Automobilia, 15 octobre 1922

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Au Salon

Le chasseur de catalogue

Un amoncellement de papiers sous le bras, il joue des coudes. Il n'est venu au Salon que pour chasser. Il chasse à la façon primitive, sans armes. C'est la terreur de l'exposant et l'espoir des imprimeurs. Ne croyez pas qu'il puisse être éventuellement acheteur de quelque chose. Il ne veut et ne peut rien dépenser. Pas même le prix de son entrée, qu'il considère simplement comme une avance. Tout le problème pour lui se résume à récupérer un poids de papier tel qu'en le vendant, après l'avoir lu, le soir à la lampe, au taux de frs 0,25 le kilo, son entrée au Salon, ait été gratuite. Une simple division montre qu'il lui faudra se dépêcher s'il veut le soir, à la fermeture ne pas en être de sa poche. Quand la chasse ne semble par très bonne, il se fait quelquefois suppliant et la petite dactylo lui jette en pâture, un imprimé qui va rejoindre le tas. Un amoncellement de papiers sous le bras, il joue des coudes.

Le ministre

Il s'arrête, puis repart, puis s'arrête encore. A chaque arrêt, il n'écoute pas ce qu'on lui dit et ne regarde pas ce qu'on lui montre. Il pense. A quoi ? Il pense que Jules Verne lui était vraiment supérieur. De son cabinet de travail, il fit le tour du monde en 80 jours. Mais lui ! Si le record qu'il tente de battre est homologué, il sera satisfait. Il aura fait le tour du Salon en 80 minutes. Avec cette différence toutefois que Jules Verne avait une excellente mémoire, et que lui ne se rappellera plus de ce qu'il aura pu voir. Cela ne l'empêchera pas, quand il parcourra les journaux, de constater en lisant la rubrique spéciale, que chaque exposant a froidement fait insérer que " Le Ministre s'est longuement arrêté au Stand de la Maison ... ". Alors, il sourit. Parce que pour que cela eut été vrai il eut fallu que le Salon fermât ses portes le 4 novembre seulement. Pour s'arrêter, et repartir avec une telle souplesse, aussi fréquemment, il doit certainement avoir un fameux embrayage et un servo-frein. II s'arrête, puis repart, puis s'arrête encore. A chaque arrêt, il n'écoute pas ce qu'on lui dit et ne regarde pas ce qu'on lui montre. 

La visiteuse

Pimpante et légère, aimable comme une gravure de Fabiano, escortée de son chevalier servant, elle va de stand en stand. Qu'on ne lui parle pas de moteur. Ni même du reste du châssis ! Ce qui l'intéresse, c'est la carrosserie de la somptuaire limousine ou le coquet coupé japonais. Son chevalier servant tient d'importants colloques avec les hommes de l'art. Ces messieurs causent " flectors, balladeurs, Gleason, prise directe, démarreur, exhausteur, Delco, carburo, Solex " et autres barbarismes. Seul, en psychologue avisé, le plus jeune des vendeurs, s'entretient avec elle. Il cause portières, garnitures de coussins, plafonnier, porte-bouquet, nécessaire, appui pieds, acoustique et chauffage électrique. Ce en quoi le jeune vendeur précité affirme sa supériorité sur ses aînés. Parce que si c'est l'homme qui paie, c'est la femme qui achète. La critérium en matière automobile, à son point de vue, est la voiture où elle peut entrer aisément, sans casser les aigrettes de sa coiffure du soir, et s'asseoir dans les profondeurs ouatées d'une confortable banquette. Pimpante et légère, aimable comme une gravure de Fabiano, escortée de son chevalier servant, elle va de stand en stand.

L. Gianoli


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Le Salon des Connaisseurs

Voilà terminé notre premier Grand Salon d'après-guerre et l'on sait que son succès a dépassé toutes les espérances ... le succès vient surtout, soyez en persuadés, de l'extraordinaire diffusion de l'idée automobile dans le grand public et de la façon dont le timide visiteur d'autrefois s'est transformé en connaisseur au courant des dernières nouveautés techniques. Quelle transformation en peu de temps dans l'instruction du public ? Je ne parle point d'il y a vingt ans ; à cette époque-là, les chauffeurs étaient considérés par leurs passagers comme de véritables sorciers et personne n'eût osé leur poser une indiscrète question, tandis qu'étendus pendant des heures sous leur voiture ils s'endormaient souvent du sommeil du juste, après avoir constaté avec résignation qu'ils ne comprenaient rien eux-mêmes à la panne qui les accablait .... La guerre ... eut ce rare mérite pour notre grande industrie de faire l'éducation automobile des masses ... elle a fait l'apprentissage de milliers de gens qui, surtout dans les campagnes, ignoraient tout de l'auto avant les hostilités et en connaissaient les moindres secrets lorsque la paix fut venue ... Le Salon n'est plus comme jadis une exhibition destinée a satisfaire la curiosité des promeneurs, c'est une grande foire des idées, ou presque tous les visiteurs, techniciens eux-mêmes, viennent chercher le dernier mot d'ordre du progrès. La voiture automobile, sauf de rares exceptions, n'est plus actuellement un instrument de luxe, c'est l'outil démocratique de notre civilisation ...

