Automobilia, 30 novembre 1922
Publicité Salmson NDLR : nous sommes ici à la veille de la première croisière Citroën, dont le départ sera donné le 17 décembre 1922, et qui va à la conquête du Sahara. Cette première croisière sera suivie par une deuxième en 1924 à travers l'Afrique Noire, et une troisième en 1931 à travers l'Asie. La Mission G.M. Haardt-AudoinDubreuil La Mission qui se prépare et dont nous donnons les premiers dans la presse le projet complet et raisonné sera certainement la plus grande exploration des temps modernes. C'est, on s'en souvient, à la Mission Foureau-Lamy que revient l'honneur d'avoir traversé, pour la première fois, de part en part, le Sahara Central de 1898 à 1900. Puis ce furent le raid du capitaine Flye-Sainte-Marie, les explorations géographiques et géologiques des professeurs Flamand, Gautier et Chudeau, les travaux de la Mission Nieger, les études de la Mission Arnaud-Cortier, celles du capitaine Dinaux, celles de M. André Bonamy, puis les investigations si nombreuses du colonel Laperrine et de ses collaborateurs qui contribuèrent à déchiffrer le grand mystère saharien, mais sans en éclaircir encore tout l'inconnu ni avoir paré à tous ses dangers. L'expédition que l'on va entreprendre permet d'être la première réalisation véritablement pratique qui nous permettra définitivement d'unir l'Afrique Septentrionale à l'Afrique Occidentale et d'unifier enfin sur des bases solides notre immense empire saharien. Un moyen de communication rapide à travers le Sahara s'impose Le chameau, l'antique vaisseau du désert, devient rare par suite des réquisitions qui ont épuisé le cheptel pendant la guerre ; il est, de plus, à l'heure actuelle, un moyen bien lent de transport. Le cheval ne peut supporter les longs parcours sans eau. Le chemin de fer sera long à construire. L'automobile seule, peut assurer en ce moment une traversée rapide et sûre, mais à la condition de pouvoir passer sur les terrains les plus divers dunes de sable, terrains rocheux, lits d'oueds encaissés, obstacles de toutes sortes. L'automobile du modèle courant ne le peut pas. L'automobile à chenilles souples Kegresse-Hinstin que fabriquent les usines Citroën a résolu le problème ; au Sahara. comme dans d'autres pays lointains où aucun véhicule n'a encore pénétré, elle sera le premier pionnier de la civilisation. La première tentative doit être effectuée en décembre prochain, par la mission G.-M. Haardt-Louis Audouin-Dubreuil. Une des quatre voitures du raid Le sol Sous le nom d'oueds» on désigne d'immenses lits d'anciennes rivières aujourd'hui à sec et pouvant atteindre plusieurs kilomètres de large. Les principaux de ces oueds, que la mission G.-M. Haardt-Audouin-Dubreuil aura à traverser ou à longer, sont : l'Oued Pya, l'Oued Tamanrasset, l'Oued Helok et, avant d'arriver au Niger, l'Oued Tilemsi. Dans les fonds d'oueds on rencontre une légère végétation, entre autres les Ethels et les R'tems qui ne sont, pour la plupart, que des arbustes rabougris. Selon les régions que traversent ces oueds, les fonds en sont couverts de sable ou d'énormes galets, sur lesquels la marche est excessivement pénible. C'est, en général, dans ces fonds d'oueds, que se trouvent les puits. Les puits Certains itinéraires sahariens sont jalonnés par ces puits, qui se trouvent toujours à une grande distance les uns des autres. Jusqu'au Hoggar, sur le trajet des caravanes, on rencontre des puits tous les 100 ou 200 kilomètres ! Entre le Hoggar et l'Adrar des Iforas, les puits deviennent plus rares, et, en traversant le Tanezrouft, ou pays de la soif, la mission G.-M. Haardt Audouin-Dubreuil sur un parcours de plus de 500 kilomètres, ne rencontrera pas d'eau. Certains puits se trouvent à sec pendant plusieurs années. Malheur à celui qui aura épuisé sa réserve d'eau. Il est souvent arrivé à la mission Audouin-Dubreuil qui, l'an dernier, a parcouru le Sahara sur Citroën à chenilles, de trouver difficilement de quoi y faire le plein pour la moitié des voitures. Les meilleurs puits sont réparés tous les quatre ou cinq ans, par les soins d'une petite colonne volante ; d'autres sont entretenus par les rares caravanes qui passent. Certains sont excessivement difficiles à trouver dans ces immenses solitudes. On ne peut, la plupart du temps, les découvrir qu'en suivant les traces laissées par les chameaux les années précédentes. La caravane assoiffée trouve parfois un débit tellement faible qu'il lui faut plusieurs jours pour s'abreuver complètement. Sauf dans les régions montagneuses, où ils sont alimentés par l'eau des pluies, les puits doivent