitesse donne un petit circuit, dont tout le virage est celui de la piste elle-même ; il mesurera 3,333 kilomètres, c'est-à-dire que trois tours de ce circuit feront 10 kilomètres. Sur le plateau, entre les kilomètres 3 et 4 de notre plan, les deux lignes parallèles sont reliées par une boucle et l'on a ainsi un troisième parcours étalonné à 7,5 kilomètres. Enfin, en D, au bas de la grande descente une autre boucle donne un parcours de 10 kilomètres. Ainsi, en comptant l'anneau de circuit, on obtient cinq itinéraires de distances et de difficultés variées sur lesquels il sera possible d'organiser des courses pour tous genres de sport, et de s'attaquer aux records sur des bases officielles et immuables. L'entreprise ne comporte pas que les travaux de la route elle-même ; il faut également songer aux spectateurs dont le nombre, pour les réunions sensationnelles peut être considérable. Il faut également prévoir la clôture de ce long ruban de route qui du fait de ses nombreux méandres va demander un développement considérable de panneaux de bois ou de ciment et de poteaux pour les supporter. On compte 15 kilomètres environ. Le long de la piste routière, on a prévu pour le public un emplacement de 10 mètres de large de chaque côté. Ces emplacements doivent être reliés par des passages. Partout où il y aura proéminence du terrain permettant de découvrir de loin le champ de course, des gradins seront aménagés pour recevoir les spectateurs. Une vingtaine de portes réparties sur le périmètre de la clôture donneront accès dans l'autodrome. Trois routes d'accès, jusqu'à nouvel ordre, faciliteront l'arrivée des voitures pour lesquelles de vastes garages seront aménagés. Paul Mayan
Publicité Sizaire A propos d'un livre, l'extraordinaire histoire de Ford Nous citions, dans notre dernier numéro, quelques pensées de cet homme prodigieux qu'est l'américain Ford. L'apparition en librairie de la traduction française de son livre " Ma vie et mon œuvre " nous donne l'occasion de reparler de lui. Nous la saisissons avec empressement, car il est indispensable à tout ami de l'automobile, à chacun de nos lecteurs, de connaître les traits de cette énorme figure qui illumine l'automobile mondiale. Nous sommes, du reste, ici, tout à fait à notre aise pour donner à Ford les éloges enthousiastes qu'il mérite. Aucune page de publicité pour Ford n'apparut jamais dans notre Omnia ... C'est donc pour moi une démonstration de plus de mon indépendance que de louanger en cette revue Ford. Mais, franchement, dans l'industrie universelle, quel homme mériterait mieux que lui des compliments pour l'immensité des résultats qu'il a obtenus et les méthodes qu'il a créées pour les atteindre ? En quelques phrases voici ces résultats : La Société des Automobiles Ford a été fondée en 1903, au capital très petit de 100 000 dollars, dont 28 000 seulement ont été versés. Elle n'a jamais eu d'autres fonds " extérieurs " que cette somme minime de départ, et elle a toujours prospéré sur ses seuls bénéfices. Dix-huit ans après sa création, le 31 mai 1921, elle fabriquait sa cinq millionième voiture ; et, en août 1924, elle sortait sa dix millionième. C'est-à-dire qu'en quarante mois, environ mille jours ouvrables, elle avait construit quotidiennement 5 000 voitures. Henri Ford, dont le souvenir restera dans l'histoire industrielle comme celui d'un extraordinaire phénomène, est le fils d'un fermier. Il est né dans la campagne de Dearborn, dans le Michigan, le 30 juillet 1863. " C'est, dit-il, la vie de la ferme qui m'a conduit à me préoccuper de l'amélioration des moyens de transport. J'eus de bonne heure l'impression qu'il se faisait là beaucoup de travail pour peu de résultats. C'est ce qui me dirigea vers la mécanique. " Le souci de l'agriculture apparaît
d'ailleurs fréquemment dans les mémoires de Ford. Il juge absolument arriérés
les procédés qu'elle emploie, et estime qu'en l'industrialisant comme elle
mérite de l'être, on obtiendrait toutes les denrées alimentaires en surabondance
telle qu'il ne serait Mais il se ravisa, et porta sa pensée longtemps sur les montres, dont il démonta et remonta plusieurs douzaines. Contre le gré de son père il entra à 17 ans à l'usine de mécanique Drydock. Il passait ses soirées chez un bijoutier à chercher la réalisation d'une montre " qui ne coûterait que 30 cents " et d'une autre qui aurait deux cadrans pour indiquer à la fois l'heure des voies ferrées et l'heure publique. Puis il se ravisa encore, et abandonna la montre pour revenir à l'automobile. Il jugeait en effet que la montre n'est pas d'un usage général ; que bientôt, si chacun peut en somme se passer de montre, personne ne pourra se passer d'automobile ! ... Voyons dans cette affirmation, si surprenante et si juste à la fois, une tape cinglante anticipée, donnée par un enfant, à la masse inintelligente de la plupart de nos parlementaires qui ne comprennent pas que l'automobile est un objet vraiment de première nécessité, et qu'un jour viendra bientôt - il est venu en Amérique, une automobile sur cinq habitants - où l'automobile sera pour chacun, simplement, une chaussure à roues, une chaussure essentiellement démocratique. " Frappons les riches " disent naïvement nos parlementaires. Il s'agit bien des riches ici ! Il s'agit de mettre à l'unisson du progrès, donc du bien-être, même les plus pauvres de nos nationaux ! En 1879 le jeune Ford entre chez
