Cyclecars Motos Voitures, numéro spécial Salon 1924

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Pour arriver...

L'automobile est encore un sport : mais elle est, surtout, un moyen de locomotion ; elle tendra à le devenir toujours davantage, au fur et à mesure que les masses auront vraiment compris son utilité. Mais combien d'ennemis invisibles se jettent en travers de la marche de l'automobile pour l'empêcher " d'arriver ". Car l'on part et il arrive - rarement, par bonheur - que l'on n'arrive pas ... Des décrets et lois insuffisants n'ont pas sensiblement amélioré une situation qui deviendra d'autant plus grave que le nombre des véhicules augmentera ; les angles, les croisements, les virages masqués sont ces ennemis de la circulation, ces microbes pour lesquels notre collaborateur Louis Forest propose la création d'un Institut Pasteur contre les accidents. Ne riez pas : la chose est sérieuse, mais souriez quand même, car l'auteur a traité son sujet avec ce bon sens et cette philosophie aimable qui lui ont valu tant d'admirateurs.

Voilà la troisième année que Cyclecars, Motos et Voitures me demande l'article qui ornera, en tête, son numéro du Salon. Trois ans, c'est un bail. Souhaitons que ce soit un trois, six, neuf, avec bien entendu, en plus, les prorogations légales.

Je ne sais si, ces articles, vous trouvez plaisir à les lire ? Je sais que, pour moi, il m'est très agréable de les écrire ... quoique chaque Salon qui passe me marque une année, et je suis à l'âge où on commence à compter : combien de Salons encore ? Chaque perfectionnement de l'auto me laisse le regret de perfectionnements que je ne connaîtrai pas ... Dire qu'il y a des jeunes gens qui n'ont pas mis, dans une voiture avec moteur à l'arrière, vingt-quatre heures pour aller de Paris à Champigny !

Ils ne connaissent pas les plaisirs de la route ... On avait alors des pannes tous les cent mètres. La chaîne transmission sautait sans arrêt. Ah ! c'était le bon temps. Aujourd'hui, on ne regarde même plus dans son capot. Ils ont des allumages électriques. On leur fabrique des démarreurs automatiques. Ils ne veulent même plus tourner la manivelle ... Pouah ! ... Pauvre pays ! Mais laissons là ces regrets superflus, et au lieu de parler du passé, occupons-nous de l'avenir.

Dans le premier article de petite philosophie automobile que j'ai publié ici, j'ai de mon mieux expliqué que le petit véhicule allait réaliser une révolution sociale, qu'il allait transformer, non pas seulement l'industrie automobile, mais la physionomie du pays. J'ai fixé alors un principe qui a été souvent réimprimé depuis et beaucoup commenté, surtout à l'étranger : " Confort compris, il faut transporter avec le minimum de matière transportante ... ". C'est la louange même du petit véhicule. Il est, industriellement et logiquement, sage.

Le second article étudiait, étudiait avec le sourire, mais étudiait quand même l'avenir de la route et les changements humains qu'on peut attendre de l'automobilisme qui, à mon sens, est encore dans l'enfance. J'ai démontré alors que le carburant était même en train de changer notre type social. Je puis, depuis l'année dernière, en avancer un nouvel exemple très probant. Enquête menée, des femmes se sont fait couper les cheveux parce que l'auto dérangeait les échafaudages que, depuis des siècles, ces dames se construisaient sur l'occiput. La nécessité pratique a influé sur la mode. Si donc quelques vieilles chochotes ont l'air aujourd'hui de petits garçons, nous devons cet avantage, de fil en aiguilles et de carburateur en ciseaux, à l'inventeur du moteur à explosion. Ainsi s'enchaînent les choses de ce monde !

Chaque fois qu'un progrès s'impose aux hommes, il s'accompagne toujours d'un certain nombre d'inconvénients et de maux que, peu à peu, l'intelligence arrive à pallier. On navigue beaucoup plus que du temps où le premier individu grimpa pour faire du canot sur un tronc d'arbre. Mais, par contre, les risques de noyades ont été considérablement réduits, en proportion des distances parcourues par eau, du nombre des transports et de la vitesse. L'accident est devenu une rareté. Il faut que, pour l'automobilisme, il suive la même courbe descendante, et ce sera, si vous le voulez bien, notre sujet d'aujourd'hui.