atteindre la couche aqueuse profonde qui donne une eau de mauvaise qualité, très indigeste, chargée de sels de magnésie. Ils sont parfois très profonds, par exemple celui de Sedjera Touila, à 50 kilomètres d'Inifel, a 80 mètres de profondeur. Les populations A Touggourt et dans les oasis, une population sédentaire cultive les palmiers. A la saison des dattes, des tribus nomades, venues principalement du Nord, campent aux alentours de la ville. La plus célèbre est celle des Ouled Nails qui fournit des femmes de moeurs légères à toutes les tribus du Sud. Ces tribus font la cueillette des dattes dans les jardins de palmiers et les transportent ensuite vers le Nord ou dans les différentes oasis moins productrices. A Ouargla, la population sédentaire se compose des Beni-Sissins, des Beni-Ouaggiens et des Beni-Brahim qui cultivent un peu d'orge, mais surtout des palmiers. Dans le désert, aux alentours de Ouargla, campent les tribus nomades des Chaanba, des Beni-Thour, des Hedn, des Saïd Otba. La principale de ces tribus est celle des Chaanba ; on rencontre d'ailleurs, le Chaanbi dans toutes les régions de Biskra, Touggourt et Ouargla. Les Chaanba deviennent de merveilleux méharistes et sont pour nous des soldats précieux. Ce sont presque toujours eux que l'on trouve dans les compagnies méharistes, compagnies du Tidiklet, de la Saoura et du Touat. De Ouargla à In Salah, rien, le désert sans vie presque partout, sauf à El Golea, agréable oasis située à l'ouest de l'itinéraire que suivra la mission. A In Salah, une population de 8 000 habitants habite les oasis et les ksour qui entourent le bordj. Population très mélangée : arabes, haratin (anciens esclaves souvent croisés de sang arabe), nègres venant du Soudan, et, enfin, quelques Touareg. A 700 kilomètres d'In Salah, dans le massif des montagnes du Hoggar, vit la principale tribu targuie du Sahara. Les Touareg n'ont pas d'histoire, car chez eux, on ne peut parler des morts sans éveiller les esprits et il est très malséant de le faire. Les Touareg ont des moeurs absolument différentes de celles des Arabes. On retrouve chez eux de curieuses coutumes ancestrales comme le matriarcat, la femme y dirige souvent les réunions des guerriers, et elle est toujours dévoilée. Les Touareg portent sur le visage un voile noir ou bleu foncé appelé le " litham ", ils ne l'enlèvent jamais. L'origine ni le motif de cette coutume ne sont expliqués. Leur jeu favori est le combat avec lances et grands boucliers en peau d'antilope. Ils se réunissent souvent pour de longs palabres appelés " achal " qui sont habituellement présidés par une femme et ressemblent beaucoup à nos " Cours d'Amour du Moyen Age ". On y joue de l'amsad, sorte de violon primitif à une seule corde. La plupart des tribus Touareg nous sont soumises et deviendront bientôt pour nous d'excellents auxiliaires dans le Sahara Central. A signaler également dans le massif de l'Adrar des Iforas quelques touaregs qui se livrent à l'élevage. Ils sont bien moins guerriers que ceux des Hoggar ou des Azzer qui vivent sur les confins de la Tripolitaine. En se rapprochant du Niger, on rencontre les populations noires du Soudan. A suivre ... Publicité Georges Irat Suite ... Le chameau, les caravanes Si on veut obtenir du chameau un service de longue durée, il ne faut guère lui demander plus de 20 à 25 kilomètres par jour. Dans ces conditions, il peut marcher des mois avec une charge de 100 à 150 kilogrammes. On peut exiger de lui un plus gros effort, comme de franchir en deux ou trois jours une distance de 200 à 300 kilomètres, mais on doit alors le laisser se refaire pendant six mois ou même un an. Le chameau a toute sa force de résistance dans sa bosse qui lui sert de réserve alimentaire et qui diminue après quelques jours d'efforts ; force est alors, de le laisser reposer jusqu'à ce que sa bosse se soit reconstituée. Le chameau peut passer quatre ou cinq jours sans boire, six jours au grand maximum. Au repos seulement, il peut rester jusqu'à quinze Jours sans être abreuvé. On l'utilise habituellement comme porteur. Les caravanes marchent d'habitude à la vitesse de 25 kilomètres par jour si le trajet est long, et de 35 à 50 kilomètres si le trajet est de courte durée (8 à 10 jours). Le chameau est un animal de santé délicate ; si on dépasse tant soit peu le travail normal qu'il peut supporter, il dépérit et meurt rapidement. Le cheptel camelier a été fortement réduit par les besoins de la guerre. Les chameaux appartiennent en général aux tribus nomades qui, à certaines périodes de l'année et principalement à l'époque des dattes se