Westinghouse et, féru d'agriculture, je l'ai dit, construit un tracteur à vapeur
qui doit faciliter les travaux des champs. Mais il s'aperçoit que son idée
n'intéresse pas du A suivre ...
Publicité Aries Suite ... Passons vite. Ingénieur mécanicien à la Société d'Électricité Edison, vers 1890, il construit à temps perdu une voiture à deux cylindres avec laquelle il fait " un millier de milles, de 1891 à 1896 "; puis une seconde, analogue, mais à courroie. La Société Edison lui offre alors de devenir directeur général de ses établissements de Détroit, mais à la condition qu'il abandonne totalement sa marotte de l'automobile. Ford n'hésite pas : il quitte Edison en août 1899, pour entreprendre la construction " en grand " des automobiles. Mais il n'avait pas d'argent et, raconte t-il, il n'y avait " pas de demande sur l'automobile " ! La généralité du public estimait en ce temps-là que l'idée automobile était pure fantaisie ". Ford travaille, économise, loue un atelier en briques d'une seule pièce et, jusqu'en 1902, y fait des recherches sur les éléments principaux d'une voiture. Il arrive à en construire une si heureuse qu'elle est un jour victorieuse dans une course. Les capitaux alors s'offrent à lui. Trois mois après la Société actuelle était installée. S'il vous intéresse d'en savoir les
conditions principales, Ford nous les indique : il avait, à la fondation, 25 %
des actions. Trois ans plus tard, en 1906, persuadé que l'affaire ne
prospérerait vraiment que s'il y avait la majorité, il rachète à ses associés de
quoi avoir 51 %, puis plus tard 58 %. L'idée maîtresse de Ford était donc la construction en grande série. Pourquoi ? Parce que, dit-il nettement, il est ridicule de " travailler sur commande " puisque, sur 100 personnes, il y en a 95 qui ne savent pas du tout ce qu'elles veulent au juste ! Nous voyons là une première expression de l'humour philosophique qui est répandu sur tout le livre, fait d'observations exactes et de gros bon sens. Cette fabrication en série signifie-t-elle que le produit enfanté sera défectueux ? Bien au contraire. Il sera bien supérieur, du fait que le constructeur aura beaucoup mieux étudié son modèle, modèle unique sur lequel il risque sa fortune ; et qu'il l'exécutera en matériaux mieux choisis et au moyen de machines exactement appropriées à chaque pièce. C'est toute la théorie, si féconde, de l'industrie moderne que Ford expose là. Au reste, ajoute-t-il, il ne faut jamais sacrifier la qualité au prix. " Une partie de la clientèle, dit-il, sera encore séduite par le prix et ne pensera pas à la qualité. Mais cette catégorie diminue de jour en jour. Les acheteurs apprennent à acheter. " Un peu plus loin il répète que la seule base d'une affaire sérieuse, c'est la bonne qualité des produits. Le client ? Voici les sentiments que Ford prétend ressentir à son égard : Un fabricant n'en a pas fini avec son client lorsqu'il lui a livré un article. Il n'a fait qu'entrer en rapport avec lui. La vente d'une voiture n'est qu'une façon de faire sa connaissance. Si la voiture ne donne pas satisfaction au client, il vaudrait mieux pour le constructeur n'être jamais entré en relations avec lui, car un client mécontent est la plus mauvaise réclame du monde. Quelques lignes plus loin, il envisage le dur problème des réparations : L'acheteur d'une automobile a droit, à mon sentiment, à en jouir sans interruption. Par conséquent, si un accident quelconque la lui met hors d'usage, notre devoir est de veiller à ce qu'elle soit réparée dans le plus bref délai possible. Il termine par ce jugement : Jusqu'en 1910 le propriétaire d'une automobile était considéré comme un homme riche qu'il fallait dépouiller de son argent ... Il ne faut pas que l'exploitation d'une idée soit contrariée par la cupidité stupide de quelques individus. Et par cet aphorisme, trop souvent méconnu de plusieurs de nos constructeurs, aux yeux desquels " le client a toujours tort " : nulle affaire ne peut se développer pleinement si elle n'accorde la plus grande attention aux réclamations et aux avis.