Puisque chaque progrès fait payer une rançon, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'accident d'auto encombre les rubriques spéciales des journaux, mais là encore le progrès doit freiner cet excès. Il le faut. Il est devenu absurde de partir de Paris pour le Havre, et selon ses péchés ou ses vertus, d'aboutir aux enfers ou au paradis. Ces dérangements d'itinéraires ne sont pas sportifs, puisque le sport consiste à vaincre et non à être vaincu. Il est donc devenu indispensable d'en arriver, pour l'automobile, à cette sécurité sans laquelle le progrès de la construction reste vain.

On nous parle de voitures qui vont faire du 250 à l'heure ... Bon ! A quoi servira cette vitesse si aucune route ne la supporte ? A quoi rimera-t-elle sur un chemin étroit et tourmenté ? Et quel plaisir y trouvera-t-on si, à chaque angle de routes, on risque de saluer de trop près un inconnu avec lequel on s'abstiendrait volontiers d'avoir des relations si étroites ... Et c'est pourquoi, depuis longtemps, j'ai mené campagne pour la création d'un " Institut Pasteur " contre les accidents. On en a bien ri d'abord, comme toujours. On en rit moins maintenant.

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Bien entendu, il ne s'agit là que d'une comparaison. Les accidents d'automobile ne sont dus à aucun microbe, ou, s'il y en a un, il appartient à ce genre d'infiniment petits qui échappent au microscope et que les savants, pour ne pas avouer qu'ils y perdent leur latin et leurs lentilles, appellent des microbes filtrants. Je parle d'Institut Pasteur parce que les accidents d'auto sont devenus si fréquents qu'on peut les qualifier d'épidémiques. Puisque épidémie il y a, il est nécessaire de créer un laboratoire qui l'étudiera et recherchera les remèdes à la maladie mécanique.

Dès que vous appuyez sur l'accélérateur, les gens qui n'y connaissent rien vous interpellent : soyez prudents. C'est un excellent conseil. Mais d'abord à quoi sert d'être prudent si le voisin ne l'est pas ? Ayant un jour. rangé une voiture le long d'un trottoir, j'ai entendu un grand fracas ... En me retournant, j'ai vu qu'elle aussi s'était retournée ... Un bolide l'avait effleurée, en arrachant tout un côté, si bien que la conduite intérieure était à l'extérieur ... La prudence n'a donc pas grande signification, puisque l'imprudence d'un autre peut démolir la vôtre.

Or, tout bien examiné dans l'accident que je raconte, celui qui fit ce joli travail était moins coupable dans le fond des choses que le gouvernement. Il s'agissait d'une route nationale rendue systématiquement trop étroite par deux immenses bas-côtés inutiles et inutilisables. Le chemin n'était pas assez large pour permettre à un maladroit d'être adroit et l'Etat disposait néanmoins de la surface nécessaire pour créer la voie indispensable aux voitures rapides et aux conducteurs mal habiles. Nous n'y pouvons rien plus il y aura d'autos, plus elles auront tendance à filer vite, plus on rencontrera de pieds inhabiles - je parles de pieds, mais il s'agit de têtes - qui, croyant, un beau jour, appuyer sur le frein, appuieront sur l'accélérateur !

L'Institut Pasteur des Accidents dont je rêve étudierait les maladies de la route. Il serait chargé d'imaginer, contre les accidents, ce que les médecins appellent les moyens  prophylactiques, car le médecin moderne ne soigne pas le malade : il empêche l'homme sain de tomber malade. On sait qu'il est plus facile de ne pas attraper la tuberculose que de la soigner. De même, il est beaucoup plus aisé d'empêcher les accidents que de soigner les voitures " accidentées " et leurs propriétaires.

En attendant la création de l'Institut Pasteur des Accidents, j'ai déjà, pour ma petite part, réalisé quelques études sur ce sujet. Et vous allez voir qu'avec un peu de rigueur scientifique on pourrait réduire puissamment le nombre des malheurs de la route. Ce nombre est-il grand ? Certes. Trop. Je sais bien qu'une intéressante association automobile a publié des statistiques rassurantes. Proportionnellement aux kilomètres parcourus, les voitures à moteur " essence et gaz " sont beaucoup moins dangereuses que les voitures à moteur " avoine et crottin ». C'est exact.