rapprochent des oasis pour effectuer les transports. Autrefois, le Sahara était traversé tous les ans ou tous les deux ans par de grandes caravanes qui menaient des esclaves et portaient de l'ivoire au Maroc, en Algérie, en Tripolitaine, en Tunisie. A l'heure actuelle, aucune ne traverse complètement le Sahara. De rares caravanes partent cependant des rives du Niger pour remonter vers le Sahara et la Mauritanie, elles se rendent également à Taoudeni pour en rapporter du sel. Taoudeni est un endroit épouvantable à habiter ; aucun Européen ne peut y vivre plus de quelques jours et les nègres qui travaillent dans les mines de sel meurent assez rapidement. Une caravane voulant aller de Touggourt à Tombouctou sans aucun relai de chameaux en cours de route mettrait de six à sept mois à faire la traversée. Le méhari est un chameau sélectionné, auquel on peut demander une vitesse plus grande. Un petit groupe de méhara pourrait traverser le désert en deux mois et demi. Les dangers de la traversée , les Rezzou et les Djchou On appelle " rezzou " des groupes de pillards du Sahara se composant de 50 à 200 hommes et plus quí parcourent le désert à certaines époques de l'année. Le Djich (pluriel Dichou) est un groupe de moindre importance qui se compose de 25 à 50 hommes. Rezzou ou djchou partent la plupart du temps des confins du Sahara marocain. Tafilalelt, Oued Drar, Rio de Oro ou de la Tripolitaine et de la région des Touareg Azdzer. A l'heure actuelle, les rezzou tripolitains deviennent de plus en plus rares et les rezzou Touareg n'existent presque plus, la plupart des Touareg ayant fait leur soumission à la France. Les rezzou marocains sont toujours restés excessivement dangereux. Ils traversent le Sahara Mauritanien pour arriver brusquement dans les régions situées entre Hoggar et Niger, Adrar des Iforas et autres. Ils poussent même l'audace jusqu'à faire boire leurs chameaux dans les eaux du Niger. Ces rezzou sont très redoutés et excessivement difficiles à atteindre. Ils possèdent de merveilleux méhara et les hommes qui les composent sont d'une endurance remarquable. Il est très rare que nos colonnes volantes aient pu atteindre les rezzou. C'est aux abords des puits, où l'on est toujours sûr de trouver quiconque traverse le Sahara que l'on a le plus de chances de les surprendre. Les attaques en plein désert bien qu'ayant diminué sont encore fréquentes et une partie importante des populations nomades ne vit que de pillage. Les guet-apens sont rendus assez faciles du fait que les trajets possibles sont peu nombreux, parfaitement connus et qu'on ne peut passer en dehors des points d'eau. Par conséquent, un parti même peu nombreux, mais décidé, peut facilement surprendre une caravane insuffisamment protégée. La conquête du Sahara a, d'ailleurs, été marquée par une suite de massacres dont les principaux sont ceux de la mission Flatters, de Douls, du marquis de Morès, du Père de Foucault (pour ne parler que des dernières années). En février 1918, une caravane a été massacrée par surprise dans les gorges d'Aïn Guettara. Les projets de chemins de fer transsahariens L'idée de réunir par le rail deux possessions aussi productrices que l'Afrique Occidentale française et l'Afrique du Nord, est déjà ancienne. En 1880, avant le massacre de la colonne Flatters, l'ingénieur Duponchel posait les principes d'un chemin de fer transsaharien à voie normale. Quatre projets sont à l'heure actuelle en présence. Le projet Souleyre prévoit un chemin de fer de Philippe-ville au Niger, en passant par Constantine, Biskra, Touggourt, Fort Flatters, le Hoggar avec un embranchement vers le Tchad et un raccordement à Hombari avec les chemins de fer de la boucle du Niger. Le projet de M. Camille Sabatier prévoit le trajet du Transsaharien par Oran, Bechar, Adrar piquant droit à travers le désert pour rejoindre le Niger. Le projet Berthelot, étudié par la mission Nieger, envisage le tracé Alger, Colomb-Becchar, la Saoura, le Massif de l'Ahnet, le Hoggar, Agades et le Tchad avec embranchement sur Bourem (Niger). Le projet du colonel Godefroy prolongation de la ligne Biskra-Touggourt vers le Niger par le Hoggar. Les trafics escomptés seraient fournis par les produits du Soudan et les vovageurs de l'Afrique Occidentale française. La liaison transsaharienne rapide devient, au lendemain de la guerre, une entreprise nationale de première importance qu'il faut réaliser le plus promptement possible. L'Afrique Occidentale française, en particulier la région riveraine du Niger, offre en coton, céréales, moutons, boeufs, etc., des ressources énormes inexploitées. Mais le chemin de fer transsaharien sera, de l'avis de tous les techniciens, un ouvrage de longue durée demandant de six à douze ans, suivant les projets. Les travaux de prospection des ingénieurs dans ces régions désertiques, souvent inconnues, seront pleines de difficultés. Il faut donc apporter aux compagnies chargées de l'exécution l'" automobile " pouvant assurer la marche rapide dans le désert. Vue prise au cours des essais de l'hiver 1921-22 Les essais de traversée du Sahara avec des automobiles à roues La construction d'une route à travers le