Le Salon qui ferme ses portes aujourd'hui est disions-nous, le Grand Salon d'après-guerre. Celui de 1919 ne fut, en effet, qu'une carte de visite de l'industrie française que l'on croyait désorganisée et celui de 1921 témoigna d'un réel affolement, peut-être exagéré, causé par la vie chère. Aujourd'hui tout est rentré dans l'ordre. On a profité des expériences faites, on est arrivé au maximum de résistance dans la légèreté, au minimum d'usure des pneus et de consommation d'essence, on est arrivé au maximum de rendement du moteur classique et l'on peut dire qu'à peu d'exceptions près tous les moteurs sont actuellement ce qu'on appelait jadis des moteurs poussés. On ne pouvait vraiment faire mieux mécaniquement, mais on pouvait faire mieux pour le confort.

La voiture 1923 devient donc, dans l'ensemble, une petite voiture légère, rapide, solide, économique et confortable. Elle paraît être le modèle définitif du genre, en attendant les bouleversements futurs. Elle est aussi rapide avec son petit moteur que les gros monstres d'autrefois, elle tend à marcher toujours en dedans de sa puissance pour supprimer, dans la mesure du possible, les changements de vitesse, pour assurer de bonnes reprises et un minimum d'usure.

La voiture 1923 est donc l'ultime perfectionnement de notre vieille voiture du type classique, elle est véritablement le modèle définitif de la voiture d'après-guerre, la voiture qui réalise tous nos besoins actuels ... en attendant la voiture de demain qui pourra bien, si nous en croyons nos inventeurs, ne plus avoir ni le châssis, ni la circulation d'eau, ni l'allumage, ni le changement de vitesse, ni le cycle moteur classique, ni la suspension, ni les pneus actuels, ni même nos carburateurs ou nos carburants ... Mais cela, c'est une autre histoire et, pour l'instant, félicitons-nous de ce Grand Salon de réalisations qui nous a donné d'une façon définitive la voiture moderne qui était en gestation depuis cinq ans.

G. de Pawlowski


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Le XVIIème Salon de l'Automobile avec M. Citroën et M. Renault

M. Citroën est un homme bref. Bref de taille, bref de geste, bref de paroles. Je ne change rien à mes modèles, me déclare-t-il, je fais toujours 125 voitures par jour, et je suis toujours partisan des Salons. En vain, j'essaie d'aiguiller la conversation sur des sujets de mon choix. M. Citroën secoue négativement la tête. L'homme des constructions en série ne démordra pas de sa formule, et il se déclare prêt à me la répéter 125 fois. Comme il a raison ! Elle est excellente sa formule : je ne change rien à mes modèles. Je fais toujours 125 voitures par jour. Je reste partisan des Salons. Voilà, n'est-il pas vrai, le secret de la prospérité de cette marque célèbre. De la suite dans les idées, la ligne droite, toujours, pas de directions faussées, jamais de coup de volant précipité. Je le lui dis. Il m'approuve. Et de même que Clemenceau répondait invariablement : " Je fais la guerre, ne me demandez rien d'autre ", M. Citroën me répète : je fais des autos. Ne me posez pas d'autre question.

Remuant, rapide, tout imprégné du sentiment de la vitesse, M. Renault tourne dans son stand. Il est strictement rasé, son chapeau haut-de-forme est bien tiré sur son front cramoisi, et ses manches courtes perdent du terrain sur le linge impeccable. M. Renault est le parfait magnétiseur. C'est tout à fait par hasard qu'il appuie son coude sur le capot géant d'une des voitures exposées, croise ses jambes, attend. Il savoure l'impression de matière asservie, d'énergie disciplinée, de force rendue stable, que lui donne le contact avec la surface polie de l'auto. Votre impression sur le Salon, M. Renault ? D'un geste, le constructeur embrasse la totalité de l'exposition. C'est très beau ! Admirable ! Puis, résumant d'un mot : c'est une joie ...

Paul Lombard


M. Gabriel Voisin sur son stand

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