Mais comme on circule beaucoup plus, depuis le moteur à essence, le nombre des accidents a donc augmenté proportionnellement. Par ailleurs, ouvrez n'importe quel journal de Paris ou de province. Vous n'y manquerez pas de lire les faits-divers, qui ne sont pas divers du tout, puisqu'ils se répètent toujours pareils. Lors d'une visite que je viens de faire à Rueil, à l'hôpital Stell, une merveille créée par deux Américains, M. et Mme Tuck, j'ai appris qu'il entrait dans cet établissement, chaque dimanche, au moins un blessé d'auto ...

Un grand carrossier de Paris m'a raconté que son métier qui commençait à devenir difficile à cause de la fabrication en série, se remontait rapidement par suite du travail des lundis et mardis. Ces jours-là arrivent les châssis éclopés le dimanche. La besogne de retapage est excellente. Elle a ragaillardi les bilans qui se dégonflaient. Ces vérités n'ont plus besoin d'être démontrées. Eh bien, j'ai, pour ma part, acquis la conviction que tout ce mal est évitable et que, par conséquent, il pourrait être évité.

Tout d'abord, environ vingt-cinq pour cent des blessures d'automobilistes sont dues au verre cassé. Il y a des gens qui se promènent à cent vingt à l'heure dans des vitrines. Notez que je ne leur donne pas tort. Je dis simplement qu'il y a des précautions à prendre, et qu'il vaut mieux prendre des précautions que des remèdes. Un simple filet de mailles, en fil extra mince et solide, suffit pour tendre un rideau protecteur qui empêcherait suffisamment la projection des éclats de verre, en cas d'avarie. En outre, on fabrique depuis longtemps des verres armés de différents systèmes qui pallient le mal. Et voilà vingt pour cent de blessures réduit à quinze ou à cinq cent ! Ce n'est pas très compliqué. Et il y aurait beaucoup à trouver dans cet ordre d'idées, si la négligence n'était pas le contraire de l'intelligence !

Les fabricants de lois et règlements ont tendance à accuser sans cesse l'imprudence ou la maladresse de l'automobiliste. A mon sens, ils exagèrent. Et tout d'abord, le permis de conduire n'a plus grande raison d'être. On pourrait s'en passer. Il est devenu si aisé de tenir un volant qu'il est excessif d'exiger un baccalauréat à cet effet. On le supprimerait que l'inconvénient serait moindre que le bénéfice. Au lieu du permis de conduire, il vaudrait mieux le " permis de se conduire ". Tel que je connais et qui se pique le nez devient, devant le macaron, un danger national, et il est cependant un as du volant. Son adresse est proverbiale, mais quand il a bu sa petite chopine de fine, ration qui ne l'effraie pas, il voit double et quand alors il aperçoit devant lui " une " voiture, il peut lui arriver de vouloir passer " entre les deux ". Cette aventure n'est pas imaginée. Elle s'est passée. Que vaut, dans ce cas, le permis de conduire ?

Une autre statistique révélerait rapidement que beaucoup d'accidents ne sont pas dus à la responsabilité immédiate du chauffeur, mais bien à sa responsabilité éloignée. Il n'a pas soigné ou fait soigner sa voiture. Dès lors, un choc brise une pièce qui se serait mieux comportée si elle avait été, comme il convenait, huilée ou graissée. La nature l'exige. Les frottements ne sont admis par elle qu'avec le secours d'un lubrifiant et si je ne craignais de transformer en contes de Boccace quelques réflexions sur la mécanique, je vous expliquerais que même l'amour qui, chante-t-on, n'a jamais, jamais connu de loi, doit se soumettre à cette règle universelle.