Sahara aurait évidemment résolu la question de la pénétration par l'automobile,
mais on a dû vite reconnaître qu'il serait pratiquement impossible d'établir une
chaussée entre le Sud-Algérien et le Niger. A grand peine et à grands frais, on
a bien aménagé une piste sur quelques centaines de kilomètres, au sud de
Touggourt, mais on en a vite abandonné l'entretien en raison des résultats
décevants de la première caravane automobile qui l'utilisa. Quoique des
chameaux, réquisitionnés parmi les tribus soumises, fussent chargés du
ravitaillement en eau, essence, pneumatiques, etc, la plupart des voitures
durent être abandonnées Les propulseurs Kégresse-Hinstin ont résolu ce problème. En vue d'améliorer l'emploi de la roue dans les terrains, on a d'abord augmenté sa largeur et son diamètre ; on a ensuite doublé et même triplé le nombre des bandages dans le but d'opposer à l'enfoncement une résistance suffisante. On est arrivé finalement à remplacer la roue par des surfaces mobiles Ces dernières ont été combinées avec les roues, et enfin, on est parvenu à créer des appareils spéciaux dénommés " appareils à chenilles ". Ce sont des bandes sans fin, ou rails mobiles qui interposent entre le sol et les galets, ou rouleaux porteurs du véhicule, une grande surface permettant ainsi la propulsion dans des terrains absolument inaccessibles aux véhicules à roues. Ce genre d'appareils a été beaucoup utilisé pendant la Guerre, là où des automobiles ordinaires ne pouvaient plus rendre de services. La bande sans fin, ou rail, de ces appareils était composée de plaques métalliques de très faible longueur, assemblées les unes aux autres au moyen de charnières, formant ainsi une chaîne sans fin. Les avantages de ces appareils, au point de vue surface portante, sont incontestables ; malheureusement, ils sont absolument inaptes à supporter une vitesse dépassant quelques kilomètres à l'heure. De plus, les nombreuses charnières de la chaîne devant travailler dans le sable, la boue, etc., deviennent un obstacle très sérieux au bon fonctionnement d'une telle mécanique. D'autre part, les chaînes métalliques, qui doivent être muniesde crampons pour remédier au manque d'adhérence du métal sur la route, détériorent très sérieusement cette dernière, à tel point que la circulation intensive de ces engins sur les chaussées est interdite. Enfin, ces appareils manquent totalement de souplesse, toujours à cause de la rigidité de la partie en contact avec le sol ; bref, ils ne sont pas, dans la majeure partie des cas, utilisables d'une façon pratique. C'est pour remédier à tous les inconvénients ci-dessus cités, que les appareils Kegresse ont été créés. Ils présentent la surface portante nécessaire pour les déplacements en terrains variés et permettent une circulation rapide, aussi bien sur les chaussées que sur les autres terrains, sans crainte de détérioration de ceux-ci. Ce résultat est obtenu grâce à une bande sans fin en toile et caoutchouc d'une très grande souplesse. Un mécanisme approprié suit les mouvements de la bande sur le sol, qui n'est donc jamais touché par la partie métallique de l'appareil. En se reportant à la figure ci-après, on saisira le fonctionnement d'un tel système. L'appareil Kegresse se monte, en principe à la place des roues motrices d'un véhicule ordinaire. Une des voitures du raid Une poulie A est fixée de part et d'autre de l'essieu arrière à la place des roues motrices. L'essieu portant ces poulies n'est pas fixé au châssis par des ressorts, comme dans les voitures ordinaires, mais peut monter ou descendre par rapport à ce dernier. Le poids du véhicule est soutenu par un essieu spécial B, qui lui, est fixé rigide au châssis. Sur les extrémités de cet essieu B, sont montés des palonniers élastiques C, superposés et articulés en leur milieu. Chaque extrémité des palonniers est réunie par des joues D à la partie inférieure desquelles s'articule un petit balancier dont les extrémités portent les galets E. Le poids de la partie correspondante du véhicule