La production d'une seul journée. Cette gravure représente la place de la Concorde de Paris. Afin de donner par l'image une idée, quoique encore bien lointaine, de l'importance insoupçonnable de la marque Ford, nous avons supposé que toutes les voitures fabriquées par ces établissements en une seule journée ont reçu l'ordre de se concentrer sur la plus belle place du monde. Ici on en compte près de 7 000. En réalité la place de la Concorde elle-même n'est pas assez vaste pour les contenir toutes aujourd'hui, puisque la fabrication de Ford, en certaines journées, atteint en ce moment 10 000 voitures ! On a peine à imaginer non seulement la fabrication d'une telle masse d'automobiles en dix heures, mais encore la complexité des services qu'exige leur vente dans le monde entier, l'expédition qu'il faut faire quotidiennement par caisses, chemins de fer, bateaux, etc ... d'une pareille armée de véhicules dans toutes les régions du globe, etc ... Pas plus d'ailleurs qu'on ne peut soupçonner les conséquences soit d'une grève, même d'une fraction seulement du personnel ; soit d'un ralentissement sensible dans les ventes, ayant pour conséquence la mise en stock - où ? comment ? - de plusieurs dizaines de milliers de véhicules ! ... Que de problèmes extraordinaires soulève à l'esprit la vue de cette simple image ! Quant à la conception générale de l'automobile de grande série, Ford explique qu'il n'a jamais eu en vue, à aucun moment, l'automobile de plaisance. La voiture utile seule l'intéresse. Pour qu'elle soit utile, il lui faut nécessairement de multiples qualités, dont l'une des principales est la légèreté. Ford revient souvent sur cette idée de la légèreté des voitures. Il a un long chapitre sur l'acier au vanadium, dont il a vu les premiers échantillons sur une voiture française, dit-il, mais qu'il prétend avoir singulièrement perfectionné. Mais, pour qu'elle soit utile, il faut que la voiture soit bon marché ; sans quoi elle serait objet de luxe, et les objets de luxe ne sont pas utiles. Le bon marché, toujours serré de plus près, autant que le permettent la qualité du produit et le perfectionnement non seulement de l'outillage mais encore de l'utilisation ingénieuse de cet outillage, voilà le principe dominant de sa conception. Pour l'obtenir, il faut, c'est de toute rigueur, s'en tenir à la fabrication d'un seul type, et le fabriquer en série, extrêmement rigoureuse, jusque dans le moindre détail. Depuis 1909, les usines Ford construisent le modèle T. Le constructeur ajoute, en farce américaine, que " le client peut cependant avoir pour sa voiture la couleur qu'il veut, à la seule condition qu'il la veuille noire. " Tel est, selon lui, l'idéal. Ainsi obtient-on : ...Une voiture d'un prix modeste pour que tout homme gagnant un bon salaire puisse l'acheter et, grâce à elle, jouir avec sa famille des agréments et des beautés que Dieu a mis dans la nature. Un peu de mysticisme se mêle ainsi constamment à ces mémoires, et cette religiosité, qu'on l'aime ou non, leur donne une saveur spéciale. Comment Ford conçoit-il l'exécution de la voiture ? Il s'ingénie à trouver des machines et surtout des dispositifs de montage, de transport, d'outillage, etc ... qui diminuent le plus possible le travail de l'ouvrier. Un des plus beaux passages de son ouvrage est le chapitre intitulé L'homme et la machine. " Les pièces vont au devant de l'ouvrier. Ce n'est pas la qualité de la machine qu'il cherche à améliorer avant tout, car il la juge excellente. C'est principalement le procédé de sa fabrication, parce que la suppression d'une opération ou d'un temps de cette opération améliore la voiture en la simplifiant un peu, et abaisse un peu aussi le prix de revient et par conséquent le prix de vente, donc augmente le champ des acheteurs normaux, qui eux-mêmes, par leur nombre, contribueront à un abaissement nouveau du prix de vente. Ford cite comme exemple de son affirmation ce petit tableau, qui