Eh bien, du jour où l'Institut Pasteur aurait révélé le nombre des accidents dus au manque d'huile ou de graisse, on finirait peut-être par comprendre qu'il est idiot, pour un constructeur qui tient à la vie de ses clients, de cacher les ouvertures de lubrification de telle sorte qu'on peut les comparer à la modeste violette qui s'enfouit sous les feuilles par crainte qu'on ne la viole. Sur une voiture que je sais, un certain graisseur qu'on ne peut atteindre qu'en sortant tapis, planches, qu'en vissant et dévissant, a été muni, par un chauffeur ingénieux, d'un petit tube à demeure qui laisse apparaître, au dehors, le petit chapeau qui appelle, à son tour, l'attention et la graisse. C'est simple, mais il fallait y penser.

Or, je parie gros que sur les châssis du modèle en question, livrés aux mains d'amateurs, cette pièce délicate reste constamment sèche comme l'Amérique... L'Institut prophylactique contre les accidents d'auto. ne manquerait pas, s'il existait, de faire remarquer aux ingénieurs, que la voiture n'est pas construite pour eux, mais pour la clientèle, que les clients n'ont pas tous des chauffeurs, et qu'en plus, ils n'ont souvent ni le temps, ni les moyens de physique d'aller à la pêche du graisseur misanthrope qui fuit la société des hommes. 

L'Institut Pasteur contre les Accidents s'occuperait aussi du dessin rationnel des routes. J'ai souvent dénoncé les angles, coins, intersections, croisements de rues ou de chemins qui sont de véritables pièges à auto. Le Touring-Club (il faut en faire partie!) signale de son mieux les passages dangereux, mais il ne peut les indiquer tous. Il faut donc désormais construire des croisements rationnels qui permettent aux conducteurs de se voir de loin. Soixante-quinze pour cent des carrefours pourraient être améliorés. Il n'y a souvent qu'un coin de haie à abattre, qu'un arbre à élaguer, qu'un mur aigu à rendre obtus. Pour toutes les constructions nouvelles, la loi devrait réglementer la façon de bâtir les angles des rues et des routes. Je n'ai point la place ici de dessiner les " croisements scientifiques ", mais sachez que dans les environs de Caen, on a construit des intersections de routes, très pratiques, qui obligent, automatiquement, l'automobiliste à céder le pas à la voiture qui a droit à la priorité.

La vérité, si on veut réduire à un taux acceptable le nombre des accidents, est donc d'étudier tous les moyens " automatiques ", de les éviter. Il ne faut, autant que possible, jamais s'adresser dans ce but, à l'intelligence humaine, pour la raison qu'elle est souvent une inintelligence ! Un angle construit matériellement pour supprimer l'accident, l'évitera cent fois mieux que cent pancartes " passage dangereux ".

Toutes ces réflexions, touchant  l'emboutissage et le capotage, sont, me semble-t-il, de saison au moment du Salon de l'Automobile. Quand méditerait-on sur ces sujets, sinon à ce moment-là ? Quel est, en effet, l'idéal de l'automobile ? C'est la voiture qui, partant à l'heure que vous désirez, vous mène à l'heure prévue, au but cherché ...

Si donc vous vous cassez la tête en route, vous n'avez pas réalisé cet idéal. Si vous rentrez avec un capot défoncé, un réservoir cabossé et l'oeil bleui, vous n'avez pas accompli le rêve de transport parfait qui vous poursuivait, tandis que d'un stand à l'autre, vous passiez avec l'envie de tout essayer, de tout acheter. Et, pour finir, je me permets de vous proposer cet axiome qui devrait être affiché dans tous les garages : circuler en voiture ne signifie pas seulement partir, cela signifie surtout arriver! 

Louis Forest


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Quelques réflexions sur la prospérité de l'industrie automobile en France

Il s'est vendu en France un nombre considérable de voitures depuis le dernier Salon. Les voiturettes de 5 à 8 chevaux ont connu un très grand succès commercial ; plus que jamais nous arrivons au moment où " chacun aura sa voiture ". Les constructeurs doivent néanmoins travailler de plus en plus les prix de revient, l'automobile dite utilitaire, est encore trop chère pour beaucoup, qui ne sont cependant pas toujours ceux qui en ont le moins besoin. 