est donc transmis au sol par l'intermédiaire de ces organes articulés et de la bande en caoutchouc. Une autre poulie F, placée à l'avant de l'appareil, sert de support et de guidage à la bande sans fin G. Cette dernière poulie F repose sur le sol par son propre poids, sans supporter celui de la machine, puisque son système de liaison avec le reste du véhicule est constitué par des jambes H, articulées également sur l'essieu B, porteur de charge. On comprend aisément que, si l'appareil se déplaçant rencontre un obstacle, la poulie F va se soulever de la hauteur de cet obstacle, et établir à la partie inférieure de la chenille une espèce de plan incliné sur lequel rouleront sans difficulté les galets D porteurs de charge. Afin d'obtenir un entraînement de la bande sans fin, absolument sûr, chacune des poulies motrices A est jumelée et laisse passer entre les deux demi poulies une partie saillante faisant corps avec l'intérieur de la chenille. Les poulies jumelées sont munies d'un moyeu spécial, qui a pour but de les rapprocher l'une de l'autre, proportionnellement à l'effort moteur, de telle sorte que la partie saillante intérieure de la chenille se trouve coincée d'une façon certaine. Le réglage de la tension de la bande sans fin se fait au moyen d'une simple manivelle. L'itinéraire de la mission Le parcours exact que suivra la mission ne peut être fixé que dans ses grandes lignes ; c'est ainsi que la région entre le Hoggar et le puits de Tin Zaouaten étant très peu connue, les voitures auront à établir sur place leur itinéraire et à marcher à la boussole. Le point de départ est Touggourt, terminus du chemin de fer à voie étroite Sud Algérien qui se raccorde à Biskra avec le réseau algérien, à voie normale. Touggourt est la capitale des oasis qui jalonnent la vallée de l'oued Rhir. La ville est bâtie à la lisière ouest de l'oasis qui porte son nom et qui comprend 170 000 palmiers ; elle a reçu des Arabes le nom de " Ventre du Désert ". Son marché est très fréquenté par les nomades du Sahara, qui viennent y échanger les tissus et objets qu'ils fabriquent contre des céréales, des fruits, des légumes, etc. Touggourt a une garnison de spahis et de tirailleurs sénégalais. La population est de 9 000 habitants environ, dont 180 Français. Entre Touggourt et Ouargla, s'étend un
vaste désert de sable, où l'on rencontre cependant, par endroits, une certaine
végétation, qui rend cette région assez propice au séjour des nomades, qui y
font paître leurs chameaux. Les caravanes effectuent, en général, le trajet en
quatre à six jours. Les La mission évitera l'immense hamada rocheuse qui s'étend vers l'ouest et empruntera l'itinéraire des caravanes, qui, jusqu'à l'oued Mya, suit un parcours sablonneux et traverse deux ou trois régions de dunes, dont les principales sont les dunes de Kechaba. A une soixantaine de kilomètres avant Inifel, elle longera l'oued Mya. Sur cet itinéraire de 350 kilomètres, la mission ne rencontrera que deux puits, celui d'Hassi Djemel et celui de Sedjera Touila. Inifel est un petit poste où résident trois télégraphistes de T. S. F. et quatre méharistes indigènes. Aucune population sédentaire à Inifel même. Dans la région, quelques tribus près des dunes du Grand Erg Oriental. Chose curieuse au Sahara, le bordj d'Inifel a, à ses pieds, de grands arbustes qui poussent dans l'oued Mya et qui donnent à cette région un aspect tout à fait caractéristique. Le fort d'Inifel est dominé par les dunes du Grand Erg Oriental et par les noirs rochers de la hamada. Il y a un puits à l'intérieur du fort et un autre à l'extérieur,sur la rive opposée de l'oued Mya ; ces deux puits sont excellents. Avant notre occupation, deux Pères blanc ont été massacrés, en 1876, dans cette région. A la sortie du bordj d'Inifel, une grande étendue de sable fin, aux teintes blanches et dorées ; dans le lointain, vers l'ouest, quelques gour, aux teintes brunes. Avant d'arriver à Aïn Guettara, on traverse l'immense et inclément plateau du Tademait, coupé d'oueds extrêmement profonds et couvert de rochers et de pierres dont l'étonnante teinte noire (ou vernis du désert) est le résultat d'un dépôt chimique effectué par capillarité à leur surface, sous la double action d'une extrême sécheresse de l'air et d'un soleil implacable. A Aïn Guettara, un puits au fond d'un gorge profonde ; l'eau est très bonne, mais, malheureusement, semble diminuer chaque année. Dominant cette gorge, un bordj qui est maintenant abandonné. Ce bordj a été construit en 1918, après le massacre d'une caravane qui se rendait à In-Salah. Cet endroit est d'un