montre que le prix de vente descend au fur et à mesure que monte le nombre des acheteurs : En 1909, le prix de vente était 950 dollars, pour 18 664 voitures. En 1919, le prix de vente était 575 dollars, pour 996 660 voitures. En 1921, le prix de vente était 497 dollars, pour 1 450 000 voitures. Il résulte de l'emploi intensif des machines et surtout, je le répète, des procédés ingénieux de leur utilisation, que Ford n'emploie pas ce qu'on appelle l'ouvrier spécialiste. Non qu'il dédaigne un bon tourneur, un habile ajusteur, etc ... mais il les emploie à des travaux plus rares, à la fabrication d'outillages ou de modèles, etc ... La fabrication des voitures en série est opérée par des hommes qui n'ont ni aptitude bien définie, ni connaissance précise d'une partie quelconque de la mécanique. Ainsi recrute-t-il facilement tout le personnel qu'il désire, et, parce que chez lui les ouvriers - affirme-t-il - sont mieux payés qu'ailleurs et qu'un non-spécialiste tient naturellement à conserver son aubaine, les grèves lui sont à peu près inconnues. Comme il est naturel, écrit-il, des agitateurs extrémistes ont, de temps en temps, essayé de susciter du désordre chez nous; mais les ouvriers les ont pris pour de simples étrangetés humaines, des monstres de foire. Ce n'est d'ailleurs que par oui dire que nous avons connu ces tentatives. A suivre ...
Publicité Delage Suite ... La main-d'œuvre chez Ford comprend jusqu'à des mutilés et des aveugles. Il a la générosité intelligente de les admettre non pas comme des semi-producteurs, ainsi que nous le faisons en Europe, mais comme des producteurs aussi efficients que les autres - si ce n'est plus, parfois - et ayant droit par conséquent à des salaires égaux à ceux des ouvriers valides. Selon lui, il suffit de trouver à chacun d'eux l'emploi qui lui convient, et il affirme qu'en conformité de ses méthodes de travail, il y a plus de la moitié des emplois qu'un mutilé ou un aveugle peut occuper à plein rendement. Il cite même e cas d'un aveugle, chargé de compter des billes, dans un emploi auquel étaient préposés deux voyants ; après huit jours d'apprentissage, l'aveugle fit à lui seul toute la besogne. " Il y a, écrit-il, plus d'emploi convenant à des aveugles qu'il n'y a d'aveugles à mettre." Un peu plus loin il démontre que d'ailleurs le remède à la pauvreté n'est pas dans l'économie individuelle, mais dans l'amélioration de la production. L'économie ? Quelle erreur ! ... Tout le monde connaît des gens économes qui ont l'air de regretter jusqu'à l'air qu'ils respirent. Ils sont recroquevillés de corps et d'âme. L'économie n'est autre chose qu'une dissipation des sucs les plus savoureux de la vie. C'est là du Labruyère. Et quel joli chapeau à mettre en tête des catalogues, pour inciter à l'achat d'une automobile les petits Français qui ont peur de percer leur bas de laine ! Ils dissipent les sucs les plus savoureux de la vie, les pauvres ! Tel est, en quelques coups de crayon, l'homme fantastique. Fantastique aussi bien dans ses réalisations, qui dépassent l'imagination commune, que dans ses affirmations souvent extrêmement profondes, réellement géniales, souvent aussi légèrement pince-sans-rire. Pour les premières, j'invite mes lecteurs à les chercher dans le livre de Ford ; elles y sont nombreuses. Pour les secondes, je n'en citerai qu'une : A la page 305, Ford nous dit : L'argent que je gagne ne m'importe pas. En effet, à la page 185, il nous avait cité ce fait curieux : Une année, nos bénéfices furent tels que nous rendîmes volontairement cinquante dollars à chaque acheteur d'une de nos voitures. Nous avions constaté, à l'inventaire, en effet, que nous les avions surfaites d'autant. Je sais bien que c'est là un procédé de réclame à l'américaine, et fort adroit assurément. Mais on n'en est pas moins forcé de constater qu'à force de se désintéresser des questions pécuniaires et de rembourser à ses clients de l'argent pour trop-perçu, voici ce