Depuis quelque trente années que l'automobilisme est né, son histoire a enregistré de profondes évolutions. Tout d'abord, cette histoire fut purement sportive. Les grandes batailles entre constructeurs ou entre nations productrices avaient lieu sur la route, qui prit même l'allure d'un champ clos le jour où apparut le circuit fermé. Ensuite, ce fut l'ère technique. Les épreuves sportives n'étaient plus que les manifestations extérieures d'une lutte plus sourde, mais tout aussi violente, qui se livrait derrière des fenêtres, aux verres dépolis, sur les planches à dessin des bureaux d'études.

Depuis quelques années, nous sommes entrés dans la phrase ultime et définitive de la compétition économique. Les grands combats qui se livrent sur la route ou sur l'autodrome, ne peuvent entraîner la décision. Ce sont des escarmouches dont le seul but est de rendre tangible la lutte et d'y intéresser les masses, éternellement sensibles au geste sportif plus qu'à l'éloquence froide des statistiques. Le bureau d'études est redevenu paisible. C'est maintenant le secteur " pépère " où les fusils ne partent pas souvent, et où les antagonistes sont solidement fortifiés derrière de hauts remparts d'archives. L'activité guerrière s'est presque toute concentrée autour du tapis vert des conseils d'administration.

Victorieuse incontestable pendant la première période, la France conserva son avance pendant la seconde, mais accusa quelques vacillements lorsqu'il s'agit de continuer la lutte avec d'autres armes. D'un esprit trop objectif et ceci est d'ailleurs tout à leur honneur nos grands champions industriels furent quelque peu déconcertés, au début, par l'allure nouvelle de la lutte. Ils avaient conservé des époques précédentes la conviction qu'il leur suffisait, pour triompher, de faire mieux que leurs concurrents, et que le verdict universel devait, par une sorte de justice automatique et clairvoyante, proclamer toujours le triomphe du meilleur. Cette bonne foi périmée eut pour résultat, jointé à d'autres causes résultant du renversement des valeurs créé par la guerre, les terribles crises qui marquèrent les années 1920 et 1921, si j'ai bonne mémoire.

Nos producteurs trouvèrent, en ces années de misère, le marché intérieur engorgé, et le marché extérieur envahi. Des concurrents que n'avait qu'effleurés la tourmente avaient généreusement profité de notre carence pour se saisir de toutes nos bonnes places. Il ne fallut, à quelque chose, malheur est bon, rien moins que la hausse des devises pour mettre un frein à la frénésie des exportateurs. L'industrie française, de ce fait, jouit donc de quelque répit. La prospérité actuelle, n'est, en effet, qu'un répit. Elle ne marque nullement la solution définitive de la crise avec retour à la situation stable, après laquelle nous aspirons tous.

Mais, cette prospérité passagère et un peu artificielle peut avoir des lendemains fort intéressants, pour peu que nous nous efforcions d'en tirer profit de la bonne manière. L'industriel avisé, qui a devant lui quelques bénéfices intéressants et possède de ce chef des disponibilités, se doit à lui-même, et doit à son pays, de ne pas les employer à la légère. L'heure n'est pas aux extensions onéreuses, aux constructions d'ateliers nouveaux, à l'augmentation des effectifs ouvriers.

Le développement actuel de nos affaires doit s'effectuer en profondeur et non en surface, c'est-à-dire par une amélioration des méthodes industrielles, et de l'outillage visant à augmenter le rendement du capital immobilisé et de la main-d'oeuvre employée. L'abaissement du prix de revient doit être plus que jamais l'objectif principal, et toutes les dispositions qui peuvent y conduire doivent être adoptées sans regrets, même si elles ont pour effet de modifier l'équilibre des exploitations. C'est ainsi qu'un constructeur ne devra pas hésiter à faire exécuter ses moteurs au dehors, s'il lui est prouvé, chiffres en mains, que ce procédé lui procure des économies par rapport à celui qui consisterait à moderniser la partie de son outillage, affectée à la fabrication de ces mêmes moteurs. Les Américains sont passés maîtres dans l'art de tirer la quintessence d'une main-d'oeuvre parfois médiocre.

Nous devons nous inspirer de leurs procédés. Toutefois, ce serait une erreur de les copier servilement. La main d'œuvre française, de qualité bien supérieure à la leur, et d'un esprit plus individualiste, ne serait pas en mesure de donner la totalité de son rendement si elle était trop étroitement canalisée ....