aspect absolument sinistre et des plus sauvages. Autour du bordj, dans un rayon de plus de 15 kilomètres, il est absolument impossible de trouver la moindre brindille de bois ou le moindre petit arbuste. Ain Guettara est le premier puits qu'on rencontre après avoir quitté Inifel. En quittant le bordj, on descend une petite piste en lacets pour arriver au fond des gorges. Le terrain, semé de gros blocs rocheux, devient ensuite très mauvais. Au pied du " baten" , ou grande falaise limitant au sud le Tademait, on entre dans le Tidikelt, par une région absolument désolée, où les mirages sont fréquents. Avant In Salah, la mission passera au petit village de Foggaret ez Zoua, à l'aspect un peu soudanais. De Foggaret ez Zoua à In Salah, parcours dans un sable parfois excessivement mou. In Salah, dernière oasis de l'Afrique du Nord, capitale du Tidikelt, est le siège de la compagnie méhariste qui porte ce nom. In Salah se compose d'un immense bordj entouré d'un village indigène ; de belles petites oasis se trouvent à proximité. Le bordj et les maisons sont construites en briques de terre séchées au soleil. L'eau, à In Salah, est extrêmement magnésienne. In Salah a été longtemps le centre de résistance contre notre pénétration au Sahara. Elle fut prise en 1901, par le capitaine Pein. Depuis cette date, une tranquillité relative règne dans la région. La population se compose d'Arabes, de quelques rares Touareg et d'Haratin (nègres souvent croisés d'Arabes). Lorsqu'on se dirige vers le sud, en quittant In Salah, on traverse d'immenses régions sablonneuses, puis on franchit les premiers contreforts du massif montagneux du Mouydir. Sur ce long parcours, on ne rencontre que deux puits, dont le principal est celui de Tagemout. Après le massif du Mouydir, ce sont de vastes plateaux au sol dur et parfois très rocailleux. On monte progressivement jusqu'aux montagnes du Hoggar, où se trouve le poste célèbre de Tamanrasset, près duquel reposent les corps du Père de Foucault et du général Laperrine. Le poste de Tamanrasset, construit en briques de terre durcies au soleil, abrite une très petite garnison de méharistes. Ceux-ci sont presque constamment en expédition dans toute la région du Hoggar. Avant d'arriver à Tamanrasset, on rencontre un très petit village targui : Arrem-Tit ; c'est là, très certainement, que la mission bifurquera, lorsqu'elle se dirigera vers le Niger. Au sud-ouest de Tamanrasset, deux petites oasis : Abalessa et Silet. Ensuite, c'est le grand inconnu, l'immense Tanezrouff ou pays de la soif : parcours tantôt de sable, tantôt d'hamada dure, coupé d'oueds à fond de galets ou de rochers. Sur une distance de plus de 500 kilomètres, la mission ne rencontrera aucun puits et devra voyager à la boussole. Sur les confins des territoires de l'Afrique du Nord et de l'Afrique Occidentale Française, un puits a été creusé dans l'oued Tin-Zaouaten, dont il a pris le nom. En quittant Tin- Zaouaten, la mission sera très probablement obligée d'obliquer vers le sud-est et de prendre un itinéraire complètement inconnu jusqu'ici, afin d'éviter le massif montagneux de l'Adrar des Iforas. Au sud de ce massif, habité par quelques rares Touareg, se trouve le poste de Kidal, où réside un officier français et quelques méharistes soudanais. De Kidal au Niger, parcours principalement de sable, où la végétation devient abondante : c'est la région saharienne du Soudan. Bourem est le premier poste que la mission rencontrera en arrivant au Niger. Un petit fort domine le fleuve, où se trouve un sous-officier et quelques soudanais. De Bourem à Bamba, la mission longera le Niger à une certaine distance : parcours de sable et de petites dunes. Bamba est un poste sur le Niger, possédant une station de TSF. De Bamba à Tombouctou, l'itinéraire se poursuivra à proximité du Niger Voiture de ravitaillement : 2 futs de 200 litres et outillages Historique de l'expédition Dès que les premières voitures munies de propulseurs Kegresse ont fonctionné en France, il est venu, naturellement, l'idée de les utiliser pour les grandes liaisons coloniales. Des expériences ont, tout d'abord, été faites dans les environs de Paris. Il existe, dans la forêt de Senlis, un endroit appelé " la mer de sable ", qui a permis de constater que les voitures munies de propulseurs Kegresse pourraient affronter n'importe quel terrain sablonneux. Ces expériences ont ensuite continué à Fontainebleau, puis dans la région d'Arcachon, où des voitures ont gravi la dune du Pyla, la plus haute d'Europe, et qui est constituée par un sable mouvant extrêmement ténu. A la suite de ces