qui arriva à Ford : il devient l'homme le plus riche du monde ! On prétend que sa fortune dépasse 2 milliards de dollars. Il va d'ailleurs l'accroître, dit-on aussi, par les avions utilitaires et pratiques dont on lui attribue la paternité. Mais Ford ne m'a pas fait de confidences, ni sur son petit budget, ni sur ses intentions d'avenir. Toujours est-il que Ford jouirait actuellement de revenus qui correspondent à peu près à dix millions de francs par jour ... Que peut devenir un homme d'une telle puissance, qui, de par l'immensité de sa richesse, peut désormais tout pour son ambition et rien pour sa félicité ? Qui ne peut plus jouir d'aucun désir matériel immédiat puisqu'il lui suffit de désirer pour obtenir ?... C'est là le malheur que comporte une effroyable fortune. Mais incontestablement le bonheur que par contre elle donne est une sorte d'épuration terrestre, la recherche du mieux-être pour tous ses semblables. Je demeure persuadé, sans avoir l'honneur de connaître Henri Ford, que son génie immense est alimenté par sa bonté, puisqu'il n'a plus de besoins. Baudry de Saunier
Publicité Renault 40 CV Les postes de distribution chez les détaillants Le distributeur mécanique ... n'est pas seulement un perfectionnement de confort, il est devenu indispensable. C'est en 1910 que les premiers appareils dénommés distributeurs d'essence furent importés d'Amérique par la Société Bowser ... On ne songeait pas alors à la distribution publique. Caisses et bidons étaient en France les moyens classiques d'emballage et de ravitaillement. Ces emballages faisaient d'ailleurs l'objet d'une véritable industrie annexe de celle de l'essence. Les distributeurs n'intéressèrent que les industriels et les sociétés ayant un matériel automobile important. Après la guerre seulement, l'installation des distributeurs entra dans la période vraiment active. D'un côté la Société l'Economique, plus généralement connue sous la dénomination de " Eco " créait des postes publics de distribution gérés par ses soins. La Société Lille-Bonnières et Colombes commençait les installations faites d'accord avec les détaillants. D'autre part, MM. Courtioux frères lançaient vers le milieu de 1921, un premier appareil mobile de distribution, destiné à être utilisé avec les fûts de 200 litres fournis par les raffineurs. Ce fut là une excellente idée qui permit la transition entre le ravitaillement archaïque par caisses et bidons et le ravitaillement moderne par distributeurs fixes. Les distributeurs fixes exigent des réservoirs souterrains d'emmagasinage, des travaux d'aménagements assez longs et coûteux. L'appareil mobile, facile à déplacer et à loger, était une solution pratique d'utilisation immédiate. Les fûts de 200 litres simplifiaient aussi sensiblement la question des transports. La majorité des usagers de l'automobile, accoutumés au bidon plombé, se montrèrent sceptiques. Les raffineurs eux-mêmes restaient très incertains sur le succès de la nouvelle méthode, et l'on peut penser que les appareils mobiles pour fûts de 200 litres, n'ont pas seulement rendu de très grands services pour le ravitaillement, mais qu'ils aidèrent au succès de l'idée même de la méthode de distribution mécanique. L'émulation gagnait bientôt les constructeurs d'appareils distributeurs ; puis les raffineurs multipliaient les installations à postes fixes et les postes de vrac destinés à les ravitailler. On doit reconnaître que nos grandes sociétés d'importation n'hésitèrent pas à immobiliser d'énormes capitaux - sans doute plus de 200 millions à l'heure actuelle - pour parfaire cette organisation. La majorité des installations chez les détaillants ont été faites aux frais des raffineurs selon certains contrats d'entente, concernant l'exclusivité de vente des produits de la firme propriétaire du matériel. Ces accords ont permis de multiplier les postes de détails et d'en exécuter rapidement l'aménagement dans la région parisienne