C'est dans le domaine commercial que le plus grand effort reste à faire ... Les Français ont, tout d'abord, à apprendre le caractère exact de la production française ainsi que l'opinion que l'on a d'elle à l'étranger. Cette opinion, d'ailleurs très favorable, doit être entretenue, et il faut éviter les erreurs de tactique commerciale, susceptibles de la modifier. Aux yeux de l'étranger, nous sommes les producteurs de la voiture de marque, de même que nous sommes les producteurs de vins fins, par opposition à la voiture de grande série ou au vin de wagon-foudre. Voiture de marque ne signifie pas voiture de luxe. Il peut y avoir des cyclecars de marque, aussi bien que de puissants châssis destinés à supporter des carrosseries somptueuses.

Ce que demande l'acheteur étranger qui choisit une voiture française, c'est la perfection d'une mise au point, individuelle, le fini mécanique, le haut rendement du moteur, et, en ce qui concerne l'extérieur, la discrète élégance des formes. Il faut donc nous efforcer de conserver ces qualités rares, longuement et péniblement acquises, et qui constituent un apanage précieux. Ce serait une faute très lourde que de chercher à lutter contre nos concurrents sur des terrains où ils sont passés maîtres, et où le Monde serait étonné de nous rencontrer. Par exemple, il serait vain, pour nous, de chercher à exporter de la voiture populaire faite à l'emporte-pièce, et où serait relégué au dernier plan le souci de l'élégance. Ce genre de véhicule peut être intéressant à présenter sur le marché intérieur, dans le but de l'opposer au véhicule importé de même classe.

S'il y a quelques modifications à apporter à nos modèles, ce sont des modifications de caractéristiques ou de dimensions, et non de qualité. Il y a chez nous une diversité de types qui déconcertent jusqu'à l'acheteur national, et la désignation par le nombre de chevaux, de plus en plus fantaisiste à mesure que les moteurs se font de plus en plus poussés, n'est bonne qu'à égarer la clientèle. Telle 8 chevaux, par exemple, est un puissant châssis capable de supporter une conduite intérieure à places, tandis que telle autre, n'est qu'un modeste cyclecar.

Nous saluons, très heureusement l'adoption, par quelques constructeurs, de la désignation par la cylindrée. Il serait à souhaiter qu'elle se généralisât et qu'une échelle s'établit, dont les échelons ne comporteraient pas une infinité d'intermédiaires. L'apparition d'une gamme de types standards, bien définis tant dans leurs caractéristiques, que dans les conditions de leur emploi, ne pourrait être que bienfaisante au point de vue commercial.

La question de publicité vient en premier lieu dans l'étude de notre essor mondial. L'industrie française soigne-t-elle sa publicité à l'étranger ? A cette question, l'on est obligé de répondre oui et non. Des manifestations comme les récentes traversées du Sahara sont des coups de maître qui remuent profondément les masses. Mais, il importerait que ce ne soit pas là des faits isolés et qu'un effort continu soit exercé pour entretenir la vibration qu'elles ont engendrée. Il faudrait aussi qu'à l'étranger tous les Français soient des amis et se soutiennent étroitement.

En ce qui concerne le marché intérieur, les mêmes observations sont, à quelque chose près, applicables. Nous souffrons d'une trop grande dispersion de nos efforts, d'une trop grande diversité des types. Les besoins du public ne sont pas, somme toute, si multiples. La standardisation des grandes caractéristiques de puissance, de dimension et d'emploi, serait certainement bien venue des 98 % de la clientèle, et permettrait aux constructeurs de se mieux spécialiser et de réaliser, de ce chef, une continuité bienfaisante dans la succession de leurs modèles annuels.

D'autre part, certains types tels que celui de la voiture de faible puissance, à vitesse peu élevée mais susceptible de transporter plusieurs personnes dans des conditions de confort satisfaisantes, est presque unanimement négligé par les constructeurs qui recherchent trop souvent à compenser la faiblesse du moteur par la légèreté du véhicule, avec, pour mot d'ordre, de ne point réduire la vitesse. C'est-là une lacune à combler. Tout en rendant hommage au travail accompli par nos spécialistes, on voit donc qu'il y a encore fort à faire pour moderniser et vulgariser - dans le bon sens du terme, bien entendu - notre production automobile. Du fait des circonstances économiques qui nous ont conduits à une sorte de palier, nous sommes particulièrement bien placés pour effectuer, en souplesse, ce rétablissement sauveur.