expériences préliminaires, M. André Citroën décida d'envoyer dans le Sud Algérien une mission, dirigée par M. Audouin-Dubreuil, dans le but d'étudier sur place la possibilité de circuler en automobile dans le désert. Ces expériences, entreprises au début de l'année 1922, ont permis à un groupe de voitures de circuler entre les différents postes et d'aller jusqu'à In Salah, totalisant près de 20 000 kilomètres. Au cours de ces expériences, les voitures ont intentionnellement cherché les terrains les plus difficiles et se sont attachées à ne pas employer une piste qui fût tracée par des essais d'automobiles à roues, lesquels, malgré des sommes très importantes dépensées et l'énergie déployée par le personnel, n'avaient pu aboutir à un résultat satisfaisant. Les voitures Citroën empruntèrent les pistes chamelières, qui passent souvent à travers d'immenses espaces de sable. Ces essais se terminèrent au mois de mars 1922, en pleine chaleur et permirent de prendre une décision définitive : la traversée du Sahara serait effectuée pendant l'hiver 1922-1923. Les essais de pénétration saharienne par des automobiles à roues, qui ont abouti aux résultats décevants que l'on sait, avaient nécessité un ravitaille extrêmement long et compliqué par caravanes de chameaux ; on dut employer un tel nombre de chameaux et, ceux-ci subirent de telles fatigues, que le cheptel camelier en fut sérieusement réduit. Il est évident que l'on ne prouvera que
l'emploi de l'automobile est pratique dans le désert que si celle-ci peut
effectuer ses propres ravitaillement sans avoir recours à d'autres moyens de
transport ; aussi les usines Citroën ont-elles voulu qu'aucun chameau ne soit
utilisé pour le ravitaillement de Le ravitaillement a été préparé de la façon suivante : Un premier groupe de trois voitures, sous la direction de M. de Ceris, a été dirigé sur Tombouctou, par la voie de Dakar ; prenant Tombouctou pour base, il portera le ravitaillement d'essence au poste de Kidal et, si la chose est possible, jusqu'au puits de Tin-Zaouaten, situé à la limite du territoire des oasis sahariennes et du territoire du Niger. Un second groupe de voitures de ravitaillement, prenant pour base Touggourt, approvisionne en ce moment, en essence, les postes de Ouargla, Inifel et In Salah. La mission qui essaiera la traversée du Sahara se composera de quatre voitures, qui quitteront Touggourt dès que le ravitaillement sera terminé, c'est-à-dire dans le courant du mois de décembre. Il est impossible de faire actuellement un pronostic sur la durée du trajet entre Touggourt et Tombouctou, car celui-ci comprend des régions à peine connues, et qui peuvent présenter des difficultés imprévues pour le passage des voitures, entre In Salah et Kidal, peut-être même jusqu'à Bourem et Tombouctou. Les quatre voitures seront entièrement livrées à leurs propres ressources sur un parcours de plus de 3 600 kilomètres. D'autre part, la marche peut être ralentie par endroits, du fait de l'insécurité qui règne dans ces parages et des précautions à prendre contre les attaques des rezzou. Les membres de la mission sont munis de carabines et les voitures armées de deux mitrailleuses. Composition de la mission L'expédition sera dirigée par M. Georges-Marie Haardt, directeur général des Usines Citroën, et M. Louis Audouin-Dubreuil, ancien lieutenant aviateur, connu pour ses tentatives de pénétration saharienne. Elle sera accompagnée par le lieutenant Estienne (fils du général Estienne, père des chars d'assaut), chargé de mission par le Ministère de l'Aéronautique, et par M. Paul Castelnau, docteur ès sciences et géographe, chargé des observations et des prises de vues cinématographiques. Les conducteurs-mécaniciens ont été soigneusement choisis pour résister aux fatigues de cette longue et périlleuse randonnée. Le personnel sera soumis à une discipline toute militaire. Les châssis Les châssis sont du type bien connu 10