Un poste de distribution de détail installé de façon moderne. La distribution est assurée au moyen de deux postes fixes doubles (A et B). Deux distributeurs distincts sont conjugués dans chacun des deux appareils, un pour l'essence supérieure (anciennement touriste) et un pour l'essence ordinaire (anciennement poids lourds). Des appareils mobiles (C et D) sont prévus pour le benzol. Leur remplissage se fait au moyen de la pompe même du distributeur, un raccord spécial permettant de relier le réservoir soit avec une cuve souterraine, soit avec un fut servant au transport. Quelques caisses et quelques bidons (E) voisinent encore avec les distributeurs, mais il est fort probable que d'ici deux ans, le vieux système d'emballage aura vécu. Les exigences auxquelles doit répondre
un distributeur mécanique d'essence sont assez nombreuses. il en est
d'obligatoires, d'autres très importantes. La première qualité d'un distributeur Seconde exigence obligatoire : la manœuvre doit être aisément contrôlable par l'acheteur. Le compteur partiel, enregistrant les opérations de la distribution, soit par vidanges successives de cinq litres ou de multiples de cinq litres, doit être nettement visible et lisible. Une sécurité est assurée quand le déclanchement n'est possible qu'après préparation d'une fraction ou de la quantité d'essence demandée. Le robinet de la vidange dans le réservoir de la voiture ne doit pas permettre un retour possible dans le réservoir souterrain. Une sécurité est assurée quand sa manoeuvre ne peut être accomplie qu'une fois la quantité complètement jaugée. Très importantes sont les exigences suivantes: débit visible, l'acheteur pouvant se rendre compte plus aisément des opérations ; rapidité de la vidange dans le réservoir de la voiture, ce qui procure un gain sur le temps consacré au ravitaillement ; filtrage efficace de l'essence, la débarrassant de l'eau et des matières solides qu'elle peut contenir. On peut ranger les distributeurs d'essence en deux catégories principales, d'une part les appareils à pompe volumétrique ; d'autre part les appareils à jaugeurs. Les premiers utilisent une pompe à clapets de cylindrée étalonnée et la manoeuvre du piston par course complète assure un débit correspondant à cette cylindrée. Les appareils à pompe volumétrique les plus répandus sont le Bowser, le Gilbert et Barker, le Milwaukee, le Wayne, tous de fabrication américaine. Pour les appareils de la seconde catégorie, le rôle de la pompe d'alimentation d'essence est secondaire, elle ne sert qu'au remplissage de deux ou d'un seul récipient étanches, dénommés jaugeurs ou mesureurs, étalonnés pour que leur contenance corresponde à une quantité d'essence déterminée. Dans les appareils à deux jaugeurs, la capacité de chacun des jaugeurs, jusqu'au niveau prévu et indiqué, est généralement de cinq litres ; les jaugeurs sont soit métalliques avec viseur en verre à leur partie supérieure, soit complètement en verre. Dans les appareils à un seul jaugeur, la
capacité peut aller jusqu'à 25 litres et une échelle graduée indique les niveaux
correspondants aux fractions de cinq litres (5, 10, 15, 20 et 25 litres). Cette
échelle est portée sur la paroi de la cuve de verre toujours employée dans ce
genre d'exécution. Les appareils à deux jaugeurs les plus répandus sont le
Courtioux, l'Essentielle (Boutillon), l'Hardoll, le Satam, l'Universel, tous de
construction française. Les appareils à un seul jaugeur - dont le prototype fut
l'appareil américain le Guaranty visible, - parmi les plus répandu sont le Gex,
le Samsa, Avec les modèles Universel, Guaranty visible, Samoa, on peut avec le même appareil distribuer plusieurs liquides différents / essence supérieure, essence ordinaire, benzol. Une vanne permet alors de brancher l'appareil sur l'une quelconque des citernes correspondantes. La manette de commande se déplace sur un secteur portant l'indication des catégories de liquides demandés devant chaque repère d'arrêt.