Le Salon qui ouvre ses portes alors que j'écris ces lignes, sera moins encore que ses prédécesseurs un salon de révélations techniques sensationnelles ou, tout au moins, ces dernières seront-elles localisées à des unités et n'affecteront pas les nombreuses séries. Mais, il sera très intéressant d'y noter les symptômes de l'évolution nécessaire à laquelle je viens de faire allusion. Beaucoup de maisons, et non des moindres, ont compris l'appel de la nécessité et se sont imposé des rajeunissements sauveurs, dont on pourra constater les effets sur leurs catalogues.

Dans les méthodes commerciales aussi, d'intéressantes remises à la page ont été effectuées. C'est ainsi que quelques-uns de nos leaders se ont efforcés d'introduire un élément de continuité dans les relations qu'ils entretiennent avec leur clientèle. Ils y sont parvenus par deux moyens : en adoptant, sur des bases saines, le principe de la vente à crédit, avec payements mensuels répartis sur le courant d'une année ; en adoptant le principe de l'entretien à forfait des voitures de leurs clients, ce qui est bien la plus excellente chose que l'on ait inventé dans ces derniers temps.

En résumé, année de prospérité, année d'évolution commerciale, telle est la caractéristique de la campagne qui vient de se clore avec l'ouverture du Salon de 1924, Il y a tout lieu de se montrer optimiste, car les grands maîtres de notre industrie n'ont point fait la sourde oreille à l'appel du progrès, leur exemple sera certainement suivi par la foule des moyens et petits producteurs qui sauront limiter leurs ambitions, suivant leurs possibilités, et se préparer à mener triomphalement la campagne de 1924-1925.  

E. Pepinster


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Quelques mots sur l'organisation du Salon

Le Salon de l'Automobile ouvre ses portes pour la dix-neuvième fois : que de chemin parcouru depuis sa première organisation ! Manifestation timide au début, grandissant, chaque année avec la prospérité de notre industrie automobile, le Salon de Paris est aujourd'hui un événement mondial dont les échos se répercutent longtemps dans tous les pays et dans tous les journaux. Notre industrie serait seule à y participer que tous ceux qui tiennent à l'automobile par un point quelconque tiendraient à venir le visiter ; ne sommes-nous pas, grâce à l'intelligence, au tact et à la mesure de nos constructeurs au tout premier rang de l'industrie automobile dans le monde entier ?

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Le Salon automobile c'est le résultat d'une année de travail au bureau et sur la route : là sont présentées, sous une forme concrète, toutes les idées, toutes les ambitions, tous les espoirs ... un an du labeur de tous ceux qui, en France, se sont donné pour mission d'élever l'automobile toujours plus haut. Mais, nous ne sommes pas seuls. De grandes marques étrangères répondent chaque année à l'appel des organisateurs. Américains, Anglais, Belges, Italiens, Suisses sont là. Ils ont amené avec eux leurs plus récentes voitures pour leur donner cette consécration qu'est notre Salon. Le Salon, c'était autrefois une exposition réservée aux initiés : c'est aujourd'hui un événement parisien, le plus grand, le plus couru.

Ces automobiles alignées comme à la parade, ces châssis polis et nickelés jusqu'au plus petit écrou, aux brillants reflets d'acier, ces torpedos rapides, coureurs de grandes routes, ces limousines somptueuses dont l'émail impeccable reflète toute la lumière de la grande verrière, tout cela n'est-il pas une fête du luxe et du bon ton ? Et ces visiteurs qui passent les moteurs en revue, ces élégantes qui s'assoient sur les coussins de Gaborit ou de Saoutchik ? Le Salon ? Mais oui, c'est Paris ; dans dix jours les stands seront vides et les voitures nous les rencontrerons dans la rue, emmenant vers leurs affaires et leurs plaisirs ceux et celles qui les admiraient.