HP Citroën. Le bloc moteur est absolument identique à ceux Les radiateurs qu'emploient les voitures Citroën, munies de propulseurs Kegresse-Hinstin, n'ont pas eu à être modifiés, et ils suffisent parfaitement pour refroidir l'eau, malgré les hautes températures que l'on rencontre dans le désert. Le pont arrière du type employé sur tous les châssis Citroën-Kegresse comporte un démultiplicateur permettant, en combinaison avec la boîte de vitesse, d'obtenir six multiplications différentes. Les voitures sont ainsi susceptibles de marcher (pour la même vitesse de rotation du moteur) de 3 à 40 kilomètres à l'heure, selon l'état du terrain et des rampes à franchir. Les carrosseries, voitures de ravitaillement Les carrosseries des voitures de ravitaillement sont constituées par une banquette de deux places à l'avant (pour le conducteur et le guide) et, à l'arrière, par une plate-forme sur laquelle sont fixés des fûts métalliques de 200 litres contenant l'essence. Ces fûts seront déposés dans les postes pour ravitailler les voitures de la mission. Deux de ces voitures ne transportent que deux fûts, l'espace prévu pour l'emplacement des deux autres étant occupé par des vivres, les munitions, etc. En outre, une voiture du même type que celles de la mission accompagnera les voitures de ravitaillement du groupe Touggourt. Leur protection sera assurée par les mousquetons dont sont munis tous les conducteurs et par une mitrailleuse type aviation, montée sur l'une des voitures. Voiture avec 4 futs de 200 litres Les carrosseries, voitures de mission Elles sont au nombre de quatre, toutes du même type. L'avant comprend une banquette à deux places interrompue en son milieu par l'entrée d'un siège placé un peu en retrait de la banquette, et permettant de placer éventuellement, un troisième voyageur. La plate-forme arrière de la carrosserie supporte deux réservoirs d'essence de 150 litres chacun environ. Sur ces réservoirs est placé une caisse en aluminium à compartiments s'ouvrant à droite et à gauche. Chacun de ces compartiments a une destination spéciale, vivres, munitions pour les mousquetons et la mitrailleuse, pharmacie, outillage, pièces de rechange, etc. L'une des voitures est spécialement aménagée pour le transport d'un appareil cinématographique. Deux réservoirs d'eau de 60 litres permettront à la mission d'affronter la traversée du Tanezrouff, pendant laquelle on ne rencontre aucun puits. Deux des quatre voitures sont munies d'une mitrailleuse modèle aviation, disposée pour être utilisée instantanément en cas d'attaque. Chaque voiture comporte une tente attachée à la partie supérieure de la carrosserie elle-même et qui peut être déployée en quelques instants. Le matériel de campement est complété par des lits pliants en duralumin, des sacs de couchage, des couvertures qui seront indispensables en raison de la baisse brusque du thermomètre dès le coucher du soleil. Il n'est pas rare en effet, que la température descende la nuit, au-dessous de zéro degré, quoique la chaleur soit étouffante pendant le jour. Tout a été prévu dans ces carrosseries pour que l'on puisse trouver instantanément les pièces, médicaments, cartes, etc., dont on peut avoir besoin. Des dispositifs très ingénieux ont permis d'allier la rusticité qui s'impose dans toutes les expéditions coloniales, à un certain confort que sauront certainement apprécier ceux qui accomplissent cette longue et fatigante randonnée. Les concours assurés à la mission Dès que le projet de M. Citroën fut porté à la connaissance des différentes administrations militaires et coloniales, il fut accueilli avec enthousiasme. Les dépenses engagées pour la pénétration saharienne par l'automobile en construisant des routes avaient été telles le budget des territoires du Sud de l'Algérie ne pouvait plus les supporter. D'autre part, le territoire du Niger ne pouvant communiquer avec la Métropole que par le long chemin du Niger, du fleuve Sénégal et de l'Océan Atlantique, voyait avec joie, la préparation d'un moyen de communication rapide avec l'Algérie, et, de là, avec la France continentale. Aussi, les ministères des colonies et de
la guerre, les gouverneurs des colonies intéressées assurèrent-ils à M. Citroën
que la mission qu'il se proposait d'envoyer recevrait toute l'aide possible.
Cependant, ce n'est pas sans appréhension que ces administrations voyaient
s'engager dans le désert une troupe de quatre voitures et de huit conducteurs
exposée à tous les dangers des Ces risques n'ont pas paru suffisants pour abandonner le projet, et il semble que les moyens de protection emportés par la mission joints à ceux que lui apporteront les groupes méharistes, lui permettront d'arriver à Tombouctou sans encombre. Cette expédition sera suivie avec un intérêt passionné par tous ceux qui s'intéressent aux questions coloniales. La mission G.-M. Haardt-Audouin Dubreuil, pourra donner de ses nouvelles par les postes militaires de TSF d'Inifel, In Salah, Tamanrasset, Kidal, Boureh, puis enfin, de Tombouctou ; mais pendant la traversée du lugubre Tanez-rouff (pays de la soif), jusqu'à Kidal, elle sera privée de toute communication avec le monde civilisé. Anonyme Le nègre continue, par Jean Routier
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