Le ravitaillement d'un poste de distribution de détail par camion-citerne automobile. Un long tuyau souple permet le raccordement des robinets des citernes du camion, avec les orifices disposés soit au-dessus des cuves souterraines, soit à la base même du distributeur (exemple ci-dessus). Dans ce dernier cas, on utilise la canalisation de trop plein de l'appareil. Le camion-citerne représenté ci-dessus comporte 3 réservoirs séparés d'une contenance de 900 litres chacun. Les robinets de vidange sont plombés au dépôt après chaque remplissage. La question des garanties qui peuvent être données à l'acheteur sur la quantité et la qualité de l'essence est fort délicate. Aucune réglementation n'existe en France concernant le contrôle et la surveillance officiels du procédé actuel de distribution d'essence. Seuls quelques décrets des préfectures et des municipalités ont fixé certaines conditions d'installation. La Commission de refonte des règlements a déjà déposé plusieurs rapports sur la question de la distribution de l'essence par les appareils mécaniques et le dernier est en instance près du Conseil d'Etat. Il est évident qu'avant d'édicter des règlements précis, il était utile que l'expérience en ait déterminé les orientations, mais des décisions promptes s'imposent maintenant, afin de donner aux automobilistes garantie et confiance. Actuellement les appareils de distribution sont étalonnés par les seuls services d'essais des constructeurs. Quelques-uns possèdent des mesureurs types, étalonnés par le Service des Poids et Mesures, simple initiative personnelle, car rien ne les oblige à cette formalité. Il est indispensable que les distributeurs d'essence soient désormais soumis à l'approbation des services compétents, réceptionnés et poinçonnés avant leur mise en fonctionnement régulier, qu'ils fassent l'objet d'une vérification périodique et du contrôle inopiné de surveillance qui est exercé sur les autres appareils de mesure. C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'est conçue la réglementation en instance. Pour la qualité, nous constatons la même incertitude, d'autant que deux catégories distinctes sont couramment offertes essence supérieure et essence ordinaire et que les deux essences peuvent être mélangées. Nous avons précédemment expliqué que la densité n'est pas la seule caractéristique qui puisse donner une assurance sur la qualité d'une essence, la détermination de la densité n'en reste pas moins le seul moyen de contrôle courant. qui se présente à l'examen. Cependant l'usage du densimètre n'est guère pratique et les calculs de correction, selon la température, sont susceptibles de provoquer de constantes discussions entre acheteurs et détaillants. Aux Etats-Unis, où l'expérience de la distribution mécanique de l'essence est déjà longue et porte sur des centaines de milliers d'appareils en service, les raffineurs ont été conduits à deux initiatives : teinter l'essence de façon très caractéristique pour que cette teinte constitue le témoin de la qualité du produit proposé à l'acheteur ; multiplier les dépôts sous gérance directe. Notre organisation devra certainement s'inspirer de cette expérience. L'opération de la distribution doit être surveillée, d'autant que l'exécutant peut toujours par inadvertance faire un oubli ou une fausse manœuvre. Selon le modèle du distributeur, on portera attention ... concernant soit le remplissage, soit la manoeuvre du robinet de vidange, soit le déclanchement du compteur partiel. On peut exiger pour ce dernier, la remise au zéro. L'opérateur doit toujours soulever à la main le corps du tuyau souple de vidange relié au réservoir de la voiture avant de l'enlever, afin d'évacuer complètement le liquide pouvant rester à l'intérieur. En ce qui concerne la qualité, celle-ci dépend avant tout, actuellement, du contrôle exercé par les raffineurs sur les installations des détaillants. Pour les ravitaillements quotidiens, il est toujours facile de choisir son fournisseur. Pour les ravitaillements sur les grands itinéraires on s'adressera de préférence, soit aux dépôts des raffineurs fonctionnant sous gérance directe, soit aux garages connus et renommés. Un appareil indicateur de niveau d'essence disposé soit sur le réservoir, soit sur le tablier de la voiture est d'un intérêt certain pour le contrôle. Une remarque s'impose touchant l'emploi des indicateurs, afin d'éviter les discussions possibles avec le détaillant. La lecture avant le ravitaillement doit être faite seulement après que l'essence est revenue au repos dans le réservoir. On s'arrête souvent sur un coup de frein un peu vif, le liquide est projeté de part et d'autre du réservoir, il faut donc attendre que le niveau n'oscille plus. La lecture après le ravitaillement doit se faire dans les mêmes conditions et à la même place, avant de repartir, car il faut tenir compte également des inclinaisons du niveau du liquide dans le réservoir, résultant de la position relative de la voiture, selon les dénivellations du sol sur lequel elle repose. A. Caputo
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