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Nous avons déjà dit ce que coûtait un Salon ; des sommes considérables devant lesquelles, cependant, nos constructeurs ne reculent pas. Mais ce que sa mise au point demande de travail, d'énergie, d'initiative, cela n'a pas été assez dit. Savez-vous que, dès un Salon fini, M. Cézanne, commissaire général, songe déjà à celui de l'année suivante? Qu'il lui faut chaque année satisfaire les plus difficiles, concilier des intérêts opposés, donner à chacun la place qui lui convient? Que pour chaque nouveau Salon, il faut trouver des idées nouvelles, des aménagements nouveaux, une décoration inédite.

Lui et ses collaborateurs n'ont pas trop d'une année pour accomplir cette tâche et il serait injuste, au moment où nous nous apprêtons à admirer le 19 Salon de l'Automobile de ne pas rendre hommage à ceux qui l'ont créé, organisé, mis au point, en ont été les animateurs infatigables.

Anonyme


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La femme et l'auto, à propos du Salon

Vous avez certainement visité des logis de célibataires. Oh ! en tout bien, tout honneur s'entend et sans porto fatidique ! Vous avez pu constater que certains sont meublés avec goût et une recherche du confort louable. Pourtant, ils produisent une impression mal aisée à définir, mais qui se résume dans cette phrase, souvent entendue: " C'est gentil chez lui, mais, vraiment, on s'aperçoit qu'il y manque une présence féminine ! "

On en pourrait dire autant, si étrange que cela paraisse, en visitant le Salon de l'Automobile. Nous autres femmes, je crois qu'il vaut mieux, pour que nous répétions un minimum de bêtises, que nous laissions aux " idoines ", nos maris en l'occurrence, le soin de juger des moteurs et des détails techniques. Le mien est revenu enchanté de sa visite..., et dans son enthousiasme, il m'a donné une foule de précisions que j'ai feint de comprendre.

Pourtant, en mon for intérieur, un soupçon de critique se mêlait à mon admiration sincère, et ce que je vais expliquer semblera sans doute hérétique aux constructeurs, mais, ma foi, tant pis! L'automobile fait maintenant partie de notre existence quotidienne, et ça n'est même plus un meuble ambulant, si l'on peut dire, mais une pièce où nous passons de longues heures et, parmi les meilleures, voici un premier point qui ne trouvera pas de contradicteurs.

Et, qu'est-ce qui, dans la vie courante, donne aux chambres, aux logis ce parfum d'intimité, sans lequel objets d'art, décorations, confort perdent la moitié de leur saveur ? La main de la femme. Je le dis sans vanité, tant cette vérité est passée à l'état de truisme.

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Or, et c'est là où je voulais en venir, on reconnaît à première vue que les carrosseries automobiles ont été conçues sans aucune collaboration féminine. Celles qui veulent être modernes le sont trop, avec un heurt de ligne, une sécheresse qu'un homme ne sent peut-être pas, mais qui choque une femme au premier coup d'oeil. Celles qui sont classiques rappellent invinciblement le Henri II ou le Louis-Philippe chers aux enrichis de l'alimentation. Et pourtant, tout cela est fort bien étudié, logique comme un polytechnicien, m'assure-t-on. Il en est de même dans les appartements des vieux garçons, ce qui n'empêche pas que tous leurs meubles ont l'air de venir du magasin et les bibelots d'attendre une revue d'armes.

Détail sans importance ! Il n'y a pas de détails sans importance, et c'est en conquérant la sympathie de leurs compagnes qu'on convainc les maris. Il y a peu d'hommes qui achètent une auto sans consulter longuement leurs femmes et celles-ci seront obscurément sensibles à la nuance que nous signalons.

Le remède ? Ma foi, il est bien simple, si simple qu'il en paraîtra effroyablement compliqué à beaucoup. Messieurs les constructeurs, consultez vos épouses, voire vos petites amies, avant de vous arrêter à un plan de carrosserie ! Un porte-bouquet ici, une note gaie de couleurs dans ce coin et voilà une auto sévère qui, tout à coup, devient charmante. sans coûter un centime de plus, et pour cette très légère concession que vous aurez fait au dogme de votre infaillibilité, vous risquerez de gagner des centaines d'achetrices nouvelles. C'est ce que je vous souhaite de tout cœur...

Dominique

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